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Les influenceurs politico-médiatiques du « Grand Venezuela Circus »

jeudi 10 octobre 2024   |   Maurice Lemoine

Ce que tout un chacun a peu ou prou appris ces dernières semaines…

Le lundi 29 juillet, peu après minuit, le Conseil national électoral (CNE) vénézuélien a annoncé la victoire à la présidentielle du chef de l’Etat sortant, le socialiste Nicolás Maduro, avec 51,2 % des voix. Son principal adversaire, Edmundo González Urrutia, en aurait obtenu 44,2 %. « Tendance irréversible », précisa le président de l’instance électorale Elvis Amoroso, sur la base de « 80 % des résultats ».

Déclarée « inéligible » par le pouvoir, « coach » officielle d’un González devenu candidat au pied levé pour la représenter, la « femme forte » de l’opposition, María Corina Machado, prétendit que, sur la base de procès-verbaux issus des bureaux de vote en sa possession, son protégé avait obtenu 70 % des suffrages et avait donc très largement remporté le scrutin. Trois sondages « sortie des urnes » effectués « par des sociétés indépendantes réputées », ajouta-t-elle, avaient donné des résultats similaires au cours de la journée, tout comme les chiffres d’un comptage rapide. «  Les résultats ne peuvent être occultés, exulta González sur X, le pays a choisi un changement en paix.  »

Dans un premier discours, Maduro dénonça, comme l’avait déjà fait le CNE, un piratage du système de transmission des résultats empêchant la totalisation définitive des votes. Cela n’évita pas que les ministres des Affaires étrangères de plusieurs pays – Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni – ainsi que le haut représentant de l’Union européenne, ne réclament la publication « immédiate » et en toute transparence « des résultats détaillés ».

« Compte tenu des preuves écrasantes, il est clair pour les Etats-Unis et, surtout, pour le peuple vénézuélien, qu’Edmundo Gonzalez Urrutia a remporté le plus grand nombre de voix », anticipa dès le 1er août le secrétaire d’Etat américain Antony J. Blinken.

Tandis que le pouvoir « réprimait brutalement » les manifestations « pacifiques » d’une opposition démocratique indignée, « la fraude » fut également dénoncée par de nombreux pays latino-américains. Depuis, malgré une tentative de médiation du Mexique, du Brésil et de la Colombie, rien ne va plus. Alors que la « communauté internationale » réclame toujours avec insistance la publication par le CNE des données ventilées par bureau de vote, considérée indispensable à la transparence du résultat, Maduro a chargé le Tribunal suprême de justice (TSJ) d’enquêter sur le scrutin et d’auditionner les candidats. Au terme de son audit, le TSJ a validé définitivement son élection pour un troisième mandat, le 22 août.

Poursuivi par la justice pour « désobéissance aux lois », « conspiration », « usurpation de fonctions » et « sabotage », González a quitté le Venezuela pour l’Espagne le 7 septembre, après y avoir obtenu l’asile politique.

Bien avant ce dénouement (provisoire), l’affaire semblait déjà entendue. Sous le titre « Manœuvre grossière au Venezuela », l’éditorial du quotidien espagnol El País avait résumé, le 23 août, le sentiment largement dominant au sein d’un paysage médiatique international dit « pluraliste » (mais vraiment sans excès) : « La certification de Maduro comme vainqueur des élections est une dérive autoritaire intolérable qui confirme les pires prévisions. »

Au risque de troubler un si aimable consensus, on se permettra ici d’apporter quelques compléments d’information et autant d’éléments de réflexion…

« Manœuvre grossière au Venezuela », El País, 23 août 2024.




« Il semble très difficile que Nicolas Maduro puisse se maintenir au pouvoir à moyen ou long terme » – Olivier Compagnon, alors directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine [IHEAL] sur France Info, le 3 février 2019.

Sur ordre de l’administration étatsunienne de Donald Trump, le député d’opposition Juan Guaido (Voluntad Popular), président pro tempore de l’Assemblée nationale, s’autoproclame « président du Venezuela », sur une place publique, le 23 janvier 2019. Suivent, sous couvert d’une entrée d’aide humanitaire, une tentative d’intrusion violente depuis la Colombie, le 23 février 2019 ; un sabotage électrique géant en mars de la même année ; un coup d’Etat avorté le 30 avril 2020 ; une opération mercenaire également menée depuis la Colombie en juin (« Opération Gédéon »).
Conduite par l’axe « euro-atlantiste », une grosse cinquantaine de pays, dont 24 (sur 27) de l’Union européenne (parmi lesquels le gouvernement d’Emmanuel Macron), reconnaissent Guaido.

Depuis le 8 août 2017, quatorze pays latino-américains inféodés aux Etats-Unis sont réunis au sein du Groupe de Lima « dans le but de suivre et d’accompagner l’opposition vénézuélienne » [1]. Politique de « pression maximale », Washington menace d’une intervention militaire – « Toutes les options sont sur la table ! » – et impose à la République bolivarienne 936 mesures coercitives unilatérales (dites « sanctions »), dont un embargo pétrolier. L’économie s’effondre. C’était le but recherché.

La droite radicale boycottant les élections législatives, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) et la coalition qui le soutient (le Grand pôle patriotique) remportent largement celles du 6 décembre 2020 – 68,43 % des 6,2 millions de voix (69,5 % d’abstention). Les fractions de la droite modérée qui, passant outre les critiques virulentes de Guaido et les admonestations des Etats-Unis, ont participé au scrutin, obtiennent globalement 18 % des suffrages. Chef de la « diplomatie » américaine, Mike Pompeo précise que les Etats-Unis vont « continuer à reconnaître » (et à financer !) le « président par intérim » Juan Guaido. En toute indépendance, l’Union européenne… s’aligne et notifie immédiatement qu’elle ne juge pas « crédible » le processus électoral vénézuélien.

Il se trouve que, depuis le 7 novembre précédent, aux Etats-Unis, où il n’existe pas de Conseil national électoral, ce sont les médias qui ont annoncé la victoire de Joe Biden. Même si Trump refuse de concéder sa défaite, le crépuscule de sa présidence est entamé. Inquiets, les quatre principaux partis de la droite vénézuélienne, dits G-4 – Voluntad Popular (VP), Primero Justicia (PJ), Accion democratica (AD), Un Nuevo Tiempo (UNT) – se déchirent. Il y a eu trop de défilés, trop de discours, trop de menaces, trop d’opérations tordues, trop de cocktails Molotov lancés – sans résultat. A l’exception de Voluntad Popular, le parti de Guaido, plus personne ne veut cautionner ce cirque. De moins en moins de manifestants se sont mobilisés lors des dernières convocations.

Bien entendu, il est hors de question pour quiconque de sauter dans le vide sans disposer d’un parachute fourni par le Département d’Etat. Mais, justement… De Washington, proviennent des signaux. « A la Orden », comme on dit ici. A vos ordres ! Le 30 décembre 2022, par 72 voix pour, 29 contre et 8 abstentions exprimées lors d’une vidéoconférence, l’ « Assemblée nationale 2015 », le Parlement fantoche qui accompagnait Guaido, met un terme à sa « présidence ». Guaido hurle au « coup d’Etat parlementaire » – « sans qu’existent ni Etat ni Parlement impliqués » persifflent quelques insolents. Ne reste plus au « président déchu » qu’à partir pour Miami.

« Nous continuons à reconnaître [et à financer !] l’Assemblée nationale de 2015, n’en a pas moins signifié le porte-parole du Département d’Etat. La position des Etats-Unis à l’égard de Nicolas Maduro ne va pas changer. Il n’est pas le dirigeant légitime du Venezuela. » Peut-être. Mais, dix-huit mois plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, ayant affronté la tempête et déjouant les pronostics de nombreux « analystes » de première catégorie, Maduro est toujours là.

« Cette crise économique, provoquée par l’effet conjugué d’une mauvaise gestion et de la chute à l’époque du prix du baril de pétrole dont le pays regorge, aggravée ensuite par les sanctions américaines, aura battu quelques records » (Benjamin Delille, Libération, 6 juin 2022).

Une crise « aggravée » par les sanctions américaines… » Voilà bien le lieu commun le plus répété en boucle par la « commentocratie ». Et, par la force des choses, entré dans les esprits.

La chute des prix du pétrole, de 100 à 30 dollars le baril entre 2014 et 2016, a sévèrement affecté l’économie vénézuélienne, nul n’en disconvient. Elle n’explique pas son effondrement. Sinon, tous les pays producteurs d’hydrocarbures se seraient peu ou prou retrouvés dans la même situation. Il n’en est rien. La différence tient à un point capital : le 9 mars 2015, un décret de Barack Obama a fait du Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité nationale des Etats-Unis.

L’aberrante accusation ouvre la porte à l’application de « sanctions », que Donald Trump va porter à son paroxysme. Dans le cadre d’un authentique terrorisme économique, 936 mesures coercitives vont permettre un embargo contre le géant pétrolier étatique PDVSA ; la saisie d’une trentaine de milliards d’avoirs vénézuéliens à l’étranger (des comptes bancaires aux réserves d’or en passant par Citgo, filiale de PDVSA aux Etats-Unis, d’une valeur estimée entre 7 et 11 milliards de dollars) ; la mise au ban des secteurs aurifères et miniers du pays ; des poursuites contre les firmes ou particuliers, étatsuniens ou autres, commerçant avec les entreprises vénézuéliennes ; l’expulsion du pays des marchés financiers internationaux et même du système Swift [2] ; les barbelés dressés pour empêcher l’importation de biens essentiels et d’aliments.

Le tout en violation flagrante du droit international et de la Charte des Nations Unies.

De près de trois millions de barils par jour en 2014, la production de PDVSA passe à moins d’un million et demi en 2018, puis à 350 000 en 2020. L’embargo sur les matériels permettant leur maintenance provoque le délabrement progressif des installations et des raffineries – ce qui est aussi vrai pour les transports, l’infrastructure électrique, les usines, qu’elles soient publiques ou privées. A partir de 2014, et pour en revenir à la vente de son pétrole, l’Etat vénézuélien se voit privé de 95 % de ses ressources. « Une perte globale de 228 milliards de dollars », estime devant nous Yosmer Arellan Zurita, directeur de la Banque centrale du Venezuela (BCV). Pendant le Covid, le FMI nous a même refusé 5 milliards de dollars pour acheter des médicaments. » Du fait de la réduction des importations, et pour ne citer que la période 2015-2019, les disponibilités alimentaires ont diminué d’environ 73 %, jetant « en situation d’insécurité alimentaire grave » plus de 2,5 millions de Vénézuéliens [3].

Fadaises, sermonnent les prêtres infatigables de la pensée conforme attachés à faire de Maduro le principal responsable du chaos. Seulement, le 24 janvier 2024, un document préparé par le Congressional Research Service (CRS) – organisme opérant à la demande et sous la direction du Congrès des Etats-Unis – a confirmé que les sanctions avaient pour objectif de « déloger du palais de Miraflores » le président Maduro. « Ces mesures n’ont pas atteint l’objectif fixé », constate le document, et n’ont fait que « contribuer à une crise économique sans précédent [4]  ».

Bien avant cette confession, plusieurs rapporteurs indépendants de l’Organisation des Nations unies – Alexandre de Zayas, Alena Douhan, Michael Fakhri – avaient déjà souligné que le vaste programme de sanctions, « exacerbant la crise préexistante », a eu un effet « dévastateur » sur les conditions de vie de l’ensemble de la population.

Le gouvernement n’a pu atténuer – mais a atténué – la crise que grâce à une série de prestations sociales, notamment la distribution de nourriture subventionnée via le programme des Comités locaux d’alimentation et production (CLAP). Ce que Yosmer Arellan Zurita résume en mode « chaviste » : « Ils ont voulu nous exterminer, mais on a résisté, carajo [5]  ! »




« Selon l’Organisation des Etats américains (OEA), les Vénézuéliens quittent leur pays sans être confrontés à une guerre conventionnelle ou à une catastrophe naturelle (..) »Voice of America, 4 août 2021.

Accusateur, l’argument revient en permanence : les Vénézuéliens constituent le contingent le plus important de malheureux fuyant « un pays qui n’est pas en guerre ». En utilisant exceptionnellement l’adjectif « conventionnelle », Voice of America, l’organe de diffusion internationale par radio et télévision du gouvernement des Etats-Unis, met le doigt sur l’ambiguïté de l’assertion.

Entre l’affrontement diplomatique plus ou moins virulent et le conflit armé traditionnel, mené au prix du sang versé, il existe une zone grise : la « guerre hybride » [6]. Celle-ci n’a pas pour objectif la destruction des forces armées du pays adverse, mais la déstabilisation de celui-ci par des moyens moins voyants : propagande, désinformation, mesures coercitives unilatérales, entraves au commerce et à l’accès aux ressources énergétiques, opérations paramilitaires, assassinats et (on sera amené à en reparler), sabotages d’infrastructures, cyber-attaques ou interférence dans les processus électoraux…

Des actes de ce type sont traités de façon très différente selon qu’ils sont commis ou subis par les uns ou par les autres. S’agissant du Venezuela, ils sont purement et simplement minorés, voire occultés. Mais c’est bien à une guerre, fût-elle hybride, menée par les Etats-Unis, que le pays est confronté. Avec pour conséquences de l’asphyxie de l’économie, un affaiblissement des structures gouvernementales et des institutions, une détérioration des services publics, un effondrement des salaires, une explosion de la pauvreté, des souffrances indicibles et, effectivement, un exode massif de population.

« Ce qui a provoqué une migration de millions de Vénézuéliens s’appelle le blocus économique, a rappelé le 18 février 2024, le président Gustavo Petro, et le gouvernement colombien – de son prédécesseur d’extrême droite Iván Duque – a contribué à sa réalisation. » De même que tous les chefs d’Etat latino-américains du Groupe de Lima qui, à des fins de propagande, ont littéralement incité les Vénézuéliens à quitter leur pays. « Nous continuerons à accueillir des Vénézuéliens au Chili, s’enthousiasmait ainsi en février 2019, depuis Cúcuta (Colombie), le président Sebastián Piñera, car nous avons un devoir de solidarité. » Il était surtout persuadé que l’ « Opération Guaido » viendrait rapidement à bout de Maduro. Cinq ans plus tard, effet boomerang, les mêmes ou leurs successeurs – comme le chilien Gabriel Boric – se plaignent du poids pour leur pays d’une migration massive qui ne fait pas mine de diminuer. Et qui même, ont-ils claironné de concert avec la droite vénézuélienne, avant l’élection présidentielle de 2024, risque de se démultiplier si, par malheur, devait l’emporter Maduro.

D’après les organismes internationaux, plus de 7,7 millions de Vénézuéliens auraient pris le chemin de l’exil. Mieux vaut ne pas approfondir. Non que plusieurs millions n’aient choisi un tel exode. Mais le chiffre suscite plus de doutes que de certitudes. Les organisations internationales n’effectuent pas de recensements, elles reprennent simplement les chiffres fournis par les organismes nationaux. Lesquels, surtout ceux du Groupe de Lima en son temps, ont délibérément gonflé l’addition à des fins de propagande : plus le nombre des Vénézuéliens « qui ont fui le chavisme » est élevé, plus il permet de présenter leur pays comme un Etat failli.

D’autre part, plus la population migrante déclarée est importante, plus elle permet de réclamer des fonds pour lui porter secours. En l’absence de contrôles, le phénomène a donné lieu à un formidable négoce impliquant pouvoirs, institutions et organisations dites non gouvernementales (ONG). A tel point qu’en octobre 2023, le président Maduro a publiquement explosé : « Les Etats-Unis déclarent avoir débloqué 2,8 milliards de dollars pour l’aide humanitaire aux migrants [vénézuéliens]. Je demande : où est cet argent ? A qui l’ont-ils donné ? Je demande aux migrants si un seul dollar d’aide leur est parvenu. A qui l’ont-ils donné ? A Duque [l’ex-président colombien], qui a beaucoup politisé la question ? A Juan Guaidó, qui était “président” [7] ? »

Maduro n’avait sans doute pas tort, mais, aussi curieux que celui puisse paraître, personne n’a répondu à la question.

Dernier point, que nous ne développerons pas ici, mais qui mérité d’être mentionné : le mouvement de population actuel est aussi un retour de familles colombiennes et de leurs descendants à la double nationalité vers leur pays d’origine. Combien sont, en réalité, les Vénézuéliens ayant récemment migré en Colombie qui ne sont pas descendants de Colombiens ?

