Initiatives

Pour une Europe qui intéresse les peuples

lundi 13 juin 2011   |   Bernard Cassen
Lecture .

Même si elle a une forte antériorité sur les autres formes d’intégration régionale, et même si elle en constitue l’exemple le plus approfondi, la construction européenne n’est pas seule au monde.

Peut-être pourrions-nous, à cet égard, et pour en tirer quelques leçons, examiner de plus près ce qui se passe en Amérique latine, seul endroit de la planète où ont démocratiquement accédé au pouvoir des gouvernements progressistes déterminés à opérer de profondes transformations sociales et à rompre avec les dogmes néolibéraux.

La Révolution cubaine constituant historiquement un cas à part, je veux parler de la Bolivie, de l’Equateur et du Venezuela, qui se distinguent d’expériences de centre-gauche, telles celles du Brésil et de l’Uruguay, et peut-être demain celle du Pérou.

Quels sont les traits saillants des processus en cours, pour certains, depuis plusieurs décennies ? J’en vois quatre principaux :

  • les résultats dérisoires, sinon l’échec des regroupements économiques régionaux fondés sur la concurrence et le libre-échange (Caricom, CAN, MCCA et même le Mercosur) qui, dès le début des années 1960, s’étaient explicitement inspirés de la CEE ;
  • l’aspiration maintenant générale (après les élections en Colombie et au Pérou) à l’unité latino-américaine et caraïbe, sans la présence des Etats-Unis et du Canada. En 2008, la création de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) constitua un pas décisif. Le 5 juillet prochain sera créée à Caracas la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes, la CELAC, qui comprend la totalité des Etats de la région, avec Cuba, mais sans les deux puissances du Nord du continent.

La création en 2004 d’une structure inter-étatique regroupant 8 pays, l’ALBA, qui met au poste de commandement non pas la concurrence libre et non faussée, mais la solidarité et la complémentarité, en se fixant non seulement des objectifs économiques, mais aussi et surtout sociaux. On notera la différence avec l’UE…

Vous allez vous demander quand je vais retraverser l’Atlantique et traiter le sujet. J’ai pourtant l’impression de ne pas m’en être tellement éloigné. Ce que j’ai voulu montrer c’est que, dans un processus de marche vers l’unité continentale – et qui ne souhaiterait cette unité au niveau européen ?

a) que ce n’est pas le marché qui rapproche les nations, mais la volonté convergente de peuples souverains

b) que c’est donc à l’instance politique de fixer des objectifs mobilisateurs pour les peuples

c) que l’on ne saurait confondre des politiques communes avec le lit de Procuste. En d’autres termes, il faut respecter les différences par des configurations à géométrie variable et ne pas exiger une unanimité qui se réduit au plus petit dénominateur commun.

d) que des groupes restreints peuvent mener des actions pionnières, avant-gardistes, qui ont vocation à s’élargir à de nouveaux partenaires sur la base d’une adhésion librement consentie. C’est ainsi que peuvent être mises en place – comme c’est le cas pour l’ALBA - des constructions inter-étatiques, y compris avec des éléments de supranationalité, qui s’affranchissent des diktats néolibéraux du FMI et de l’OMC, ou bien les contournent.

Les 4 observations que je viens de faire sont aux antipodes des principes qui structurent la construction européenne réellement existante. Primauté du politique, intervention des peuples, priorité du social, remise à sa place du marché et de la concurrence, groupes pionniers, géométries variables, rupture avec les canons libéraux sont autant de bêtes noires de la planète européiste qui recrute aussi bien à droite qu’à gauche et à l’extrême gauche.

On aurait pu penser que l’impasse où la crise de l’euro précipite une construction européenne déjà dénuée de projet aurait conduit ces européistes à revoir leur feuille de route et à changer de cap. Pas du tout. Ils nous disent que si l’Europe est malade c’est parce qu’il n’y a pas suffisamment d’Europe, de cette Europe-là.

Nous sommes nombreux à penser, au contraire, qu’une autre Europe est possible, une « Europe qui intéresse les peuples » – pour reprendre la formule de De Gaulle, mais qu’elle doit reposer sur des fondations radicalement nouvelles. Il est strictement impossible de le faire de l’intérieur du dernier en date des traités, celui de Lisbonne, comme le prétendent les naïfs vrais ou faux. Tout simplement parce que ce traité est précisément un carcan conçu pour ne laisser aucune possibilité de sortie du néolibéralisme.

Je ne vais pas entrer dans le détail des propositions répondant à la question « Que faire de l’UE ». Je me bornerai à énoncer deux questions en forme de tests que tout citoyen doit se poser pour évaluer les programmes des partis et des candidats à l’élection présidentielle.

Première question : à quel endroit du programme sont énoncées les propositions de politique européenne ? Si cette dernière est mise sur le même plan que la politique en matière de sport ou même d’éducation – si importantes que soient ces dernières -, vous pouvez immédiatement conclure que vous avez affaire à une arnaque politique.

Dans la mesure où les décisions européennes surplombent et encadrent toutes les autres, et que 75 % des textes qui nous régissent ne sont que des transpositions d’actes législatifs décidés par les instances de l’Union, la question européenne doit apparaître dès la première ligne. Le citoyen doit savoir quelles marges d’action le parti ou le candidat voudront bien se donner pour mettre en œuvre leur programme, étant entendu qu’aucune transformation sociale d’envergure n’est compatible avec le traité de Lisbonne.

Deuxième question, qui ne fait que préciser la première : le candidat ou le parti sont-ils disposés à agir unilatéralement, et de quelle manière, en cas de verrouillage européen ? J’ai pu lire comme vous des propositions intéressantes, mais qui sont subordonnées à un accord des 26 autres membres de l’UE. Un accord que toute personne sérieuse sait impossible. Dans ces conditions, on peut multiplier les promesses, du type « et maintenant l’Europe sociale », en ayant la certitude ou la garantie qu’elles ne pourront pas être tenues. C’est du charlatanisme, de l’arnaque politique au carré.

Bien sûr, il est souhaitable de rechercher les accords les plus larges et de n’agir seuls qu’en dernier recours. Que les candidats et les partis lèvent la main pour que l’on vérifie qu’elle ne tremblera pas !

La dénonciation de l’unilatéralisme, qui est un des poncifs d’une partie de la gauche, de l’extrême-gauche et du mouvement altermondialiste, est une manière de reporter tout changement de cap aux calendes européennes, c’est-à-dire à un futur dont on sait qu’il n’adviendra pas.

Le 29 mai, les citoyens français n’ont demandé à personne la permission de voter « non ». Ils ont été suivis quelques jours après par les Néerlandais, et tout porte à croire que cela aurait été le cas de la plupart des autres pays si on avait donné la parole à leurs peuples. Pour certains, cet acte d’émancipation est un mauvais souvenir. Pour nous, il est un précédent porteur d’espoir.

Intervention au colloque du M’PEP, Que faire de l’Union européenne ? Paris, 11 juin 2011.





A lire également