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Election présidentielle au Brésil

Marina Silva est la candidate du néolibéralisme

mardi 9 septembre 2014   |   Emir Sader
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Depuis quelques semaines, le programme de candidature de Marina Silva à la présidence du Brésil est connu. Trois points se distinguent par leur importance : l’indépendance de la Banque centrale, la réduction de l’investissement du pays dans le secteur énergétique (notamment dans les gisements de pétrole « présal »), le désinvestissement du Mercosur (celui-ci étant peu à peu condamné à être remplacé par des accords bilatéraux). Ces trois points défendus par la candidate du Parti socialiste brésilien (PSB) ne sauraient être plus emblématiques tant ils entrent directement en conflit avec les orientations des gouvernements de Lula et de Dilma Rousseff. Ils servent, par leur cohérence complémentaire, la promotion d’un projet d’orientation nettement néolibérale.

L’autonomie de la Banque centrale est l’un des dogmes les plus fondamentaux du néolibéralisme. Cette autonomie provoque l’affaiblissement de l’Etat et le renforcement de la centralité du marché. L’indépendance réelle de la politique monétaire est normalement une tâche qui incombe au gouvernement. La maîtrise de la politique monétaire doit servir le renforcement d’un modèle de développement économique recherchant une meilleure répartition du revenu national. Enlever au gouvernement cette capacité de contrôle de la politique monétaire et la laisser être soumise à l’influence directe des acteurs du marché — en particulier du système bancaire privé — revient à affaiblir le modèle général en le soumettant à l’exigence d’un équilibre budgétaire qui prévaudra désormais sur toute politique distributive. Cela revient également à le soumettre à la contrainte permanente de l’ajustement fiscal. Ceci est un objectif recherché par le néolibéralisme.

Réduire l’importance du « présal » dans le dispositif énergétique du Brésil revient à jeter par-dessus bord la capacité du pays à construire son indépendance et à lui demander d’abandonner une grande quantité de ressources issues de ses exportations. Cela revient également à lui demander de renoncer à consacrer 7,5 % de ces ressources à l’éducation et 2,5% à la santé, conformément à une décision déjà adoptée par le Congrès.

Ce serait aussi une politique suicidaire en termes de développement technologique. Une telle décision freinerait également l’activité économique à l’intérieur du pays en ce sens que l’exploration et l’exploitation du « presal » exigent la mobilisation de nombreuses ressources et savoir-faire nationaux.

Les positions défendues par Marina Silva prennent tout leur sens lorsqu’on examine de près ce que peut vouloir signifier diminuer l’importance du Mercosur et développer des accords bilatéraux. Jusqu’ici, le Mercosur a incarné l’idée qu’il était plus important pour le Brésil de donner la priorité à des accords d’intégration régionale sud-américaine plutôt que de signer un traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Cette dernière position était celle que défendait le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Ce projet fut bloqué par la victoire de Lula en 2002.

Réduire l’importance du Mercosur signifierait, en réalité, revoir à la baisse le rôle des instances d’intégration latino-américaines créées ces dernières années : Banque du Sud, Conseil de défense sud-américain, Unasur, Celac. Et même celui des Brics qui viennent de prendre d’importantes décisions (création d’une banque de développement et d’un Fonds de réserves de change commun) [1].

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Mémoire des luttes publie un entretien de Samuel Pinheiro Guimarães (en portugais) dans lequel le diplomate et ancien secrétaire général du ministère des affaires étrangères (Itamaraty) du Brésil durant la présidence Lula décrypte le projet de Marina Silva. Selon lui, la candidate du PSB « incarne l’annulation des progrès réalisés depuis douze ans ». Et d’ajouter : « les secteurs qu’elle représente souhaitent un autre modèle d’insertion international » du Brésil tourné vers une inscription plus forte dans les courants du libre-échange mondial. Dans cette perspective, il s’agirait d’obtenir « l’élimination de la clause qui oblige les pays du Mercosur à négocier ensemble leurs accords commerciaux avec d’autres blocs » de sorte à permettre au gouvernement de signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Cette première étape permettrait ensuite d’ouvrir les négociations avec les Etats-Unis.
Ainsi, c’est toute la géométrie des alliances géopolitiques latino-américaines et la dynamique d’intégration régionale qui seraient bouleversées par l’élection de Marina Silva.

Lire l’entretien : http://www.cartamaior.com.br/?/Editoria/Politica/Samuel-Pinheiro-Guimaraes-EUA-apostam-em-Marina/4/31754

Le programme de Marina Silva ne dit pas clairement quel type d’accord bilatéral elle souhaite, mais il est à craindre qu’il s’agisse surtout d’accords avec les États-Unis et les pays centraux du capitalisme. Il sera alors impossible pour le Brésil de continuer à s’impliquer pleinement dans le Mercosur. Cette situation aboutira, peut-être, à une rupture totale du pays avec tous ces organismes régionaux et à sa réinsertion radicale et subordonnée à la sphère des États-Unis, avec toutes les conséquences régionales et mondiales que cela suppose.

Il ne fait aucun doute que la forme de l’affrontement électoral pour l’élection présidentielle s’est modifiée avec la polarisation entre Marina Silva et Dilma Rousseff, mais l’enjeu reste le même : continuité du gouvernement post-néolibéral animé par le Parti des travailleurs (PT) ou retour à un projet néolibéral déguisé. Ce retour est maquillé à l’aide de quelques déclarations écologistes (Marina Silva a déjà déclaré qu’elle n’a jamais été contre les cultures transgéniques) et d’un discours consacré au prétendu renouvellement de l’action politique et au dépassement des partis et du clivage droite-gauche lorsqu’il mobilise derrière lui toute la droite.

La situation est une aubaine pour la droite brésilienne et les États-Unis qui étaient sur le point de voir leurs candidats et leurs thèses éliminés une nouvelle fois. Le monopole privé des médias — le véritable parti de la droite — obtiendrait sans doute une grande victoire dans le cas où sa nouvelle candidate parviendrait à vaincre le gouvernement du PT. Il s’agit là en réalité de l’objectif unique poursuivi, quel que soit le moyen, par la droite brésilienne et Washington. Voici ce qui est actuellement en jeu au Brésil.

Marina Silva ne laisse aucun doute sur la nature réelle de son projet lorsqu’elle développe ses propositions et qu’elle affiche ses soutiens au sein de sa coordination de campagne. Celle-ci regroupe parmi les noms les plus renommés du néolibéralisme : Andre Lara Resenda, ancien ministre des gouvernements Collor de Melo et Cardoso, Giannetti da Fonseca, idéologue néolibéral notoire et Neca Setubal, héritière de la Banque Itaú, l’une des plus grandes banques privées brésiliennes. Avec ses positions et cette équipe, l’ancienne dirigeante écologiste Marina Silva se convertit pleinement au néolibéralisme.

 

Source : http://www.pagina12.com.ar/diario/elmundo/4-254486-2014-09-04.html

Ce texte a également été publié en français sur le site du Grand Soir : http://www.legrandsoir.info/bresil-marina-silva-ne-laisse-aucun-doute-sur-son-projet-pagina-12.html

Révision et édition : Mémoire des luttes

 




[1Lire « Les BRICS passent à la vitesse supérieure », Mémoire des luttes.



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