D’après le Service administratif d’identification, de migration et des étrangers (SAIME), le solde migratoire net de colombiens s’installant au Venezuela du fait du conflit armé dans leur pays a été de 547 460 de 2011 à 2014 ; s’y ajoute une entrée circulaire, c’est-à-dire un mouvement pendulaire quotidien de 100 000 colombiens par la frontière. « Cette situation n’a pas réveillé l’intérêt et n‘a pas provoqué la mobilisation d’organisations internationales, ni des ONG, ni des défenseurs des droits humains, note le chercheur Giuseppe de Corso (Université du Nord, [Barranquilla, Colombie]). Le pays pétrolier n’a jamais sollicité ni eu besoin de dons pour s’occuper de ses immigrés. Ce mouvement massif de Colombiens vers le Venezuela est passé complètement inaperçu [8]. »


Expropriations en certains cas hasardeuses et mal menées, bureaucratie plutôt inefficace, dépendance excessive à l’ « or noir », développement d’une « bolibourgeoisie » (élite économique enrichie grâce à sa proximité du pouvoir), etc. : comme toute forme de pouvoir, la Révolution bolivarienne est travaillée par des logiques contradictoires et ne saurait être exemptée de critiques, pour peu qu’elles soient faites avec honnêteté. Au registre de ses revers, figure la persistance de la corruption.

Incontournable, bien que n’ayant rien d’une référence en la matière, contrairement à ce que beaucoup croient [9], Transparency International place en ce qui la concerne la barre très haut (ou très bas !) en classant le Venezuela parmi les plus corrompus de la planète (177e sur 180 !). Considérer que tout ce qui est excessif est insignifiant ne doit néanmoins pas amener à minorer le problème. A cet égard, la récente affaire « Tareck El Aissami » – « croisade anticorruption » ou « purge politique »  ? – se révèle emblématique, mais aussi, et dans de multiples domaines, pleine d’enseignements.

Député de l’Etat de Mérida (2006-2007), vice-ministre de la Sécurité civile (2007-2008), ministre des Relations intérieures et de la Justice (2008-2012), gouverneur de l’Aragua (2012-2017), vice-président de la République (2017-2018), ministre de l’Industrie (2018-2021), enfin ministre du Pétrole depuis avril 2020, Tareck El-Aissami, proche du défunt Hugo Chávez, puis de Maduro, est l’un des « poids lourds » du système politique bolivarien. Qui plus est, pour l’opposition et Washington, son ascendance syrienne en fait l’ennemi parfait.

Forte émotion en mars 2023 : alors qu’est révélé un énorme scandale de corruption au sein de PDVSA, le ministre de tutelle El-Aissami démissionne. Arrêtés, soixante-et-un fonctionnaires et élus, dont des dirigeants de la compagnie pétrolière, ainsi que des responsables de la crypto-monnaie Petro, auraient détourné entre 5 et 14 milliards de dollars, selon les diverses estimations.

Provoquant les plus folles supputations – il est « mort », « disparu », « séquestré », « tombé en disgrâce », « en fuite », « protégé par le pouvoir », etc. –, El-Aissami disparaît de la vie publique. D’après The Economist, « les personnes arrêtées serviraient à fournir des boucs émissaires à la population pour la mauvaise situation économique et à mater les adversaires à l’intérieur du régime [10]  ».

Nouveau choc le 9 avril 2024 : El-Aissami réapparaît, menotté et inculpé pour « corruption », en même temps qu’une cinquantaine de personnes. Parmi ces dernières, l’ancien ministre de l’Economie Simón Zerpa et l’homme d’affaires Samar López, accusé de blanchiment d’argent.

« Chaque chose en son temps, le moment est venu », déclare le procureur général Tarek William Saab, répondant implicitement aux allégations d’ « enterrement de l’affaire » qui le poursuivaient depuis un an. De l’enquête menée sur ce qui devient « l’affaire PDVSA-Cripto », il ressort qu’El-Aissami et les fonctionnaires impliqués ont alloué directement des chargements de pétrole en violation des règles de passation des marchés de PDVSA. Vendus en dessous de leur valeur marchande, ces cargaisons ont généré des dividendes qui ne sont entrés ni dans les coffres de la compagnie pétrolière ni dans ceux de la Banque centrale. L’utilisation de la Superintendance nationale des crypto-actifs a, d’après Saab, permis à des « millions de dollars », « en espèces et en or », de partir « dans des valises » pour l’étranger. Crypto-monnaie d’Etat adossée aux vastes réserves de pétrole, le Petro a été créé fin 2017 pour permettre le contournement des sanctions américaines. La révélation de cet énorme détournement de fonds va entraîner sa disparition [11].

« Il n’y a pas d’intouchables dans une vraie révolution », a réagi le chef de l’Etat, très affecté, lors d’une de ses émissions hebdomadaires « Con Maduro + » (« Avec Maduro »). L’épisode n’en reflète pas moins l’un des « trous noirs » de la « révolution ». La détention d’El-Aissami porte en effet à quatre le nombre de ministres du pétrole et de présidents de PDVSA rattrapés par la patrouille. Deux d’entre eux, Eulogio del Pino et Nelson Martinez (mort en détention), ont été arrêtés en septembre 2017, sous l’administration de Maduro. Homme de confiance de Chávez, président de PDVSA de 2004 à 2013, ministre du Pétrole de 2002 à 2014, sous le coup depuis décembre 2017 d’une enquête pénale pour « détournement de fonds » de l’ordre de 4,8 milliards de dollars, Rafael Ramírez, converti depuis en ennemi mortel de Maduro, vit un exil doré en Italie, qui refuse de l’extrader.

Indépendamment des méfaits individuels d’ambitieux aux dents exagérément longues, qui se sont crus trop puissants pour qu’on s’attaque à eux, la carence voire l’absence de contrôles administratifs efficaces pendant deux décennies porte dans cette faillite éthique et financière une part conséquente de responsabilité.

Toutefois, et sans excuser l’inexcusable, certaines de ces dérives désastreuses doivent également se concevoir dans le cadre de l’agression subie par le pays. Si le pouvoir vénézuélien, fin 2017, s’est tourné vers les crypto-monnaies, qui ont in fine favorisé les malversations, n’est-ce pas, comme on l’a vu, pour contourner les sanctions financières américaines et l’embargo pétrolier ?

Lequel embargo, si la République bolivarienne ne veut pas sombrer, doit être au moins partiellement neutralisé. Dans un tel contexte, l’intégrité complète est un luxe que nul ne peut se payer ! Exemple : pour organiser la vente « discrète » du pétrole, des réseaux de « navires fantômes » doivent être constitués. Dépourvus de certifications de sécurité et d’assurance, ces bâtiments changent constamment de propriétaires par le biais de sociétés écran, falsifient les documents pour dissimuler l’origine et la nature des cargaisons, désactivent leurs transpondeurs pour disparaître des radars, voire transfèrent leurs cargaisons, en haute mer, à d’autres pétroliers. Opérant en dehors du secteur maritime officiel, ces « pirates » se recrutent plus volontiers du côté des PME du fret.

Filières opaques, nébuleuses d’intermédiaires… Rendue obligatoire par les « sanctions », la plongée dans ce monde interlope, seul à même de permettre la clandestinité des opérations, offre aux individus dépourvus de valeurs morales affirmées un chemin rendu facile vers les pratiques illicites et les malversations.

Il est trop tôt pour connaître les motivations d’un Tareck El-Aissami qui, outre avoir plongé les mains dans la caisse, aurait, comme Simón Zerpa, d’après l’accusation, collaboré secrètement avec les Etats-Unis pour déstabiliser économiquement le pays. Ce qui est sûr, c’est que, l’accusant de « trafic de drogue », Washington avait offert 10 millions de dollars fin avril 2020 pour toute information permettant l’arrestation d’El-Aissami. Une telle épée de Damoclès et le désir de « négocier » pour la voir disparaître sont susceptibles de briser bien des loyautés.

Chacun au Venezuela a encore en mémoire le cas du général Manuel Cristopher Figuera, haute personnalité chaviste, chef du SEBIN (services de renseignements) : sanctionné par Washington (gel d’éventuels comptes bancaires aux USA, interdiction de visa, etc.) pour « viol des droits humains », menacé par la CIA, soit directement, soit à travers son épouse (lors d’un voyage de celle-ci au Panamá) [12], Chrisstopher Figuera s’est finalement retourné contre le « régime ». Après avoir activement participé au soulèvement mené par Guaido le 30 avril 2020, il s’enfuit aux Etats-Unis via la Colombie. Dès son arrivée à destination, les droits humains qu’il avait violés se portaient beaucoup mieux, de sorte que toutes les sanctions pesant sur lui furent levées. L’annonce en fut faite par le vice-président Mike Pence en personne, qui ajouta : « Nous espérons que cela encouragera d’autres personnes à suivre son exemple, ainsi que d’autres membres des forces armées. » Depuis, et pour se mettre définitivement à l’abri, Cristopher Figuera ne cesse d’accuser publiquement ses anciens camarades et le président Maduro des crimes les plus monstrueux.

Ajoutant aux souffrances provoquées par les mesures coercitives, le détournement des sommes évoquées par El-Aissami et ses comparses a profondément choqué la population. S’il donne légitimement du grain à moudre à l’opposition, il sape également la base du chavisme en vue de l‘élection du 28 juillet. D’autant qu’il n’est guère utile de presser l’appareil médiatique pour qu’il reprenne d’aussi spectaculaires révélations.

Quel silence, en revanche, il n’y a pas si longtemps, quand l’un des leaders en exil de l’opposition, Julio Borges, estimant avoir « touché » moins que d’autres, a dénoncé depuis la Colombie : « Le gouvernement intérimaire [de Guaido] est devenu un groupe qui s’est livré à des actes de corruption inacceptables (…).  » Quelle discrétion sur les méthodes douteuses du gouvernement fantoche que Guaido a prétendument dirigé. Des milliards de dollars se sont évaporés dans ses coffres et ceux de ses acolytes en trois années de « mandat ».

En revanche, quand le procureur général Tarek William Saab lance une vaste opération contre ce mal endémique, comme il en a initié une trentaine d’autres depuis six ans, les mêmes ducs et duchesses de l’opinion mondiale se déchaînent et dénoncent « une purge politique déguisée en croisade morale ». Cela donne une allure respectable au procès systématique, dont on connaît la sentence par avance, fait au Venezuela.

Tareck El Aissami – Venezuelan public prosecutor’s office / AFP

Des négociations entre le chavisme et la Plateforme d’unité démocratique (PUD) de l’opposition se tenaient à Mexico depuis août 2021. Ce cycle est suspendu en octobre. Washington vient d’intercepter et de séquestrer, au Cap-Vert, l’émissaire (avec rang d’ambassadeur) Alex Saab chargé par le gouvernement bolivarien d’aller négocier l’achat d’aliments en Iran pour contourner l’embargo [13].

Facilités par le Royaume de Norvège, les pourparlers reprennent en novembre 2022. Prenant acte de ce que les « sanctions » asphyxient économiquement le pays, pour le plus grand malheur de la population, chavisme et PUD s’accordent sur le dégel de 3,2 milliards de dollars de fonds vénézuéliens illégalement confisqués à l’étranger. Administrées par les Nations Unies, ces ressources seront utilisées pour consolider le système de santé, renforcer l’action du Programme alimentaire mondial et fortifier l’infrastructure éducative publique.

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Rien n’arrive. Exposant sa totale dépendance, l’opposition pleurniche : « Les Etats-Unis ne débloquent pas l’argent. » La délégation bolivarienne quitte à nouveau la table de négociations.

A l’est, du nouveau. Le 24 février 2022, Vladimir Poutine a lancé les troupes russes à l‘assaut de l’Ukraine. La guerre chamboule le marché pétrolier. Bien qu’en progression, la production étatsunienne reste sensiblement inférieure à son niveau d’avant la pandémie. Avec l’allégement des restrictions liées au Covid-19, la demande mondiale explose. L’offre devient extrêmement tendue.

Qui possède les plus importantes réserves mondiales d’or noir ? Le Venezuela !

L’administration américaine réalise soudain par miracle que ses histoires de pression maximum et de président intérimaire sont à bout de souffle. Que même l’appui international à sa politique agressive s’est effrité. Depuis janvier 2021, l’Union européenne a signifié qu’elle reconnaît en Guaido un « leader important de l’opposition », mais ne l’appelle plus « président par intérim », comme elle le faisait précédemment. Il serait absurde de maintenir le statu quo : fin décembre 2022, Washington lâche Guaido. Il a échoué. Il ne sert plus à rien.

Rien ne filtre. Ses patrons « yankees » maintiennent la droite vénézuélienne à l’écart des tractations. Une délégation du gouvernement bolivarien voyage au Qatar. La première rencontre entre « monroïstes » [14] et « bolivariens » a lieu le 7 mai 2023 à Doha. D’autres suivent. Fin septembre, il en sort un protocole d’accord « non contraignant » visant à la « normalisation des relations diplomatiques » (rompues depuis 2019) par le biais d’« engagements progressifs et se renforçant mutuellement ».

Par d’autres canaux, Washington confirme la « nouvelle ligne » à ses amis vénézuéliens : le boycott systématique des processus électoraux doit prendre fin. Ce qui d’ailleurs ne sera pas une première. Le 21 novembre 2021, si le chavisme a largement remporté les élections régionales et municipales, les partis d’opposition, qui, divisés, ont commencé leur mue, ont considérablement augmenté leur nombre de mairies remportées : 117 (sur 335), dont la deuxième ville du pays Maracaibo, contre 26 en 2017. Quatre postes de gouverneurs sur vingt sont tombés dans leur escarcelle dans les Etats de Cojedes (José Alberto Galíndez), Nueva Esparta (Morel Rodríguez), Zulia (Manuel Rosales) et surtout Barinas, traditionnel fief de la famille Chávez (Sergio Garrido).

On remarquera au passage qu’aucun de ces vainqueurs n’a contesté le verdict du CNE.

En juillet 2023, à Bruxelles, en marge du troisième sommet de la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) et de l’Union européenne (UE), les délégations du gouvernement vénézuélien et de la PUD, à qui Washington a remis sa « feuille de route », conviennent de reprendre les pourparlers. Les dirigeants argentin Alberto Fernández, brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et colombien Gustavo Petro sont présents. C’est fou ce que le pétrole peut mettre de l‘huile dans les rouages : le français Emmanuel Macron et le haut représentant de l’UE pour la politique étrangère et la sécurité Josep Borrell siègent tout sourire aux côtés de la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez. Hier, ils appelaient Guaido « président ».

A l’issue de la rencontre, un communiqué signé par tous appelle à une négociation politique « menant à l’organisation d’élections justes pour tous, transparentes et inclusives » et demande « la fin des sanctions contre le Venezuela ». Suit un échange de prisonniers, Washington libérant Alex Saab contre la libération de 10 Américains (dont deux mercenaires ayant participé à l’Opération Gédéon) et 18 Vénézuéliens emprisonnés.

La séquence culmine à La Barbade, le 17 octobre 2023. Là, toujours avec la médiation de la Norvège et la participation de représentants des Pays-Bas, de la Russie, du Mexique, de la Colombie et du Brésil, est signé le fameux « Accord partiel » assurant « la promotion des droits politiques et des garanties électorales pour tous » en vue de la prochaine élection présidentielle. Laquelle aura lieu « au cours du second semestre de 2024 ».

Satisfait de l’évolution de la situation, le gouvernement étatsunien annonce un « large allègement », pour une durée initiale de six mois, éventuellement renouvelable, de certaines sanctions. Tout un chacun se félicite et, comme le fait le porte-parole d’António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, encourage « la mise en œuvre, de bonne foi, des accords (…) pour conduire à des élections inclusives, transparentes et crédibles en 2024, ainsi que pour répondre aux préoccupations en matière de droits humains ».

De belles paroles, certes, mais, on le découvrira plus tard, très déconnectées des réalités. Car si l’Accord de la Barbade devient « la » référence citée en toute opportunité, il apparaîtra évident, au fil du temps, que très peu l’ont réellement lu et que chacun l’interprète à sa façon.

Bruxelles, 17 juillet 2023. De gauche à droite : Alberto Fernández, Gustavo Petro, Delcy Rodríguez, Luiz Inãcio Lula da Silva, Emmanuel Macron, Gerardo Blyde.

Signature de l’Accord de La Barbade : Gerardo Blyde (opposition) et Jorge Rodríguez (gouvernement).

Première ambiguïté : provoquant par effet de submersion la disparition de toute autre interprétation, l’administration Biden, les opposants vénézuéliens, mais aussi les analystes et commentateurs imposent l’idée que les « droits politiques pour tous » et les « garanties électorales pour tous » invoqués dans l’Accord ne concernent que… ceux de la droite et de l’extrême droite ! Un « pour tous » impliquant ceux de Maduro et par extension du chavisme ? Dans la bible médiatique, il n’y a pas de place pour une telle notion. Qu’on en juge…

L’Accord demande que « toute mesure susceptible d’affecter la sécurité des candidats soit levée » ? Il n’en sera rien. L’obscène récompense de 15 millions de dollars offerte en mars 2020 par le ministre américain de la Justice Bill Barr pour toute information permettant l’arrestation de Maduro, accusé de « narcotrafic », n’a pas été et ne sera pas révoquée. Non seulement ses droits ne sont pas respectés, mais son intégrité physique, en cas de défaite, est gravement menacée. Quelles garanties lui sont données ? Alors qu’il fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale (CPI), à l’initiative en leur temps des pays du Groupe de Lima, procédure extravagante s’il en est, la plus extrémiste des opposants, María Corina Machado, possédée par son désir de vengeance, a déjà prévenu le chef de l’Etat : « Je ne te veux pas mort, je te veux vivant pour que tu affrontes la justice, je te veux en prison. »

Les sanctions qui étranglent la politique économique et sociale du chef de l’Etat ne seront pas plus revues, contrairement à ce qui avait été envisagé dès Doha. Leur léger allègement ne concerne que l’autorisation donnée au géant pétrolier américain Chevron – ainsi qu’aux compagnies européennes Repsol (Espagne) et Maurel & Prom (France) – de reprendre partiellement les extractions d’hydrocarbures et coïncide surtout avec les besoins occidentaux en gaz et en pétrole provoqués par le conflit russo-ukrainien. Dans la perspective de sa propre présidentielle de fin 2024, le clan Biden aime autant éviter le coût électoral qu’aurait une hausse des prix des combustibles et de l’énergie aux Etats-Unis.

La production qui va remonter à 800 000 barils par jour fin 2023, puis à plus de 900 000 en 2024, offrira certes un ballon d’oxygène au Venezuela, mais ne compensera ni les effets de plusieurs années de sabotages et de mesures coercitives ni les conséquences des centaines de « sanctions » qui continuent à être inflexiblement appliquées. Un marasme qui « plombe » évidemment le candidat Maduro.

Dans cette affaire, le point sensible est donc moins « la démocratie », une fiction dont tout le monde s’accommode, que l’objectif unique de Washington : amener le chavisme à affronter électoralement son opposition en situation de faiblesse. Ni « libres » ni « équitables », ces élections relèvent d’un monde d’apparences et de faux-semblants. Car, et de toute façon, si les circonstances l’exigeaient, il est hors de question de laisser Maduro l’emporter.




« María Corina Machado, 44 ans, pourrait devenir la candidate de l’opposition face à Hugo Chávez à la prochaine élection présidentielle de décembre 2012. RFI met à l’honneur cette femme méconnue en France pour marquer la journée internationale de la femme » – Radio France Internationale, avec son correspondant à Caracas, François-Xavier Freland, 8 mars 2011 [15].

María Corina Machado aurait pu créer la surprise face à Chávez en 2012 si, douchant quelque peu l’enthousiasme de RFI à son égard, cette « apolitique (…) très sensible aux problèmes sociaux, de pauvreté et d’insécurité » qui incarnait « la douceur et le charme en politique » n’avait obtenu que… 3,56 % des voix lors des primaires de la droite (que remporta Henrique Capriles).

De tous les leaders opposés au « rrrrrrégime castro-chavista-maduriste », Machado est la plus radicale. Elle descend en droite ligne de la famille Zuloaga. A l’époque coloniale, celle-ci a été l’une des principales propriétaires d’esclaves du Venezuela. Soyons honnêtes, « Maricori », comme l’appelle affectueusement la droite, n’y est pour rien. Elle est aussi la fille d’un magnat de l’acier vénézuélien, Henrique Machado Zuloaga, dirigeant de Sivensa, une grande entreprise expropriée en 2008 par Chávez. Là, María Corina est plus directement concernée. Mais c’est dès 2002 qu’elle est entrée en guerre contre Chávez : lors du coup d’Etat du 11 avril, elle a signé le décret qui, émis par le bref président de facto, le patron des patrons Pedro Carmona, dissolvait l’Assemblée nationale et tous les corps constitués.

En 2004, à la tête de l’organisation paragouvernementale Súmate qu’elle vient de créer, financée par l’Agence internationale des Etats-Unis pour le développement (USAID) et la Nouvelle fondation pour la démocratie (NED), arroseuses des basses œuvres du Congrès américain, Machado recueille les signatures permettant d’organiser un référendum révocatoire que Chávez remportera finalement avec 59 % des voix. L’opposition hurle à la fraude, promet d’en présenter les preuves, oublie de les apporter. Ulcérée par cette défaite, Machado est reçue le 31 mai 2005 à la Maison-Blanche par George W. Bush, dont elle sollicite l’appui pour en finir avec celui que les urnes viennent de conforter.

Elue députée en 2010, Machado défraie la chronique en juin 2013 lorsqu’est révélée une conversation téléphonique, qu’elle ne niera pas, au cours de laquelle elle insiste sur la nécessité d’organiser un nouveau coup d’Etat précédé de « confrontations non-dialoguantes ».

En 2014, Machado passe à l’acte. Chávez a disparu, Maduro est devenu président. De concert avec les dirigeants Leopodo López (Voluntad Popular) et Antonio Ledezma (Alianza Bravo Pueblo), elle promeut les « guarimbas », émeutes urbaines qui se solderont par la mort de 45 personnes (et l’arrestation de López et Ledezma). C’est dans ces circonstances que le Panamá la nomme officiellement « ambassadrice suppléante » afin qu’elle puisse intervenir, au sein de la délégation panaméenne, devant une assemblée de l’OEA. Elle y réclame que, en application de la Charte démocratique interaméricaine, le gouvernement vénézuélien soit sanctionné. La Constitution ne permettant pas à un député de « représenter un gouvernement étranger » sans l’autorisation du Parlement, Machado est une première fois sanctionnée et frappée d’inéligibilité.

Aucune trêve. Le 10 octobre 2018, manifestement enthousiasmée par les magnifiques résultats de la destruction de la Libye, Machado invoque la R2P (responsabilité de protéger) pour réclamer une intervention internationale similaire au Venezuela [16]. Le 12 février 2019, alors qu’émerge la figure de Guaido, elle persiste et signe : « Nous appelons l’Assemblée nationale à activer l’article 187 [de la Constitution] dans le but d’autoriser le recours à une force multinationale si des obstacles à la distribution de l’aide humanitaire persistent. » Nouvelle version en 2020 : l’application du Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) résoudrait le problème. Une interprétation absurde de ce qu’est le TIAR, au demeurant. Signé en août 1947, il prévoit une assistance mutuelle en cas d’attaque militaire lancée contre l’un de ses membres. Sauf que le Venezuela n’agresse personne ! Il n’empêche, l’idée plaît beaucoup à Trump et au secrétaire général de l’OEA Luis Almagro.

Donc, le 8 juin 2020, dans un article qui, de Miami à Madrid et Bogotá, fait le bonheur de nombreux médias, Machado revient à la charge : « Il ne reste qu’une seule alternative pour évincer définitivement le conglomérat criminel qui développe un conflit non conventionnel et totalement asymétrique contre les Vénézuéliens, et c’est la formation d’une coalition internationale qui déploiera une Opération de paix et de stabilisation au Venezuela. »

Des sanctions, des sanctions, des sanctions ! Quoi qu’il en coûte à ses compatriotes, en particulier les plus modestes, Machado réclame chaque jour davantage de sanctions aux Etats-Unis, à l’Union européenne et au monde entier, contre son pays.

Aux Etats-Unis, la peine de mort peut être requise contre les personnes reconnues coupables d’un crime fédéral tel que la trahison. En France, l’article 411-4 du code pénal stipule : « Le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende. »

Machado a beaucoup de chance de vivre au Venezuela, sous Maduro.

Machado a beaucoup d’amis. Les présidents d’extrême droite colombien Duque et brésilien Jair Bolsonaro. Elle adore Trump et encensera l’argentin Javier Milei quand il sera élu. Elle embrasse sur la bouche les ex-présidents de droite latinos, et il n’en manque pas. Elle roucoule devant les leaders espagnols du Parti populaire (PP) et de Vox. Y côtoyant les dirigeants français de Reconquête et du Rassemblement national, les extrémistes chilien Antonio Kast et brésilien Eduardo Bolsonaro (fils de son père), elle représente le Venezuela au CPAC México, organisé par l’internationale des républicains étasuniens les plus conservateurs. Au nom de son parti, Vente Venezuela, elle a signé un accord avec le Likoud israélien.

Paradoxalement, Machado enthousiasme moins à Caracas. Vente Venezuela n’a jamais fait partie de la Plateforme d’unité démocratique. Machado s’en tient à l’écart. Condamne « les mous ». Critique toute tentative de négociation avec le pouvoir. Etrille Guaido pour un oui ou pour un non. Lui reproche son inefficacité.

Sauf que, soudain…

« Maricori » plane sur un nuage. Guaido s’est effondré. Ceux qui l’ont soutenu sont déconsidérés. Voici son heure, voilà son moment. L’opposition la déteste, les chavistes la haïssent, c’est parfait. Elle est l’alternative, elle peut ratisser large en les renvoyant dos à dos. Longtemps opposée aux élections – elle refusait encore de participer aux régionales de novembre 2021 –, elle se convertit. Faut dire aussi que c’est ce que veulent les Américains. Qui prônent l’organisation d’une primaire pour dégager un candidat unique de l’opposition.

Machado annonce qu’elle y prendra part.

« Ay, mamita ! »  : la Contraloría General de la República rappelle qu’elle a été déclarée « inéligible » pour une durée de quinze ans en raison de sa participation au « blocus criminel contre le pays ».

« Cabrones ! » : Machado n’en a cure et confirme qu’elle ira « jusqu’au bout ».

María Corina Machado dans les « guarimbas » de 2017 (photos Maurice Lemoine).

María Corina Machado dans les « guarimbas » de 2017 (photos Maurice Lemoine).

A l’intérieur de la Plateforme d’unité démocratique (PUD), les relations n’ont jamais été simples. En particulier entre ses quatre principaux partis (le G-4) : Voluntad Popular (VP), dirigé depuis Madrid par l’« ultra » Leopoldo López, lequel a réussi à s’enfuir alors qu’il était en assignation à résidence, lors de la tentative de coup d’Etat du 30 avril 2020 ; Primero Justicia (PJ) de l’épisodiquement modéré et ex-candidat à la présidence Henrique Capriles (mais aussi du « ministre des Affaires étrangères » de Guaido, Julio Borges, exilé en Colombie, puis en Espagne après l’arrivée au pouvoir du président de gauche Gustavo Petro) ; Acción Democratica (AD), du vieux renard censément social-démocrate Henry Ramos Allup ; Un Nuevo Tiempo (UNT), de Manuel Rosales, ex-candidat contre Chávez en 2006, actuel gouverneur élu du Zulia.

Au sein de cette opposition « unie » – dixit les éditorialistes – , tout le monde s’adore. Mais l’intensité de l’amour évolue assez souvent : un jour, VP se retourne contre PJ ; puis PJ, AD et VP s’en prennent à UNT ; ou bien UNT et AD mettent en cause PJ ; ou VP agresse AD ; ou... Toutes les combinaisons possibles y passent. Depuis l’éviction de Guaido, son parti, VP, fait bande à part. Le G-4 est donc devenu G-3. Au sein de VP, rebaptisé G-1 par les chavistes hilares, d’aucuns haïssent Machado, mais, depuis Miami, Guaido l’appuie. Tandis que, tout de même, comme il s’agit de montrer son unité, cet ensemble disparate devient le G-3+1.Vous suivez ? Hum… Non ? Pas de panique. Les journalistes non plus ! Ils ne connaissent que « l’Opposition », avec un grand O. Ils n’ont même pas remarqué qu’il en existe encore une autre, non membre du G-4 ni du G-3 ni du G-1 ni du G-3+1, refusant l’extrémisme, participant aux élections, possédant des députés (traités de « scorpions » par les ultras). Dit autrement : comme elle n’est pas d’extrême droite, cette dernière ne mérite pas le respect.

Tout cela n’a plus guère importance. Une étoile est née. Celle qui s’avance en majesté s’appelle désormais María Corina Machado.

Quatorze candidats, pas un de moins, émettent l’intention de concourir à la primaire de la droite fixée au 22 octobre 2023. Un absent de marque : Manuel Rosales, gouverneur du Zulia, dirigeant historique d’UNT, refuse de participer. Parmi les postulants, trois sont inéligibles, tout le monde le sait : « Maricori », Henrique Capriles (pour des irrégularités administratives commises lorsqu’il était gouverneur de l’Etat de Miranda), Freddy Superlano (VP). De ces quatorze compétiteurs, seuls huit sont invités à participer au traditionnel débat organisé le 18 juillet. Modérés et non membres de la PUD, les autres se plaignent amèrement de n’avoir pas été conviés. Capriles ne débat pas non plus, mais lui, s’abstient volontairement. Entre autres raisons, explique-t-il, parce que « les citoyens ordinaires ne s’intéressent pas aux primaires, mais à la façon de résoudre leur vie quotidienne en raison des graves problèmes économiques ».

Représentant d’UNT, Luis Florido relance une polémique récurrente en suggérant que les « inéligibles » se retirent de la compétition, qu’ils polluent. Quelques jours plus tôt, la vice-présidente de la Commission nationale des primaires Maria Carolina Uzcategui a démissionné. Selon elle, les conditions ne sont pas réunies pour organiser cette grande consultation. En cause, des lieux de vote inadéquats, un planning irréalisable et l’absence d’une aide technique du CNE, rejetée catégoriquement par Machado. «  Que va-t-il se passer, avait également demandé Uzcategui, évoquant les « inéligibles », si le candidat ou la candidate choisie par les primaires ne peut finalement pas s’inscrire comme candidat ? » Sensible à l’argument, Capriles renoncera à se présenter à la présidentielle, sans en discuter avec personne au sein de son parti. En réalité, il ne décollait pas dans les sondages. Freddy Superlano (VP) se retirera aussi, mais furieux, car contraint et forcé : depuis Madrid, « the boss », Leopoldo López, a décidé qu’il convient d’appuyer Machado. Laquelle, inéligible ou non, refuse définitivement de se retirer : d’après cette grande modeste, l’ « immense appui populaire » dont elle jouit et la pression internationale obligeront le gouvernement de Maduro à céder.

Seulement, les préoccupations sérieuses et les signaux d’alerte se multiplient. Le 10 octobre, la Commission des primaires de l’Etat de la Guaira démissionne collectivement, imitée quelques jours plus tard par celle de l’Etat de Miranda. D’autres suivent dans les Etats d’Apure, Cojedes, Falcón et Guarico. Tous ces dissidents eux aussi dénoncent : « Les conditions techniques et logistiques ne sont pas réunies. » Il va falloir installer les 3 000 bureaux de vote dans des maisons, des places, des parkings, des entreprises ou des sites commerciaux. La Commission nationale a bien demandé au CNE à disposer de bureaux de vote officiels – essentiellement les établissements scolaires –, celui-ci a répondu par une offre d’aide technique impliquant de repousser la consultation au 19 novembre. Proposition rejetée. Le scrutin sera définitivement autogéré… c’est-à-dire contrôlé par Súmate, l’organisation créée en 2002 par Machado.

La primaire a donc lieu le 22 octobre, cinq jours après la signature de l’Accord de la Barbade. L’annonce du résultat fait sensation : Machado est élue par 93,13 % des 2,4 millions de citoyens ayant participé à la consultation. Un score à la nord-coréenne. Son plus proche rival, Carlos Prosperi (AD), a obtenu 5 % des suffrages. Les autres récoltent moins de 1% des voix. Prosperi conteste ce résultat « irréel » et se plaint publiquement d’irrégularités. Il n’est pas le seul. Membre de la Commission technique de ces primaires, Nelson Rampersad, dénonce des incohérences dans les chiffres annoncés. D’après lui, pas plus de 520 000 personnes ont voté !

Sur plainte d’un député de la droite modérée, José Brito, la justice s’empare de la question, ouvre une enquête, exige de la Commission nationale des primaires tous les actes en lien avec le vote, des listes d’émargement aux procès-verbaux des résultats. Impossible : tout a été détruit dès la fin du scrutin. Numéro deux du PSUV, Diosdado Cabello persifle : «  Cette même opposition qui demande des élections libres, transparentes, vérifiables et contrôlables a organisé des élections que personne ne peut contrôler !  »

Sa victoire « écrasante » à la primaire de l’opposition fait de María Corina Machado l’ « incontestable favorite » de la prochaine présidentielle prétend la théorie qui fait alors le tour du monde. Pourtant, si l’on y regarde à deux fois… En imaginant corrects les chiffres les plus avantageux (ici arrondis), seules 11,8 % des personnes inscrites sur le Registre électoral permanent (REP) ont participé à cette primaire. Avec 2 253 000 citoyens votant en sa faveur (93 % du total), Machado n’a pas réuni plus de 10 % du corps électoral. Qu’on torde les chiffres dans tous les sens, cela ne fait pas encore d’elle la présidente de la République bolivarienne du Venezuela, loin de là.

(DR)




« (…) le régime Maduro n’a pas tenu ses promesses. La candidate de l’opposition, María Corina Machado, désignée en octobre lors de primaires par plus de 90 % des voix, a été déclarée inéligible par la justice. », Franck Mathevon, France Inter, 27 mars 2024.

« Précaution préalable, le parti chaviste avait trouvé prétexte pour empêcher la populaire patronne de l’opposition, Maria Corina Machado, de se présenter. » – Alain Frachon, Le Monde, 13 septembre 2024.

Premières déclarations de « Maricori » : compte tenu du mandat qu’elle a reçu, elle ne sera pas « la candidate de la Plate-forme unitaire ni de Vente Venezuela », mais « la candidate des Vénézuéliens ». Aucune mention de l’Accord de la Barbade, qu’elle n’a jamais cautionné.

C’est pourtant le chef de la délégation de la PUD à la Barbade, Gerardo Blyde, qui continue à négocier avec le gouvernement pour mettre l’accord en application. Principal objet du débat : la levée des inéligibilités. Celle de Machado, en particulier. Le dialogue avançant sans anicroches, le pouvoir, comme prévu dans l’Accord, permet une révision de tous les cas : « Chacun des intéressés se rendra personnellement à la Chambre politico-administrative du Tribunal suprême de justice (TSJ) pour présenter un recours contre la déchéance politique entre le 1er et le 15 décembre 2023 ».

La « leader de l’opposition » refuse catégoriquement. Ce serait reconnaître l’autorité judiciaire, une institution du « rrrrrégime ». Elle en fait des kilos dans le registre « il n’y a aucune inéligibilité, je n’ai pas à m’y présenter, je ne m’y présenterai pas ». Une position tellement irrationnelle face à l’opinion internationale que Washington finit par froncer les sourcils. Machado comprend. Machado obéit docilement. A la surprise générale, elle accourt devant le tribunal le 15 décembre, au tout dernier moment. « Nous sommes allés au TSJ pour défier Maduro et le régime, bluffe-t-elle devant les médias. Une « bonne amie » à elle, la journaliste Mary Pili, s’amuse sur X : « De Dame de fer, elle est passée à Dame de gélatine ». Pour compenser, l’ambassade des Etats-Unis « au Venezuela » (qui se trouve à Bogotá) « applaudit » sa décision.

Le 26 janvier 2024, le TSJ confirme l’inéligibilité pour 15 ans de Machado (ainsi que celle d’Henrique Capriles) [17]. La PUD hurle au scandale. « Chacun doit assumer ses responsabilités, répond Hector Rodríguez, membre de la délégation du gouvernement tout au long des négociations Appeler à un coup d’Etat, appeler à un soulèvement militaire, appeler à un blocus, appeler à des sanctions, appeler à l’assassinat est un crime au Venezuela et partout dans le monde. Et celui qui le promeut doit nécessairement en assumer les conséquences. » Face à cette objection, un déferlement s’abat : l’OEA, le Parlement européen (446 pour, 21 contre, 32 abstentions), la droite « latina » (Argentine, Costa Rica, Equateur, Guatemala, Paraguay, Pérou, République dominicaine et Uruguay), le Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), condamnent l’élimination de Machado. Même les amis Luiz Inãcio Lula da Silva au Brésil et Gustavo Petro en Colombie critiquent ouvertement la sanction. Pourtant, au Brésil, Jair Bolsonaro, après avoir contesté la victoire de Lula et lancé ses troupes à l’assaut des symboles du pouvoir, en 2022, a depuis été condamné à 8 ans de… de… de ? Oui, d’ « inéligibilité » ! Sacré Lula ! Porte-parole du Département d’Etat, Matthew Miller déclare pour sa part que la disqualification de Machado « est incompatible avec l’engagement des représentants de Maduro d’organiser des élections présidentielles compétitives en 2024 ».

Les chiens de garde de l’information reprennent l’ensemble de ces condamnations pour tartiner des articles bien sentis.

Pour tout ce beau monde, « le régime » a décidé de mettre fin à l’Accord de la Barbade. C’est faux ! Celui-ci promeut (#3-10) l’autorisation de tous les candidats à la présidence et de tous les partis politiques, « à condition qu’ils remplissent les conditions requises pour participer à l’élection présidentielle, conformément aux procédures établies par la loi vénézuélienne ». Jamais il n’a été prévu que la justice, après réévaluation des cas, devrait « obligatoirement » absoudre les « inéligibles » des charges qui pèsent sur eux.

Et puisqu’on parle beaucoup de la Barbade, dans les cercles autorisés… Le 1er janvier 2024, l’ « Assemblée nationale 2015 », le « parlement en résistance » fantoche de Guaido, a prolongé son mandat pour une année supplémentaire. Nul ne sait exactement combien de « députés » y émargent encore car la réunion a eu lieu « online » et sans quorum. Mais l’objectif, lui, est connu : « Cette Assemblée nationale a comme tâche d’empêcher le régime de mettre la main sur les actifs de la République [à l’étranger]  », a précisé depuis l’Espagne où elle vit la présidente de ce Parlement imaginaire Dinorah Figuera. Discrète de nature (personne ne la connaît), elle n’a pas précisé que l’enjeu hautement « démocratique » de cette prolongation a la forme des épaisses liasses de billets verts fournies par les Etats-Unis…

« J’envoie un message aux partis de droite qui demandent des réunions et signent des accords : continuer avec la caverne d’Ali Baba viole les accords signés à la Barbade, déclare Jorge Rodríguez, qui fut chef de la délégation de Maduro à la table des négociations. Continuer à mettre la main sur les actifs du Venezuela constitue une violation des accords ».

Le « communauté internationale » n’a même pas pris la peine de noter l’événement. Pas plus qu’elle n’avait enregistré la déclaration on ne peut plus publique de Marcela Escobari, administratrice adjointe de l’USAID, en juin 2023 : « Avec 50 millions de dollars pour le Venezuela, l’USAID va faire la promotion d’élections plus compétitives en 2024 et augmenter les coûts de la fraude électorale pour le régime de Maduro. Avec 20 millions de dollars de financement et d’aide de l’Etat pour Cuba et 15 millions de dollars pour le Nicaragua, nous allons continuer à soutenir ceux qui sont en première ligne (…).  »

En avril, en représailles à la confirmation de l’inéligibilité de Machado, Washington ne renouvellera pas la Licence 44 qui allège les sanctions contre le pétrole et le gaz vénézuéliens. Toutefois, situation du marché oblige, l’OFAC pourra délivrer des « licences spécifiques », évaluées au cas par cas, pour certaines entreprises (qui ne seront qu’une poignée, dont Chevron).

« Venezuela : le non-respect de l’Accord de La Barbade compromet les garanties des élections » – « Le régime vénézuélien n’a pas l’intention de respecter l’Accord en raison de l’impopularité de Maduro, déclare le délégué de l’opposition Gerardo Blyde ».

Maduro prend « le pire chemin » vers des « élections frauduleuses, a réagi Machado sur X, avant d’ajouter : « Que personne n’en doute, nous irons jusqu’au bout ! » Pour qui en douterait, elle précise avec une certaine arrogance : « Il ne peut pas y avoir d’élection sans moi ! »

Elle s’est débarrassée de ses tenues élégantes, a éliminé toute une série d’accessoires et d’objets – talons hauts, chapeaux, foulards, bijoux. Elle se déplace en jeans, chaussures de tennis et tee-shirt blanc imprimé avec le logo de Vente Venezuela. Elle visite les villes, les bourgades, les hauts lieux de résidence de la bonne société. Larges sourires aux lèvres, elle la joue à la fois « Vierge immaculée » et « Dame de Fer ». On en sait un peu plus sur son programme économique, intitulé « Tierra de Gracia ». « Terre de grâce » : l’expression employée en 1498 par Christophe Colomb pour baptiser cette contrée luxuriante lorsqu’il arriva dans la baie de Maracaibo ! Voilà au moins qui est transparent. Une fois arrivée au pouvoir, retour dans le giron colonial. Celui de Washington, cette fois. Pour en finir avec le socialisme, lancement d’un vaste plan de privatisation de toutes les entreprises publiques, y compris PDVSA. Pour contrebalancer ce côté un peu trop «  cool », Machado lance avec une certaine brutalité : « En 2024, nous n’avons qu’une seule option : nous gagnons ou nous gagnons ! »

Pour les chavistes, et en particulier le numéro deux du PSUV, un dur à l’humour caustique adoré par les militants, Diosdado Cabello, Machado devient « La Sayo » – un diminutif de « La Sayona », personnage mythique qui renvoie à un tas de légendes –, qu’on pourrait traduire par « la pleureuse », « l’âme en peine », la « veuve noire »…

La Plateforme d’unité démocratique bruit de tous ses dirigeants. Une privatisation possible de PDVSA ne provoque pas un enthousiasme délirant. Peu après la primaire, l’un de ces dirigeants, Henry Ramos Allup (AD-en résistance) [18], avait déclaré : « Nous avons choisi une candidate, pas une leader. Il y a beaucoup de leaders dans l’opposition. » De plus, l’obstination suicidaire de Machado inquiète. Si elle persiste, l’opposition va se retrouver sans candidat. Ceux-ci ne peuvent s’inscrire devant le CNE que jusqu’au 25 mars à minuit.

Machado va de fait s’entêter jusqu’au moment où, une fois encore, elle s’écrase sur la réalité. Malgré ses appels incessants à la « communauté internationale », le pouvoir n’entend pas revenir sur une décision de justice. Il ne cède pas. Le 22 mars, in extremis, 48 heures avant le délai limite des inscriptions devant le CNE, « Maricori » capitule. Et elle indique à ses partenaires éberlués qui va se présenter à sa place : Corina Yoris, une totale inconnue, philosophe et universitaire de 80 ans ! Pourquoi elle ? Elle n’a aucune expérience politique, mais, pour qui ne saisirait pas l’astuce, elle s’appelle… Corina !

María Corina Machado et Corina Yoris.

« Le chavisme empêche l’inscription de Corina Yoris, la remplaçante de María Corina Machado, en raison d’une “panne du système” ». – « L’opposition dénonce que le gouvernement ne lui permet pas d’accéder au formulaire digital du registre tandis que militaires et policiers coupent l’accès au siège du Conseil national électoral ».

Yoris ne parvient pas à inscrire sa candidature, « bloquée par le site web dédié du CNE » ! Le 31 mars encore, Machado hausse la voix : « Maduro ne peut pas choisir le candidat qui lui fera face à la présidentielle ! » La Maison Blanche se dit « très préoccupée ». Le Brésil et la Colombie s’invitent une nouvelle fois dans le débat et expriment eux aussi leur « préoccupation ». Plus direct, le ministre uruguayen des Affaires étrangères, Omar Paganini, estime que le Venezuela « se consolide en tant que dictature ».

Et si l’on s’en tenait aux faits et à la lettre de la loi ?

Mouvement plutôt que parti, Vente Venezuela (VV) n’existe pas pour le CNE. Non par arbitraire, mais parce qu’il n’a participé jusque là à aucun scrutin. La loi organique sur les processus électoraux (LOPE) établit que (art. 27) toute organisation politique qui ne se présente pas à deux élections consécutives est radiée et doit renouveler son inscription. Pour ce faire, elle doit présenter les signatures d’au moins 5 % du corps électoral et avoir une représentation du parti dans 12 entités ou régions du pays. Ce que VV n’a jamais fait. Il n‘a par conséquent aucun représentant légal devant le CNE, indispensable pour qui souhaite inscrire une candidature. De ce fait, ni Machado ni Yoris ne disposent du code permettant d’entrer sur la plateforme informatique du CNE.

Machado joue les victimes devant les caméras. Les caméras font leur boulot, omettent quelques détails trop compliqués. En effet, la malheureuse « Maricori » a omis de leur dire pourquoi elle n’a pas recouru à l’ « Initiative propre », prévue par la LOPE (art.52) en présentant les fameuses signatures correspondant à 5 % du corps électoral. Pour qui prétend avoir recueilli plus de 2 millions de voix lors des primaires de l’opposition, cela ne devrait poser aucune difficulté !

Pourquoi, autre possibilité, ne pas avoir utilisé comme support l’un des partis de la PUD qui, ayant participé à de précédentes élections, possède l’agrément du CNE (Table d’unité démocratique [MUD], UNT, Fuerza Vecinal [FV]) ? La question demeurera sans réponse, faute d’avoir été posée. Mais l’explication existe…

Au lieu de consulter ses partenaires pour mettre en lice un candidat choisi en commun, Machado, en « leader maxima », a désigné Yoris « a dedo » (« au doigt », sans concertation ni explication). Ulcérés par cet autoritarisme, les leaders de la PUD ont refusé toute collaboration de leurs partis respectifs (MUD, UNT, FV) pour inscrire Yoris devant le CNE. Par précaution, la PUD a déposé le 26 mars, « de façon provisoire », la postulation d’un autre anonyme, Edmundo González. La LOPE (article 63) permet un possible changement de candidat, sans justification, jusqu’au 20 avril. D’ici là, on verra. De son côté, et au tout dernier moment, UNT inscrit son fondateur, l’opposant historique Manuel Rosales.

« Aucune personne à qui María Corina dit “prends le relais et continue la course” ne sera acceptée » (par le pouvoir et le CNE) – Corina Yoris sur CNN, le 27 mars 2024.

Autant « Maricori » prône en permanence la confrontation et la violence, autant Rosales, gouverneur du Zulia, emprunte à l’occasion la voie de la négociation. Les factions les plus modérées du G-3 l’appuient. Réunis dans les locaux de l’Université catholique Andrés Bello (UCAB) le 8 avril, des figures notables du centre-droit (tout de même bien à droite !), dont les influents jésuites Arturo Peraza et Alfredo Infante, l’ex-président de la chambre patronale (Fedecámaras) Jorge Roig, Capriles en personne, prennent eux aussi leurs distances avec Machado tout en réclamant aux Etats-Unis la fin des sanctions. Un texte soutenant la démarche est signé par 600 personnes de la « société civile » – pour utiliser un lieu commun, car, jusqu’à plus ample informé, les chavistes font également partie de la « société civile » en question (sauf, bien entendu, si on les considère comme des citoyens de seconde catégorie, voire une sous-humanité). Dans une intervention très remarquée, le recteur Peraza évoque les membres de la Plateforme unitaire : « Comment est-il possible qu’ils n’aient pas encore pris de décision ? La bonne chose à faire est de soutenir Rosales et de voir ensuite comment ils s’entendent avec “la señora”.  »
La « dame », c’est María Corina Machado !

L’extrême droite se déchaine. Les insultes pleuvent sur « les traîtres et les hésitants ». Rosales subit une campagne de calomnies menée par Vente Venezuela. Après plusieurs semaines d’intrigues, de menaces et d’incertitude, une réunion avec la PUD confirme à Rosales qu’il n’existe aucun consensus pour l’appuyer. Chef de la mission étatsunienne installée à Bogotá, Francisco Palmieri a tranché : « Nous allons continuer à appuyer María Corina Machado parce qu’elle a gagné la primaire de l’opposition. Rosales n’y a pas participé. » Autres alliés de taille, médias et réseaux sociaux – Tal Cual, VPI, El Pitazo, Efecto Tocuyo, Politiks, Armando Info, Monitoreamos, El Estímulo, Run Runes – travaillent au quotidien les consciences et les émotions.

Machado a une nouvelle fois le dernier mot. Rosales ne veut pas, assure-t-il, « être un facteur de division ». Au terme d’un débat « respectueux » (c’est-à-dire au cours duquel on arrête exceptionnellement de s’insulter), il se retire. A l’arraché, en petit comité et encore « a dedo », Edmundo González est lancé dans le grand bain. Le 19 avril, un jour avant le délai limite, la PUD confirme que cette candidature « historique » a été acceptée (sans aucune difficulté) par le CNE.

María Corina Machado et Edmundo González.

Personne n’en a jamais entendu parler : diplomate de profession bien avant l’arrivée au pouvoir de Chávez, ambassadeur en Algérie (1991-1993) et en Argentine (1998-2002), Edmundo González, 74 ans, n’existe pas politiquement. Membre de la Table d’Unité démocratique (MUD), coalition qui a précédé la PUD, il collabore discrètement avec cette dernière depuis plusieurs années.

Dès l’annonce de sa candidature, les chavistes se penchent sans indulgence particulière sur son CV. Sur la base de quelques témoignages, une accusation se répand. Jeune fonctionnaire à l’ambassade du Venezuela à San Salvador, alors dirigée par Leopoldo Castillo (futur membre du « team Guaido »), en pleine guerre civile salvadorienne, entre 1981 et 1983, González aurait collaboré avec les escadrons de la mort, alors impliqués dans des massacres quotidiens. Aucune preuve incontestable ne vient appuyer l’accusation. Toutefois, avec toute la prudence qui s’impose, le signalement n’a rien d’extravagant.

Président en exercice à l’époque, Luis Herrera Campins (Copei) entretenait une forte amitié avec son homologue salvadorien, le démocrate-chrétien Napoléón Duarte, confronté à la guérilla du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN). En 1981, à l’initiative de Campins et de son ministre des Affaires étrangères José Zambrano Velasco, sans qu’en soit informé le pouvoir législatif, une équipe de conseillers militaires vénézuéliens fut envoyée en mission secrète au Salvador. Sur la base des préconisations de ces vénézuéliens et des militaires américains sont formés en 1982 des « bataillons de chasseurs » plus adaptés à la guerre contre-insurrectionnelle que les bataillons classiques en activité jusque-là [19].

En 1983, le secrétaire adjoint aux affaires interaméricaines Thomas Enders révélera par inadvertance que « les militaires vénézuéliens ont entraîné » ces bataillons et qu’ils continuaient « à maintenir des instructeurs militaires dans le pays ». En fait, en formant environ 2 000 soldats salvadoriens à la fois dans leur pays et en territoire vénézuélien, Caracas, en contradiction avec les déclarations officielles du gouvernement, est devenu à ce moment, après les Etats-Unis, le principal responsable de la formation des Forces armées salvadoriennes [20].

Guerre sale au Salvador, où « escadrons de la mort » et forces de sécurité ne font qu’un, collaboration totale du Venezuela. Et à l’ambassade travaille un certain González. On peut au moins signaler cela…

Il n’y a en revanche aucun doute sur la délicate déclaration du même González en 2015 (que nous reproduisons sans l’édulcorer, car les faits sont les faits) à propos de l’obligation faite aux partis de présenter 40 % de femmes aux élections à l’Assemblée nationale : « Même si c’est une ânesse, même si c’est une prostituée, même si elle sent la pute, il faut qu’ils la présentent parce qu’elle a une chatte. Et si on les écoute, eh bien, demain, il faudra mettre 20 % de pédés et de gays, et encore 15 % de Noirs et après des Indiens, tout ce qui leur passe par la tête. » On ne peut que s’incliner devant une telle hauteur d’esprit.

Aux premières questions d’El País (26 avril 2024), González répond qu’il n’a pas l’intention de faire campagne : « María Corina fait ça très bien. » Quel rôle aura la « señora » ? « Elle est la leader de tout ce processus. Le 22 octobre, des millions de Vénézuéliens ont voté pour elle : c’est un mandat. » Et le programme économique ? « Le groupe de María Corina a un programme de gouvernement très avancé, la Plateforme en a un aussi. » L’analyste politique Miguel Pérez Pirela peut ainsi résumer les intentions du candidat : « Nous ne voyons que des grands mots comme liberté, régime, démocratie, dictature. Y a-t-il un projet ? Et s’il y a un projet, est-ce le sien, celui de María Corina Machado ou celui des Etats-Unis ? »




« Malgré son manque de charisme, il [Maduro] accède au pouvoir à la mort de son mentor en 2013. Ses méthodes sont immédiatement brutales. Il fait du service de renseignements une « Gestapo » chargée de traquer et surveiller ses opposants jusque dans leurs habitudes quotidiennes. »Nouvel Obs (23 juillet 2024), à propos du documentaire « Maduro, du socialisme à la dictature », diffusé le même jour sur Arte.

Depuis l’attentat par drones chargés d’explosifs, neutralisé au tout dernier instant, le 4 août 2018, on sait la vie du chef de l’Etat en danger. Objet d’un contrat de 212 millions de dollars signé par Guaido pour « capturer, arrêter ou éliminer » Maduro, l’Opération Gédéon s’inscrivit, le 3 mai 2020, dans la même lignée [21].

Tandis qu’en surface il n’est question que de négociations et d’élections justes et équitables, l’extrême droite, dans l’obscurité, ne renonce en rien à ses désirs de violence et de conspiration. Baptisé « Bracelet blanc », un complot visant le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino López, et le gouverneur du Táchira, Freddy Bernal, a conduit en février 2024 à l’arrestation de plusieurs soldats et de 19 civils. Les individus impliqués avaient planifié l’attaque de la 21e Brigade d’infanterie et du bataillon Negro Primero, cantonnés dans le Táchira, pour s’emparer de plusieurs centaines de fusils d’assaut AK-103 et d’armes de poing. L’examen de l’application WhatsApp de l’un des détenus, Whillfer Piña, permit de découvrir que, à l’occasion d’un de ses meetings de campagne, un attentat contre le chef de l’Etat était prévu dans la ville de Maturín.

Deux semaines avant la présidentielle, une nouvelle vague d’arrestations touchera six hommes et deux femmes de l’équipe Machado-Gónzalez accusés de préparer une vague de violence post-élection. Cela portera à 31, entre civils et militaires, le nombre des individus impliqués dans cinq conspirations différentes et arrêtés depuis mai 2023. Lors de leur interrogatoire, de nombreux détenus ont indiqué avoir été recrutés entre 2019 et 2021 par des fonctionnaires des services de renseignements colombiens et des agents de la CIA, toujours en Colombie (alors gouvernée par Iván Duque).

« Nous demandons dans les termes les plus fermes la libération immédiate et sans condition de toutes les personnes détenues arbitrairement pour des motifs politiques dans le pays, notamment Rocío San Miguel, Javier Tarazona et Carlos Julio Rojas » - Amnesty International, 26 juillet 2024.

L’industrie des droits humains : un écosystème d’ONG, de « think tanks » (centres de réflexion) financés par des organismes gouvernementaux étatsuniens (USAID, NED, etc.) et des fondations ou Etats européens. Amnesty International peut bien plaider qu’elle ne dépend financièrement que de ses adhérents (ce qui est globalement vrai), les organisations locales sur lesquelles elle s’appuie pour établir ses rapports ne survivent que grâce à leurs bailleurs occidentaux. Sous le couvert du sigle « ONG » se dissimulent très souvent des organisations d’opposition.

Premier expert indépendant de l’ONU « pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable » de 2012 à 2018, envoyé au Venezuela en novembre-décembre 2017 par le Conseil des droits de l’Homme de cette même ONU, Alfred de Zayas raconte comment, du fait de son indépendance hautement affirmée, il fut victime de harcèlement moral avant, pendant et après sa mission. « Certaines ONG politiques ont lancé une campagne contre moi. J’ai été diffamé et menacé sur Facebook et dans des tweets (…) Un représentant de l’ONG Provea m’a discrédité devant l’OEA (…) [22].  »

Provea : sur le Venezuela, la source d’information vedette d’Amnesty, de Human Right Watch (HRW) et de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Multinationales qui, comme une nébuleuse d’organisations vénézuéliennes dites de « défense des droits de l’Homme – un secteur en pleine expansion permettant de belles carrières – se prononcent avec fracas contre la peine de mort, mais détournent les yeux quand des manifestants dits « pacifiques » tuent des policiers. Et qui, systématiquement, ignorent les témoignages des organisations non alignées sur la droite et l’extrême droite – Fundalatin, Grupo Sures, Red Nacional de Derechos Humanos.

Il n’y aurait au Venezuela que des « prisonniers politiques » soumis à la persécution d’un « régime autoritaire »  ! A cet égard, et pour ne prendre qu’un exemple, le cas très médiatisé de Rocío San Miguel, détenue depuis le 12 février 2024, mérite d’être examiné. Dans le développement de la saga « droits de l’homme contre Venezuela », cette avocate hispano-vénézuélienne, opposante notoire au chavisme, joue un rôle important. Spécialiste des thèmes militaires, elle dirige l’ « ONG » Control Ciudadano censément destinée à promouvoir le contrôle des citoyens sur les forces armées. Membre de la Commission nationale des frontières au début des années 2000, San Miguel a enseigné à l’Ecole de la Garde nationale et à l’Ecole de guerre aérienne jusqu’en 2005. Elle a conservé et maintenu des contacts dans ces milieux martiaux. « Peu de gens connaissent comme elle les profondeurs de l’univers militaire chaviste complexe et opaque », a pu commenter le quotidien espagnol El País.

Problème : en 2007, dans un câble envoyé au Southern Command (le commandement sud de l’armée des Etats-Unis) l’ambassadeur américain au Venezuela William Brownfield la mentionne comme une « partenaire active » de l’USAID. Durant le VIIe Sommet des Amériques d’avril 2015, au Panamá, elle a le privilège rare de se réunir avec Barack Obama. Hasard ? San Miguel multiplie les mises en cause de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) et des corps de sécurité, accusés de tous les maux.

En février 2024, dans le cadre du démantèlement de l’opération « Bracelet blanc », l’arrestation de l’ex-militaire Anyelo Heredia et du lieutenant-colonel Guillermo César Siero permet de découvrir un document de type militaire – l’« Ordre d’opération » – dans lequel apparaît le nom de San Miguel. Sa mission, confirmera Heredia, était « de communiquer en temps réel les avancées des actions en cours de développement » à certains médias et réseaux sociaux.

Après la détention de l’avocate, expliquera le procureur général Saab, on a trouvé à son domicile dix-huit cartes d’installations militaires, avec leurs zones de sécurité (y compris celle du palais présidentiel de Miraflores), un important virement financier en provenance de l’étranger et des listes et profils des chefs militaires du pays. D’après Saab, San Miguel « possède la liste de tout le personnel militaire » et il est avéré qu’elle a communiqué à un ambassadeur européen des informations réservées sur le renforcement des systèmes de défense anti-aériens. Des échanges similaires auraient eu lieu avec trois autres puissances étrangères.

« Expliquez-moi pourquoi une soi-disant militante des droits de l’homme devrait disposer de ce type d’informations, a questionné Saab en conférence de presse. Cela correspond davantage au profil d’un agent [23]. » A notre connaissance, Amnesty n’a pas répondu.

Une fois posé le principe de la présomption d’innocence, San Miguel n’ayant pas encore été jugée, on ne voit pas en quoi, si elle était déclarée coupable, il y aurait lieu de hurler au scandale pour sa détention. Un gouvernement est un organisme vivant. Quand on l’attaque, il a le devoir de répondre, ne serait-ce que pour protéger sa population.

«  (…) face au risque de déroute électorale du camp Maduro, d’aucuns imaginent que les élections n’auront pas lieu. Deux scénarios sont envisagés : l’interruption de la campagne électorale « illégale » de Maria Corina Machado, présente et acclamée dans tout le pays (…) Autre option pour interrompre le processus électoral : le déclenchement d’une guerre avec le Guyana au sujet de la région d’Essequibo » - Maurice Nahory, Nouveaux Espaces latinos, 14 juillet 2024 [24].

Avec le recul, l’hypothèse évoquée apparaît pour ce qu’elle était : du plus haut comique. Jamais le gouvernement n’a eu l’intention de déclencher un conflit armé et/ou de remettre en cause la tenue de la présidentielle. L’élection a bien eu lieu et, sauf erreur de notre part, l’armée vénézuélienne n’a pas envahi le Guyana. Il n’empêche qu’au plus fort de la crise avec ce pays voisin, en raison d’un très ancien conflit territorial, et tandis que Georgetown croulait sous un défilé de fonctionnaires et de militaires étatsuniens, cette ânerie majuscule destinée à accréditer l’existence d’une « dictature » à la fois dangereuse pour la stabilité de la région et pour le respect de la démocratie a beaucoup circulé [25].

Le candidat fantôme : « Jusqu’au bout ! » « Nous allons gagner ! »

Une campagne pour le moins atypique. Pour ne pas dire cocasse. Ou pathétique. Agé, de santé fragile, Edmundo González s’esquive au milieu d’une interview télévisée parce qu’il a rendez-vous chez son médecin. Il ne participe à aucune manifestation publique. C’est « Maria Corina » qui parcourt le pays. Face aux foules qu’elle rassemble, elle brandit… une affiche. Le portrait du candidat y est imprimé. La « star » de la tribune, c’est elle. Elle se targue d’avoir organisé 15 000 « comanditos » (« petits commandos ») de campagne. Des groupes de dix personnes (famille, voisins, amis) se dotant d’un coordinateur. Objectif affiché : 600 000 volontaires – « Comanditos 600K » – qui « défendront le vote » le 28 juillet.

De la Plateforme d’unité démocratique montent des protestations. Vente Venezuela s’arroge l’exclusivité de la formation des « comanditos ». Résultat : à la mi-juin, on ne compte que 270 000 volontaires au lieu des 600 000 annoncés. C’est que, n’ayant jamais participé à aucune élection avant la primaire, VV ne dispose d’aucune présence organique territoriale permettant un minimum d’organisation Pour autant, et en quête permanente d’hégémonie, « Maricori » ne souhaite pas offrir un quelconque rôle aux autres partis de la PUD. Laquelle est d’ailleurs affaiblie en termes de mobilisation par sa politique passée d’abstention.

Lors des meetings, les dirigeants de droite trop connus – Delsa Solórzano, César Pérez Vivas, Andrés Velásquez – ne sont pas les bienvenus aux côtés de l’égocentrique « lideresa ». Dans le Zulia, elle réussit la performance d’apparaître sans le gouverneur élu Manuel Rosales. Elle agit de même dans les Etats de Nueva Esparta, Barinas et Cojedes. Il se trouve que dans leur fief, chacun des gouverneurs d’opposition dispose d’une base sociale qu’il est fort imprudent de mépriser [26]. De l’Etat de Trujillo, part un courrier rendu public, qui réclame d’urgence la restructuration des organes de direction de la campagne aux niveaux régional et locaux.

Carabobo : l’art de la « fake news »

Malgré les rodomontades, le triomphalisme et l’affluence réelle lors de certains meetings, la sauce ne prend pas vraiment. A coups de photos et de « fake news » plus ou moins sophistiquées, les réseaux sociaux font tout pour tenter de masquer l’absence d’élan. Depuis Miami, Guaido admoneste González : « En ce moment, nous pouvons contribuer à la collecte de ressources pour financer la campagne. Il y a des démocrates et des républicains des deux côtés qui sont prêts à collaborer avec nous. » Encore faudrait-il que le candidat soit plus visible ! D’après Guaido et (affirme ce dernier) le gouvernement des Etats-Unis, González doit se montrer, « mais pas seulement dans les réseaux, il est important, il est vital qu’il aille faire campagne dans certaines villes du pays [27] ».

González se comporte comme un soldat qui, tout en mourant de peur, obéit aux ordres reçus. On le voit pour la première fois, le 18 mai, à Victoria, sa ville natale. Lors des autres rassemblements auxquels il participe, il fait presque pitié. On le porte, on le hisse, on lui tient le micro sous le menton. Quoi qu’il fasse, à l’ombre de « Maricori », il ne déchaîne pas les passions.

Que l’on comprenne bien : il ne s’agit pas d’un affrontement courtois entre Bisounours, mais de la poursuite de la guerre hybride par d’autres moyens. Le vocabulaire échappe aux standards consacrés du champ sémantique : aux accusations « dictature », « régime autoritaire », répondent des « fascistes », « terroristes » et « nazis » bien sentis. Dans la fournaise de la bagarre, il arrive à Maduro d’en faire trop quand il menace d’un « bain de sang, d’une guerre civile fratricide, provoquée par les fascistes » en cas de victoire de l’opposition.

Confronté à une campagne ouvertement séditieuse menée par l’ « inéligible » en surplomb de González, le pouvoir ne fait aucun cadeau. Multipliant les obstacles, il gêne la progression des caravanes, pénalise de mesures tatillonnes les établissements, restaurants ou transporteurs qui assistent ou reçoivent Machado. Sans toutefois empêcher que se déroulent les meetings. Dont certains rassemblent des foules considérables, mais d’autres, définitivement, non. D’où une certaine inquiétude. D’où une modification du thème jusque-là rabâché. Quand, hier, la droite évoquait avec certitude la toute proche « transition politique », c’est désormais l’évocation d’une « fraude » à venir, organisée par le pouvoir, qui tient le haut du pavé.

Dix candidats postulent à la présidence. Sentant monter les périls, le CNE propose un Accord de reconnaissance des résultats. Les partis s’y engagent à respecter le verdict des urnes et à canaliser les divergences éventuelles par le biais des mécanismes juridiques établis. Le 20 juin 2024, deux des candidats de l’opposition, Enrique Márquez et Edmundo González, refusent de le signer. S’agissant de ce dernier, la stratégie, parfaitement claire, ne fait que reprendre et confirmer le leitmotiv de Machado : le 28 juillet, « nous gagnons ou nous gagnons ».

Accord pour la reconnaissance des résultats.

Semana (Colombie) : « Maduro, ne vole pas les élections ! »

A compter de ce moment, tout un chacun peut parfaitement prédire ce qui se passera le jour du scrutin. L’opposition a agi de même en 2004, 2013, 2017 (Constituante), 2017 (régionales), 2018, sans aucun fondement. Au sein de la « communauté internationale », personne ne réagit. Ni Lula ni Petro qui, au lendemain de l’élection, demanderont des comptes à Maduro, ne semblent perturbés par cette « chronique de la déstabilisation annoncée ». C’est pourtant à ce moment qu’il eut fallu intervenir vigoureusement pour exiger que soient respectées par tous les règles du jeu.

D’autres le font. Après avoir manifesté son rejet de cette faction impatiente de ramener le pays dans la violence, l’ex-participant à la primaire de la droite Carlos Prosperi (AD) annonce son appui à la réélection de Maduro. Le coordinateur régional du parti Vente Venezuela de Carabobo, Félix Rivas, retire son soutien à Machado et à González. Plusieurs maires d’opposition les imitent et, au nom d’un désir de paix, expriment leur appui au candidat du PSUV – ce qui leur vaudra des menaces de mort.

« Les Vénézuéliens seront appelés aux urnes cette année. Et depuis ce lundi 25 mars, on connaît le nom des candidats qui ont osé se présenter face à Nicolás Maduro. Mais celui-ci a balayé l’opposition et minutieusement préparé sa réélection » – Olivier Poujade, France info, 26 mars 2024.

A l’origine, treize postulants à la magistrature suprême. Dix finalement (tous des hommes), représentant 37 organisations politiques, resteront en lice le jour du scrutin. Un duel attendu : Maduro-González. Huit autres candidats. Quelques médias se contentent de les mentionner, sans faire de commentaires. Beaucoup les passent sous silence. La majorité, comme le tâcheron de France Info, estiment que, si l’on regarde dans le détail, « ils sont issus d’un mouvement pro-gouvernemental ». Comprendre : complices de Maduro pour tenter de donner un vernis de légitimité à l’élection. Ce que Machado traduit à sa manière : « Scorpions et collabos ».

En fait, qu’ils soient du centre, du centre droit ou de droite, leur crime est tout autre : ils ont presque tous rejeté la violence, les actions anticonstitutionnelles et, conscients de la souffrance de leurs compatriotes, se sont prononcés contre les « sanctions ».

En quelques mots car, du fait de la polarisation et du vote utile, ils feront le 28 juillet un score dérisoire (mais sont susceptibles de jouer un rôle notable dans le futur) :

  • José Brito, député depuis 2020 de Primero Venezuela – une scission de Primero Justicia (Henrique Capriles), membre du G-4 et soutien de Juan Guaido.
  • Javier Bertucci (Esperanza por El Cambio), député, pasteur évangélique, s’est déjà présenté en 2018 contra Maduro et a obtenu un peu plus de 10 % des voix.
  • Benjamín Rausseo (Confederación Nacional Democrática), pittoresque comédien connu sous le nom d’« El Conde del Guácharo », candidat en 2006 contre Chávez, ne représente pas grand-chose et pas grand-monde, mais prétend attirer la population fatiguée du conflit opposition-gouvernement.
  • Claudio Fermín (Soluciones para Venezuela) : ancien d’Acción Democrática (AD), il a été maire de Caracas (1989-1993) et, « éternel candidat », est considéré comme une relique de la IVe République.
  • Luis Eduardo Martínez, député, ex-gouverneur de Monagas, adepte du « changement dans la paix », représentant du vieux parti social-démocrate Acción Democrática (AD) – lui aussi dissident de la faction d’AD demeurée dans le G-4 (Henry Ramos Allup). Martínez recevra l’appui du Copei (social-chrétien), seconde référence du bipartisme de l’avant-Chávez.
  • Antonio Ecarri, autre dissident de Primero Justicia, fondateur du parti centriste Alianza del Lápiz, soutenu par Avanzada Progresista, qui en 2018, a présenté Henri Falcón (21 % des voix) contre Maduro.
  • Leocenis García (Prociudadano), chef d’entreprise, partisan d’un « capitalisme libre ».
  • Enrique Márquez (Centrados) : expulsé d’Un Nuevo Tiempo (parti de Manuel Rosales) pour avoir appuyé la tenue de la présidentielle de 2018, que l’opposition avait ordonné de boycotter, vice-président du CNE de 2021 à 2023, il est le seul, avec Edmundo González, à avoir refusé de signer l’Accord de reconnaissance des résultats. Il est rejoint par la faction du… Parti communiste vénézuélien (PCV) passée dans l’opposition à Maduro.
  • Daniel Ceballos (Arepa) : ex-maire de San Cristobal pour Voluntad Popular, destitué et détenu pour avoir appuyé les « guarimbas » de 2014, il a été grâcié au terme d’une sequence de négociations.




« (…) un sondage de l’institut Meganalisis atteste de la dynamique créée par la primaire : elle [María Corina Machado] serait la seule opposante à être en mesure de battre Nicolás Maduro et gagnerait avec une marge impressionnante (55 % contre 11 % au président sortant) » – Thomas Posado, politiste, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine à l’Université de Rouen et chercheur à l’ERIAC, dans Analyse Opinion critique (AOC, 24 janvier 2024), repris par France Amérique latine (29 janvier).

Même au lendemain de la primaire de la droite, répercuter et publier de tels chiffres relève soit de l’incompétence la plus totale, soit d’une volonté délibérée de manipuler l’opinion. Que Machado soit susceptible d’obtenir 55 % des suffrages peut être envisagé sans sombrer dans l’irrationnel, mais n’octroyer que 11% à Maduro est tout simplement ridicule pour qui connaît le Venezuela.

Même affaibli au sein des classes populaires, où la situation politico-économique lui a fait perdre nombre de ses partisans, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) demeure une vigoureuse machine politique. La première, et de loin, du pays. Ce sont plus de quatre millions de dirigeants, militants et sympathisants qui vont, par leur signature, entériner la candidature de Maduro. Les assemblées se sont tenues dans 50 000 communautés et 14 000 centres électoraux. Les structures du PSUV couvrent tout le territoire national. Au sein d’un Grand pôle patriotique (GPP), une coalition de onze petits partis l’appuie.

Il s’agit d’un peuple en résistance. Un peuple rebelle. « Un peuple digne, qui défend ce qu’il a gagné, mais aussi ce qu’il a encore à gagner », lance Diosdado Cabello, lors d’une rencontre avec des accompagnateurs internationaux, deux jours avant le scrutin.

Plus de deux millions de civils s’entraînent régulièrement au sein de la Milice bolivarienne. Loin d’évoquer la sinistre police politique de Vichy, supplétive de la Gestapo, pendant la seconde guerre mondiale, cette « milice », déjà présente pendant les guerres d’indépendance, renvoie aux « va-nu-pieds superbes » de 1793, les Soldats de l’an II. Rattachés aux Forces armées, ses hommes et femmes, jeunes et vieux, sont prêts à se jeter dans la guerre, qu’ils haïssent, pour défendre « la Patrie contre l’Impérialisme » s’il en était besoin.

Quarante-neuf mille conseils communaux et 3 700 communes aux membres très engagés (et très critiques quand il le faut) constituent la colonne vertébrale d’un mouvement populaire organisé qui ne lâche rien. Tous autant qu’ils sont, les chavistes en ont bavé, mais ils ont l’intelligence vive et possèdent une grande capacité d’adaptation. Ils sont très obstinés. Et très patients. Disciplinés, même. Surclassant et de loin les « comanditos » improvisés de Machado, appliquant le « 1x10 », les coordinateurs des Unités de Combat Hugo Chávez et les 205 000 « chefs de rue » – en majorité des femmes – passent de maison en maison avec pour mission d’inciter et d’accompagner au moins 10 personnes à voter pour Maduro. Cette « base sociale solide, s’exclamera celui-ci, confiant, le 27 juillet, c’est l’arme fatale de la révolution ».

Miliciens (photo Maurice Lemoine).

Soit les médias méconnaissent cette vaste communauté de citoyens, soit ils la sous-estiment, soit, délibérément, ils l’effacent du tableau. En ce qui concerne les « politistes, maîtres de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine », force est de constater que le niveau a considérablement baissé.

Un exemple typique de ce décalage entre fiction et réalité est précisément fourni par le message publicitaire indéfiniment répété à propos des enquêtes d’opinion. Qu’on en juge (et qu’on nous pardonne les répétitions)… « Malgré l’avance de l’opposant Edmundo González dans les sondages » (Libération) ; « la plupart des sondages donnent l’opposition en tête des intentions de vote » (Tribune de Genève) ; « toutes les enquêtes d’opinion fiables montrent une large défaite pour le président sortant Nicolas Maduro » (RTBF [Belgique]) ; « alors que l’opposition mène dans les sondages par plus de 20 points d’avance » (Radio Canada) ; « selon les sondages, l’opposition est largement en tête » (Sud Ouest)…

Quelle unanimité ! Toutefois, en termes d’information, c’est un peu tiré par les cheveux. On pourrait presque parler de mensonge ou d’aveuglement collectif. Car…

  • ORC Consultores et Delphos (d’après El Nacional, 21 mai 2024) : Edmundo González, 60 %  : Nicolas Maduro, 30 %.
  • IdeaDatos (28 mai) : Maduro, 52,1% ; González, 21,6 %.
  • ORC Consultores (30 mai) : González, 51 %  ; Maduro, 17 %.
  • Paramétrica (2 juin) : Maduro, 43 %  ; González 32 %.
  • Ideadatos (11 juin) : Maduro, 56,1 %  ; González, 23,8 %.
  • Hercon Consultores (11 juin) : González, 67,3 %  ; Maduro, 23,5 %.
  • Consultores 21 (El País, 12 juin) : González, 36 %  ; Maduro, 25 %.
  • Delphos (12 juin) : González, 55 %  ; Maduro, 25 %.
  • Datincorp (12 juin) : González, 50 %  ; Maduro, 18 %.
  • Meganálisis (12 juin) : González, 61 %  ; Maduro, 22 %.
  • Hinterlaces (14juin) : Maduro, 55,5 %  : González, 22,1 %.
  • Univisión (15 juin) : Maduro, 52 % (résultat effacé deux jours plus tard sur le site web de cette télévision étatsunienne sous le prétexte qu’il y aurait été publié sans son autorisation).
  • Dataviva (17 juin), Maduro, 55,2 % ; González, 20,7 %.
  • Ideadatos (24 juin) : Maduro, 56,8 %  ; González, 22,2 %.
  • Dataviva (2 juillet) : Maduro, 56,1 %  ; González, 20,5 %.
  • Meganalisis (15 juillet) : González, 72 %  ; Maduro, 14 %.
  • J Magdaleno (15 juillet) : González, 66 %  ; Maduro, 24 %.
  • Dataviva (17 juillet) : Maduro, 55,2 %  ; González, 15,8 %.
  • Delphos (17 juillet) : González, 59,1 %  ; Maduro, 24,6 %.
  • Hercon (18 juillet) : González, 63 %  ; Maduro, 30 %.
  • Ideadatos (19 juillet)  : Maduro, 55,9 %  ; González, 22,4 %.
  • Centro de Medición e Interpretación de Datos Estadísticos (CMIDE, 20 juillet) : Maduro, 56,8 % ; González, 15,2 %.
  • ClearPath Strategies (21 juillet) : González, 59 %  ; Maduro, 33%.
  • Poder y Estrategia (26 juillet) : González 64 %  ; Maduro, 21 %.
  • Statista Research Department (26 juillet) : González, 59,1 %  ; Maduro, 24,6 %.
  • ORC Consultores (26 juillet) : González, 59 %  ; Maduro, 12,5 %.
  • Atlas Intel (26 juillet) : González, 51,9 %  ; Maduro, 44,2%.

Toutes ces enquêtes octroient à l’ensemble des « petits candidats » entre 10 % et 15 % des votes.

Le 28 juillet à midi, jour de l’élection, sur la base d’« exit polls », trois instituts, Hinterlaces, Lewis and Thompson (Etats-Unis) et CMIDE donneront une avance d’au moins 10 points à Maduro.

Au vu de ces pronostics particulièrement disparates, on ne s’attardera pas sur les reproches adressés aux techniques et à la pratique des sondages. On considérera simplement que leur examen ne permet pas d’affirmer catégoriquement la victoire assurée d’un des deux candidats sur son concurrent. Cela n’empêchera pas le quotidien Le Monde d’affirmer, le 29 juillet : « Le résultat contredit tous les sondages réalisés par l’opposition dans les semaines précédant le scrutin et dimanche à la sortie des urnes. » Amusante, d’ailleurs, la formule « les sondages réalisés par l’opposition »… Les seuls garants d’une totale impartialité ?

Pour reprendre une locution latine fréquemment employée dans les années 1970 par le général soviétique Alexandre Sakharovski, « une goutte fait un trou dans une pierre, non par la force, mais par un goutte-à-goutte constant  » [28]. Difficile pour le citoyen, au terme de ce matraquage, de ne pas croire à la thèse de la fraude lorsque tombera le résultat pour lui inattendu.

Et pourtant, malgré les avis discordants, il y a bien des manières d’expliquer la future victoire de Maduro.


Confronté à la campagne de pression maximum et de mesures coercitives, économiquement étranglé, le gouvernement Maduro a dû « inventer ». Le 29 septembre 2020, il a présenté à l’Assemblée nationale une loi « anti-blocus » destinée à « rendre plus flexible l’investissement dans l’activité économique vénézuélienne ». Dans ce cadre, et pour permettre le réapprovisionnement d’un pays qui manquait de tout, il a supprimé les droits de douane à l’importation ; accepté une dollarisation de fait pour juguler l’hyperinflation ; a coupé dans les dépenses sociales et contribué à geler les salaires. Il s’est même rapproché d’un secteur de la bourgeoisie nationale, qui, traditionnellement hostile au chavisme, a soutenu et financé pendant de longues années les aventures les plus radicales, mais aussi les plus suicidaires, de l’opposition. Une part notable de ce secteur a fini par prendre ses distances avec les radicaux « planqués » à l’étranger et Machado. Et ce, pour une bonne raison : d’après une enquête de la chambre patronale Fedecámaras, 81 % des entreprises privées vénézuéliennes disent souffrir des effets des sanctions. Et en réclament la suspension.

Bref, engagé dans la lutte titanesque qui oppose la République bolivarienne à l’impérialisme, Maduro s’est écarté des « canons » généralement admis d’un processus révolutionnaire. De sorte que…

« Maduro s’attaque avant tout aux classes populaires, base sociale historique du chavisme » (Révolution permanente [France], 27 août 2024).

Agressé sur sa droite avec la violence que l’on sait dans la bataille de l’opinion, le Venezuela se trouve pris en tenaille par l’ouverture d’un second front bruyamment animé par la mouvance « décampiste ». Les termes « décampiste » ou « décampisme » (du verbe décamper) renvoie à l’attitude d’une certaine extrême-gauche européenne, souvent « post-trotskiste » (le « post » étant employé ici par respect pour l’authentique révolutionnaire qu’était Trotsky). Très présent et formidablement « solidaire » dans les temps forts, enthousiasmants, d’un pouvoir ou d’un leader engagé dans un processus qualifié de révolutionnaire, comme l’a été Chávez, ce courant s’empare et se pare du capital symbolique ainsi généré. La liste de ceux qui ont fait le pèlerinage à Caracas dans les années glorieuses serait interminable, et très édifiante, si nous la publiions ici. Toutefois, dès que, sous le coup de l’agression dont il est victime et des rapports de force qui en découlent, le pouvoir en question, pris dans de multiples contradictions, s’écarte de l’inhumaine perfection réclamée, cette gauche petite-bourgeoise, « intellectuelle », déconnectée et donneuse de leçons s’inquiète pour son confort (personnel) et sa réputation (politique ou professionnelle). Dès lors, parée de sa vertu ostentatoire, elle « décampe » à toute allure, abandonnant en rase campagne les camarades blessés auxquels hier elle s’identifiait et, ayant ostensiblement pris ses distances, multiplie les critiques (barbouillées de rouge), renforçant celles de la droite (qui n’a pas besoin de maquiller les siennes).

Les secteurs populaires ont été et sont encore durement affectés par la crise. Dans la Caracas au traditionnel flot désordonné de motos et de bagnoles démantibulées, aux ordures ramassées tous les 36 du mois et aux égouts bouchés, il suffit de prendre le métro pour percevoir la lassitude. Une sorte de demi-trafic roulant à demi-vitesse dans une lumière glauque : dans les rames, sous les yeux fatigués des voyageurs, une file interminable de vendeurs à la sauvette tente de fourguer bonbons, chocolats, chargeurs de téléphones, piles électriques, tout et n’importe quoi, en concurrence avec ceux qui font simplement la manche, passant dans un sens et dans l’autre, sans jamais s’arrêter.

Oui, dehors, des pauvres fouillent dans les poubelles – comme au Pérou, au Brésil, en Argentine ou en Colombie. Souvent justifiés par les conditions objectives, des mouvements protestataires de travailleurs, de fonctionnaires ou de syndicats éclatent régulièrement.

Maduro est-il pour autant devenu « néolibéral » ? Sûrement pas !

S’il l’était, il eut pu annoncer depuis longtemps une privatisation de PDVSA, qui lui aurait valu les félicitations de l’Oncle Sam et la fin des ennuis. Il aurait appliqué les thérapies de choc monétaristes. Ne se serait sans doute pas battu becs et ongles pour maintenir les CLAP – ces comités locaux d’approvisionnement et de production créés en 2016 pour contrecarrer les pénuries organisées et procurer une alimentation minimum aux secteurs les moins favorisés. Que l’on sache, les programmes de la « Misión vivienda », qui revendiquent aujourd’hui la construction de 5 millions de logements, n’ont pas été gelés. Quid du nouveau fonds de retraites et du ministère chargé des soins des personnes âgées ?

Imagine-t-on un néolibéral poussant à l’organisation du pouvoir populaire à travers les milliers de communes et de conseils communaux ? Lancerait-il, comme il le fait aujourd’hui, un ambitieux projet pour produire des aliments sur une aire agro-écologique de plus de 10 000 hectares dans l’Etat de Bolívar, au sud du pays, en collaboration avec… le Mouvement des sans terre brésiliens (MST) [29] ? Ce, alors qu’un leader « communard » radical, Angel Prado, vient d’être nommé ministre des Communes…

Qui oserait affirmer que, si s’améliore durablement la situation économique, revenant au chavisme des origines, il ne relancera pas énergiquement les programmes sociaux ?

Depuis deux années, la situation s’améliore. L’hyperinflation n’est plus qu’un souvenir. A travers le Programme de récupération économique, le pouvoir a mis en œuvre quatre mesures structurelles : appui à la production nationale, à travers crédits et financements ; développement de la collecte d’impôts (+ 105 % entre 2023 et 2024), pour garantir l’investissement social (plus de 3,5 milliards de dollars en 2024) ; impulsion aux exportations non pétrolières ; appui aux entrepreneurs. Le 2 octobre, au moment où nous terminions cet article, Maduro se trouvait dans une usine de laminage du Complexe sidérurgique national, à La Yaguara. Face aux ouvriers qui se pressaient autour de lui et parfaitement conscient de la situation, il a eu ce cri du cœur : « Alors que nous sortons de la guerre économique, nous devons rétablir les droits constitutionnels des travailleurs. » C’est ce que ceux-ci demandent. Maduro a poursuivi : « Nous devons unir la force productive de la classe ouvrière avec la force productive et les investissements des hommes d’affaires nationaux, afin d’avancer ensemble dans le développement du pays. » Orthodoxe, peut-être, pour qui ne sort jamais de son laboratoire, mais, dans la situation complexe qui est la sienne, une voie qui fait sortir le Venezuela de la crise infernale dans laquelle il a été jeté !

Douze trimestres consécutifs de croissance (+ 7 % au premier trimestre 2024), le plus haut indice de l’Amérique latine. Pour la première fois depuis plus d’un siècle, l’alimentation des Vénézuéliens est produite à plus de 80 % dans le pays. Qui connaît son plus bas niveau de violence depuis 25 ans : beaucoup des structures criminelles ont été démantelées (à Caracas, le gang d’El Koki), certaines se sont fragmentées, d’autres ont migré (Tren de Aragua). Le panorama régional a changé avec la disparition du Groupe de Lima ; l’isolement a été brisé, Caracas compte de nombreux alliés – Russie, Chine, Iran, Turquie –, approfondit ses liens avec l’Inde, l’Indonésir, le Vietnam. En attendant une possible intégration au sein des BRICS…

Dernière ligne droite : Maduro se lance dans une campagne d’enfer. Maduro visite deux cents villes et villages. Maduro se déchaîne contre l’Impérialisme et les « Apellidos » (les puissants, ceux qui ont un nom). Maduro stigmatise « l’Empire gringo, l’Empire du mal, l’Empire de la mort. » Les principaux leaders du chavisme partent également battre l’estrade à l’intérieur du pays. Dans des autobus brinquebalants, sur des camions pleins à craquer, les foules accourent. Elles avaient de l’amour et de la dévotion pour Chávez. Elles éprouvent désormais de la tendresse pour Maduro. « Chávez ne s’est pas trompé, nous confie dans l’Etat de Lara une chaviste convaincue. Il [Maduro] a dû assumer la responsabilité du pouvoir dans des temps très difficiles. Il y a eu tant d’attaques depuis qu’il est chef de l’Etat ! Il a été très diplomate, très médiateur, il nous a conduit sur le chemin de la paix. » Pour ce peuple agité, grouillant et rigolard, il est devenu « Nico ». Il est devenu « mi gallo pinto » – « mon coq bariolé » (en référence aux coqs de combat). « Vamos, Nico ! » Les forces révolutionnaires demeurent unies. A la veille du 28 juillet, Maduro ne part pas battu, loin de là.

Quand Libération prend ses désirs pour des réalités…

Clôture de campagne de Nicolás Maduro (DR).

Diosdado Cabello, numéro 2 du PSUV : « Ils veulent aller à Miraflores quel que soit le vainqueur. Nous le savons. » Patricia Villegas, présidente de la chaîne d’information TeleSur  : « Il y a un plan en marche pour attenter contre la volonté populaire. » Nicolás Maduro, devant un parterre d’accompagnateurs internationaux (26 juillet) : « S’il y a de la violence, elle viendra de l’opposition. Elle l’a annoncée. »

Tension évidente au cours des quelques jours qui précèdent le scrutin : le clan González-Machado a annoncé qu’il ne reconnaîtra pas les résultats du CNE, seulement les chiffres obtenus à partir de son propre système de comptage. Message permanent : « Nous seuls aurons les bons résultats. »

« Dans quel pays est-ce que c’est le commando de campagne d’un candidat qui donne les résultats », s’est publiquement interrogé Maduro ?

Impressionnante clôture de campagne, le 25 juillet. Agonisant le chavisme ? L’imposante avenue Bolivar : « full de full ». Des centaines de milliers de personnes. Energie positive, ferveur populaire, joie collective. Il faut vraiment beaucoup de mauvaise foi pour prétendre que les fonctionnaires présents sont obligés à manifester. A la tribune, dans la foule, une seule consigne : « Ici, personne ne se rend ! » Commentaires des uns : « Ce peuple a décidé d’être libre. Le 28, c’est lui qui décide ! » Commentaires des autres : « Ils traitent Maduro de dictateur parce qu’il ne s’est pas laissé assassiner ! Faut se laisser trucider pour être qualifié de démocrate ? »

Serrés comme des sardines, les tympans arrachés par une musique omniprésente, les manifestants se déhanchent en rythme. Oriflammes du PSUV et des factions du PCV et du parti Patrie pour tous (PPT) membres du Grand pôle patriotique. Tee-shirts noirs des Tupamaros. Partout, on chante « Vamos Nico »  ! Partout flottent et ondoient des drapeaux palestiniens.

Des groupes entiers luttent pied à pied pour essayer de se rapprocher de la tribune. Le jour laisse place au crépuscule. Le crépuscule s’efface devant l’obscurité. Eclaboussé par l’éclat aveuglant des projecteurs, Maduro apparaît. Les acclamations font vibrer l‘air chaud. Maduro entame sa harangue. Maduro attaque sec. Applaudissements très denses, pendant les interruptions. Maduro ébauche un sourire en levant les mains : « Quand je suis arrivé, l’opposition m’a dit : « “tu n’es pas Chávez !” J’ai répondu, “vous avez raison, je ne suis pas Chávez. Je suis Nicolás”. » Maduro s’interrompt. Maduro promène les yeux devant lui, autour de lui, très loin devant lui. Maduro interpelle la foule : « Mais, tous ensemble, NOUS sommes Chávez ! » De la très longue et très large avenue, déferle une clameur d’approbation.

Des vagues de téléphones portables allumés clignotent dans la nuit.







Clôture de campagne de Nicolás Maduro (photos Maurice Lemoine).

Qu’ils soient de droite ou de gauche, les Vénézuéliens se déplacent le matin pour aller voter. Souvent très tôt. En files, en rangs, en colonnes, en processions. Le 28 juillet 2024 (28-J, dans le jargon local) ne déroge pas à la règle. Capté et circulant sur les réseaux sociaux, un incident a mis les chavistes de bonne humeur pour toute la journée : lorsque « La Chayo » tout de blanc vêtue, est arrivée à l’Institut Collège María de Bueno, dans la très résidentielle urbanización Los Chorros, et qu’elle s’est avancée pour serrer la main des militaires en faction devant le bureau de vote, ceux-ci ont refusé et se sont détournés ostensiblement.

Nous visitons quatre bureaux de vote à Caracas (ce qui, nous l’admettons d’emblée, n’a statistiquement aucune signification). Parfaite tranquillité. Dans le quartier San Juan, près du métro « Maternidad », d’adorables vieilles dames se confient : « Nous, la seule chose que nous voulons, c’est la paix. » Ou encore : « Que celui qui perd, quel qu’il soit, accepte le résultat. »

Même ambiance Avenida José Martí, Avenida Francisco de Miranda. Le bureau – un établissement scolaire – comporte plusieurs tables de vote, chacune dans une salle de classe. Un par un, les électeurs pénètrent dans celle qui leur est attribuée. Présentation de la carte d’identité. Le numéro du document est introduit dans le dispositif qui vérifie la conformité de l’empreinte digitale. Lorsque tout concorde, le citoyen se dirige vers la machine de vote proprement dite, placée derrière un paravent. Sur l’écran tactile, il sélectionne sa préférence et confirme son choix. La machine lui délivre un reçu mentionnant le nom du candidat pour lequel il a voté. Il dépose ce ticket dans une urne, signe la liste de présence, y appose son empreinte digitale et… nous sourit.

« Aucun problème », demandons-nous aux témoins (en français : scrutateurs) des partis – PSUV et opposition(s) [30] – qui observent le processus ? Réponse unanime : « Tout va bien. »

Dans les couloirs, règne une ambiance bon enfant. Electeurs, observateurs au gilet rouge, miliciens et soldats de garde cohabitent tranquillement et s’assistent les uns les autres pour les inévitables « selfies ».

En fin de journée, lorsque le vote se terminera, un audit aléatoire aura lieu sur 54 % des machines à voter. Les résultats qu’elles ont enregistrés et vont transmettre à la salle de totalisation du CNE doivent correspondre avec le décompte manuel des tickets imprimés. Ne reste qu’à remettre aux témoins de tous les partis présents le « chorizo », une tirette de papier imprimé comportant les résultats par candidats et par partis politiques. Une fois signée par le président et le secrétaire du bureau de vote ainsi que par les témoins et l’opérateur de la machine électronique, ces bordereaux, certifiés par un code QR, deviennent « las actas » – ou procès-verbaux.







Jour d’élection à Caracas (photos Maurice Lemoine).

Particulièrement tendu, le Venezuela retient son souffle. L’attente des résultats est plus longue que prévue. Anormalement longue, même. Ils ne tombent qu’un peu après minuit. Sur la base de 80 % des votes comptabilisés, le CNE annonce la victoire de Maduro avec 51,2 % des voix contre 44,2 % à González. « Tendance irréversible », précise l’autorité électorale. Ces résultats seront confirmés quelques jours plus tard par le deuxième bulletin : avec un taux de participation de 59,97 % et 96,87 % des votes en sa possession, le CNE affirme que Maduro (51,95%) a battu le candidat d’extrême droite (43,18 %) – une avance de 1 082 740 voix. Les autres candidats de l’opposition n’en obtiennent, tous ensemble, que 600 936 (5 %).

D’emblée, le président du CNE, Elvis Amoroso, a dénoncé une « cyber-attaque massive » ayant provoqué d’importantes difficultés dans la transmission et la totalisation des résultats. D’où leur collecte encore partielle et le retard dans leur communication.

Même nuit du 28 au 29. Dans l’ouest de Caracas, devant le palais présidentiel, Maduro célèbre sa victoire avec des milliers de ses partisans accourus beaucoup plus spontanément que les médias étrangers, manifestement absents. A l’est de la capitale, dans le chic quartier d’Altamira, la Quinta Bejucal, siège de Vente Venezuela, accueille la meute des journalistes. Cela peut se comprendre. D’après les témoins, crevettes, morceaux de sashimi, pizzas, sushis, mini pizzas au pesto et tequeños [31] permettent de patienter en papotant.

Quand elle tombe, l’annonce du CNE provoque un hoquet. En compagnie du candidat González, mais lui brûlant la politesse, à 1 heure 04 du matin, Machado intervient devant les caméras : « Nous tous qui sommes ici savons ce qui s’est passé aujourd’hui. En ce moment, nous disposons de plus de 40 % des procès-verbaux. Nous disposons de 100 % des procès-verbaux transmis par le CNE. (sic !) Nous voulons dire à tout le Venezuela et au monde que le Venezuela a un nouveau président élu et c’est Edmundo González Urrutia (...). González Urrutia a obtenu 70 % des voix et Nicolás Maduro 30 %. C’est la vérité. »

L’opération « enfumage » commence. Sans grand souci de cohérence, se succèdent des résultats n’émanant pas de l’organisme électoral. Le « nous disposons de 100 % des procès-verbaux » de la déclaration initiale de Machado, est suivi, lors de la même conférence de presse, par une déclaration de Gonzalez affirmant que la PUD dispose de… « 40 % des actas ». Un peu plus tard, dans la matinée, l’avocat personnel de Machado et conseiller légal de son « Comando ConVzla », Perkins Rocha, affirme aux médias que l’opposition « possède un nombre très important de procès-verbaux », mais, qu’il ne peut pas en donner « le nombre exact [32] ».

L’opposition dispose également d’enquêtes effectuées à la sortie des urnes. Ainsi, Edison Research avait prévu que Gonzalez l’emporterait facilement, avec 65 % des voix contre 31 % à Maduro. D’aucuns objecteront que l’institut étatsunien Edison Research a une longue histoire de collaboration avec Voz of América et Radio Free Europe, organes de propagande du gouvernement américain. « Nos données démontrent clairement qu’il se produit quelque chose de frauduleux dans le décompte des votes [du CNE] », déclare d’emblée Frank Paredes, le directeur des enquêtes de l’entreprise.

Une autre consultation, celle d’Hinterlaces, l’un des instituts les plus respectés du Venezuela, a octroyé, elle, 51,2 % des voix à Maduro contre 44,2 % à González. Peu importe. Ce sont les chiffres et les éléments de langage d’Edison Research qui seront les plus repris par les médias de l’ « Occident collectif », à commencer par l’agence de presse Reuters et le Washington Post.

Dans ses premières déclarations, Machado s’est plainte : dans les centres de vote, ses témoins ont été empêchés d’accéder aux procès-verbaux, ce qui est pourtant prévu par la législation électorale. Compte tenu du climat politique, l’existence de tels incidents ne peut être récusés a priori. En nombre limité sans doute. Car sinon, comment l’opposition pourra-t-elle bientôt proclamer, triomphalement, qu’elle dispose de 100 % des procès-verbaux ? Il conviendrait de répondre à cette question avant de se lancer dans des sermons.

Quelques jours après l’élection, nous nous trouvons à La Miel, modeste bourgade de l’Etat de Lara. L’atmosphère y a été rude la veille et le jour du scrutin. « Des bandes de motards sont venus nous intimider jusque devant nos maisons, témoigne une habitante, partisane notoire de Maduro. Ils ont tourné en ville, semant la panique. Des gens venus d’ailleurs, peut-être de Colombie, et quelques-uns d’ici. » Mêmes opérations menaçantes le dimanche matin. « Pas mal de monde, surtout les personnes âgées, qui voulaient voter Maduro, ont préféré rester chez elles, effrayées par la violence de ces délinquants. »

Reconnu, l’un des jeunes locaux ayant participé au rodéo, s’est fait admonester, y compris par ses proches, lorsque le calme est revenu. « Dans la situation où l’on est, je n’allais pas refuser 40 dollars ! », a-t-il argumenté.

« On les a payés pour venir ici », confirme à El Maizal, à quelques kilomètres de là, la « comunera » chaviste Andy Gutiérrez. Même modus operandi. Des motards cagoulés, porteurs de cocktails Molotov et de gourdins. « Les voisins m’ont averti, ils viennent chez toi, ne reste pas ! » Echanges musclés avec les opposants, dans les bureaux de vote, « mais, gracias a Dios, pas de violence, on a pu contrôler. » En revanche, le lundi est terrible : « Ils ont menacé de brûler les maisons. »

Le mardi, l’activité normale reprend. « Les commerçants étaient inquiets et demandaient qu’on les protège parce que dans d’autres villes, il y avait des saqueos [pillages].  » Un silence. La militante hoche la tête : « Les dirigeants de l’opposition n’ont même pas fait campagne. Ils n’étaient pas ici, sur le territoire, ils ont juste organisé un plan violent. »

En fin de compte, on dirait qu’il s’est bel et bien passé deux ou trois choses, là-bas, au Venezuela, que n’ont pas raconté les médias.

« Menace ! » « Les missiles de Maduro »




« Venezuela : Maduro, la victoire de trop ? » – Le 7/9 de Julie Gacon, France Culture, 14 août 2024.

Quand elle entend « Venezuela », France Culture sort son revolver. L’ensemble des chaînes « publiques-privées » (France Inter, France Info, RFI, France 24) en fait autant. Le pouvoir d’évocation des mots « populisme », « dictature », « chaos » y rend leur utilisation obligatoire en toute occasion. Un travail idéologique, conformiste, de longue haleine, en phase avec la presse commerciale « privée-publique » – les uns et les autres échangeant régulièrement leurs têtes d’affiches et leurs éditorialistes vedettes lors des « mercatos ». Et les rassemblant en d’incessant débats au cours desquels ils parlent d’abondance sur des sujets dont ils ignorent presque tout, dans les studios des chaînes de « blablatage » en continu.

« Hard power »  : les « sanctions ». « Soft power »  : la diplomatie et les médias, cruciaux, en première ligne dans la guerre contre la République bolivarienne.

En 2022, une enquête du quotidien sud-africain Daily Maverich a révélé que le gouvernement britannique (à travers la Fondation Westminster pour la démocratie) finançait, à hauteur d’un million de livres sterling, des organisations et des médias d’opposition vénézuéliens – Syndicat national des travailleurs de la presse, La Prensa, Efecto Cocuyo, Radio Fe y Alegría [33]Comme les sites d’information financés par les agences étatsuniennes, il s’agit de médias… « indépendants » !

Pour cette « élection 2024 », grande première : à l’initiative du site web violemment antichaviste El Pitazo et sous le nom d’« Operativo Venezuela Vota » (« opération le Venezuela vote »), une cinquantaine de médias latino-américains et espagnols se sont organisés en « pool ». Présents dans 96 « municipios » vénézuéliens, 70 journalistes « indépendants » et 20 « communicateurs citoyens », en lien avec 18 correspondants basés dans différentes villes du monde, ont assuré la couverture de l’événement. Sur place, les médias anti-Maduro leur ont apporté leur soutien. Pendant 36 heures, en direct et en continu sur YouTube, « Venezuela Vota » a été diffusé par de nombreux chaînes et sites web de droite comme Infobae (Argentine), Correio Sabiá (Brésil), Noticias Caracol, El Heraldo et La Silla Vacía (Colombie), Adn40 (Mexique), Voces (Uruguay), ainsi que par les quotidiens La Prensa (Honduras), La Prensa (Nicaragua), La Estrella de Panamá et El Sol de México, etc. Le « streaming » étant ouvert en permanence pour que n’importe quelle autre chaîne puisse le rediffuser [34].

Qu’on ne compte pas trop sur The Guardian, El País, le New York Times, le Washington Post, la BBC ou le Corriere de la Sera pour faire davantage preuve d’impartialité. Quand, le 1er août, « la cheffe de l’opposition vénézuélienne » écrit dans une tribune publiée par le Wall Street Journal, qu’elle se cache et « craint pour sa vie », la déclaration est immédiatement reprise en « copier-coller » intégral, sans aucun recul, par Bloomberg et El Heraldo (Etats-Unis), La República et NTN24 (Colombie), Infobae (Argentine), Univisión (le plus grand réseau de chaînes de télévision d’expression espagnole aux Etats-Unis), la BBC (Grande-Bretagne), les agences de presse EFE (Espagne) et AFP (France), Le Figaro, Mediapart, L’Opinion, France Info et Ouest France (pour ne citer qu’eux).

« Comment l’opposition vénézuélienne a prouvé sa victoire électorale : une initiative politique brillante ».

Si l’on s’en tient à la loi, et comme dans de très nombreux pays, tout ce qui, le jour du scrutin, sort avant le CNE est hors la loi. Ni légal ni légitime. L’opposition n’en a cure. Elle a monté une structure parallèle, une sorte de CNE-bis, qui se matérialise par deux pages web – https://resultadosconvzla.com et elecciones2024venezuela.com – sur lesquelles elle publie très rapidement les procès-verbaux en sa possession, que tout un chacun peut aller consulter. Freiné par ce qu’il dénonce être une cyber-attaque, le CNE se révèle incapable de produire l’ensemble des « actas ». Ayant ainsi sorti le CNE du jeu et bénéficiant, on vient de le voir, de la bienveillance des médias, Machado-González prennent l’avantage dans la construction narrative qui s’ensuit.

Première phase : l’opposition affirme que les 80 % de procès-verbaux qu’elle a en sa possession lui donnent un très large avantage, mais, sur son site, n’en publie que 9 468 – le tiers de ce qu’elle prétend posséder. Les utilisateurs des réseaux sociaux se mobilisent pour aller voir de quoi il s’agit. Très vite, il se révèle que les « actas » en question concernent des bureaux de vote où, traditionnellement, la droite a toujours gagné, ce qui justifie tout naturellement l’avantage annoncé, mais aussi que de nombreuses irrégularités et inconsistances numériques entachent beaucoup d’autres procès-verbaux.

A mesure que l’opposition alimente le web en nouveaux « actas, le même constat se perpétue : incohérences dans les numéros de carte d’identité du personnel assigné à une table ; reçus incomplets et impossibilités numériques des pourcentages établis ; absence de signature des « testigos » (scrutateurs), ou des membres de la table, ou de l’opérateur de la machine à voter ; présence de plusieurs paraphes, sur un même reçu, écrits manifestement par la même personne ; initiales à la place des signatures ; initiales révélant une écriture identique ; codes QR non conformes ; absence du code de signature numérique de la machine à voter...

Rien là de vraiment nouveau : en 2004, la demande de référendum révocatoire contre Chávez avait donné lieu au même type de manipulations…

La polémique enflant, des experts s’en mêlent. Les béotiens apprennent que, sur Internet, une image laisse une trace, et que celle-ci permet de savoir si l’image a été modifiée ou si elle a été traitée pour en effacer l’historique. Au cœur du processus, les métadonnées. Dans une photo, par exemple, les métadonnées permettent de connaître le type d’extension du fichier, la taille ou la date de création. En ce qui concerne les « actas », ces « empreintes digitales » de l’image fournissent une variété de détails – marque de l’équipement qui a scanné l’original, numéro de série de l’équipement, heure et le jour où le document a été copié, etc. D’après le ministre de la Communication Freddy Ñáñez, l’absence de métadonnées détaillées dans un document « signifie que cette image a été altérée, sa couleur, son contenu, parce que des éléments tels que des chiffres, des signatures y ont été ajoutés ou soustraits. En tout état de cause, lorsque vous constatez qu’une image n’a pas de métadonnées, elle ne peut pas être considérée comme une copie fidèle de l’original [35]  ». Des 9 472 images initialement téléchargées sur le site web de l’opposition, 83 % n’avaient pas de métadonnées, affirme encore le ministre. « C’est-à-dire qu’elles étaient passées par un logiciel d’édition et (qu’elles) ne sont pas une copie fidèle de l’original. »

Après avoir sélectionné aléatoirement un « municipio » – Tinaquillo –, le chercheur espagnol Román Cuesta, spécialiste en analyse des données électroniques et en « fake news », a passé en revue tous les procès-verbaux disponibles pour ce lieu. Son examen, affirme-t-il, lui a permis de conclure que, sur 61 documents correspondant à autant de bureaux de vote, 52 présentaient des signes de graves irrégularités [36].

Candidat de l’opposition modérée (Primero Venezuela), José Brito démontra en direct que les votes de son frère et d’autres membres de sa famille avaient disparu des résultats attribués au bureau dans lequel ils avaient voté.

Edmundo González : « Vénézuélien, à travers ce lien tu pourras voir comment, avec ton vote et ta volonté, tu as changé l’histoire du Venezuela ».

Procès-verbal sans signatures des témoins.

Procès-verbal sans signature de l’opérateur de la machine à voter.

Procès-verbal sans signatures.

« Ceci est le numéro de carte d’identité de mon père qui est décédé en 2021… »

Codes QR altérés.

Définition des cyber-attaques dans la Directive PPD-20 édictée le 12 octobre 2012 par Barack Obama pour institutionnaliser ces dernières en tant qu’outil à part entière de la diplomatie et de la défense américaine [37] : «  (…) la manipulation, la perturbation, le déni, la dégradation ou la destruction d’ordinateurs, de systèmes d’information ou de communication, de réseaux, d’infrastructures physiques ou virtuelles contrôlées par des ordinateurs ou des systèmes d’information, ou d’informations qui s’y trouvent ».

Le 7 mars 2019, alors que démarrait l’opération « Guaido », une attaque cybernétique contre la centrale hydroélectrique de Guri et le système électrique a totalement paralysé pendant deux jours dix-huit des vingt-trois Etats vénézuéliens – 80 % de la population. En cette année 2024, moins de vingt-quatre heures avant le début de la journée électorale, les forces de sécurité interceptent six individus s’apprêtant à perpétrer un sabotage sur la Sous-station électrique N°1, située sur la route Ureña - San Antonio, près de la frontière colombienne, dans l’Etat du Táchira.

La cyber-attaque du 28 a ciblé en priorité la page officielle du CNE. Les protocoles d’urgence appliqués ont permis à celui-ci de recevoir et de traiter, avec du retard, 80 % des procès-verbaux et d’annoncer le fameux score « irréversible » en faveur de Maduro. Après ce communiqué, et en raison de nouvelles attaques massives et permanentes, la suite de la diffusion des résultats ne put être effectuée.

Pour expliquer la situation, le pouvoir multiplie les communications. Selon Kenny Ossa, président du Centre national des technologies de l’information (mais également d’après Víctor Theoktisto, docteur en informatique à l’Université Simón Bolivar et auditeur externe du CNE), les attaquants ont utilisé des « botnets » – armée malveillante d’ordinateurs corrompus contrôlée par un hacker – permettant des attaques « DDoS » (« déni de service distribué »). L’objectif de ce type d’intrusion est de surcharger et saturer les serveurs et autres systèmes critiques de façon à ralentir fortement ou empêcher le trafic légitime d’atteindre sa destination. La cible tombe en panne ou cesse de fonctionner.

Toujours selon Kenny Ossa, un trafic entrant hors norme et impossible à neutraliser de 700 Gbps (gigaoctets par seconde) a été signalé les 28 et 29 juillet au Venezuela [38]. Ministre des Sciences et de la technologie, Gabriela Jiménez révélera la 20 août que cent-vingt-six plateformes de l’Etat ont été attaquées pendant cette période – du CNE au fournisseur de services téléphoniques et Internet public CANTV en passant par le Système Patrie (utilisé par des millions de vénézuéliens pour avoir accès à la protection sociale) et la compagnie aérienne Conviasa.

« Il n’y a pas de preuve que le système électoral du Venezuela ait été la cible d’une attaque informatique pendant les élections du 28 juillet. » – Jennie Lincoln, cheffe de la mission d’observation du Centre Carter, à l’AFP, le 8 août 2024.

D’après Caracas, les attaques auraient eu en grande partie comme origine la Macédoine du Nord, pays qui, membre de l’OTAN, maintient des liens étroits avec les Etats-Unis et est gouverné par Gordana Siljanovska Davkova (présidente) et Hristijan Mickoski (premier ministre), issus du parti nationaliste conservateur VMRO-DPMNE. Des experts estiment pour leur part que ce pays aurait pu ne servir que de relais pour masquer la véritable origine des agressions.

Celles-ci ont néanmoins été publiquement revendiquées. Le 20 août, le hacker connu sous le nom d’Astra (« arme » en sanscrit) a déclaré avoir participé à l’attaque sur le CNE et expliqué en détail comment il a procédé. N’en déplaise au Centre Carter, il ne s’agit pas là de simples élucubrations : Astra (dont personne ne connaît l’identité) est considéré dans le monde de la cyber-sécurité comme l’un des dix hackers les plus habiles de la planète. Chilien (vivant hors du Chili) ou grec, selon les sources, il a, dans les années 2000, fait commerce de données industrielles et militaires sensibles dérobées en s’introduisant dans le système informatique de Dassault Systèmes.

D’après ses déclarations, Astra a donc, à la tête du groupe Cyber Hunters, « exécuté des opérations cybernétiques sophistiquées pour saboter le système électoral », avec pour objectif d’ « empêcher une fraude » (sic !), d’affaiblir et de déstabiliser le gouvernement de Maduro. « J’ai contacté tous mes amis d’Anonymous, que je connais depuis de nombreuses années, et je leur ai dit qu’il y avait la guerre. Je leur ai demandé de m’accompagner et ils m’ont dit : “Jusqu’au bout, mon frère”. » Avec le Guatemala, la Colombie, le Brésil, des hackers du Venezuela, des Etats-Unis, de Bulgarie et de Roumanie, nous avons un groupe d’environ deux mille hackers et chacun analyse et rend compte pendant la journée [39]. » Aucune précision sur le pourquoi de cette guerre et l’intérêt soudain d’Astra pour le Venezuela, ni sur l’existence d’éventuels inspirateurs ou commanditaires, mais l’opération est assumée. Et, de fait, le collectif Anonymous a revendiqué, le 12 août, des attaques massives sur 235 sites officiels vénézuéliens, dont Conviasa.

Rodomontades invérifiables ? Référence en matière de sécurité informatique, l’entreprise américaine NetScout Systems, plus communément appelée Netscout, fournit régulièrement des analyses précises sur les tendances et méthodes des cyber-attaques. Dans un article intitulé « Les élections vénézuéliennes depuis le cyberespace » [40], la firme a confirmé que, sur la période incriminée, une augmentation spectaculaire et anormale du trafic vers ce pays a été enregistrée. Elle a débouché, toujours d’après Netscout, sur une attaque « DDoS » massive « qui a saturé les réseaux et les serveurs jusqu’à les bloquer ». En un mot comme en cent : exactement ce qu’a dénoncé le gouvernement vénézuélien. Tandis qu’un autre constat s’impose : sur ce point, le Centre Carter a délibérément menti.

NetScout Systems : « Attaques DDoS observées au Venezuela (2024).

Conformément à l’accord passé avec l’opposition à La Barbade, le gouvernement a accepté la présence d’observateurs internationaux. Dont ceux de l’Union européenne (UE).

Premier accroc : les yeux tournés vers Washington, l’UE respecte trop les bienfaits de la sainte Hiérarchie (avec un H majuscule) pour en transgresser les principes. Le 13 mai, elle fait savoir qu’elle maintient ses mesures coercitives unilatérales et en annonce même de nouvelles contre de hauts responsables vénézuéliens, dont Maduro. Elle ne lèvera les sanctions, précise-t-elle, qu’au lendemain de la prise de pouvoir, en janvier 2025, du président élu. Pour qui ne comprendrait pas : à condition que ce ne soit pas Maduro.

Vous remarquez comme c’est logique ? C’est un peu comme si, en football, un arbitre délivrait un carton rouge, dans les vestiaires, avant le match, à l’une des deux équipes qu’il est censé arbitrer. Caracas réagit comme il se doit : « Connaissant ses pratiques néocoloniales et son interventionnisme contre le Venezuela », l’UE ne sera pas la bienvenue « dans un processus électoral si important pour la démocratie ». Bruxelles s’indigne, Josep Borell et Ursula von der Leyen trépignent, les critiques pleuvent – comme il se doit aussi.

Nouvel émoi général le 26 juillet : le blocage par Caracas d’un vol de Copa Airlines transportant d’ « importantes personnalités » désireuses d’observer la présidentielle « contribue à alourdir une ambiance déjà tendue ». Peut-être. Mais de qui s’agit-il ? Des cadavres ambulants Jorge Quiroga (Bolivie), Mireya Moscoso (Panamá), Vicente Fox (Mexique), Miguel Angel Rodriguez (Costa Rica), ex-chefs d’Etat de leurs pays respectifs, et de l’ex-vice-présidente colombienne, la très réactionnaire Marta Lucía Ramírez. Tous ennemis jurés du chavisme, tous membres de l’Initiative démocratique de l’Espagne et des Amériques (IDEA Group), au sein de laquelle la crème de la droite réactionnaire latina se retrouve avec José María Aznar et Mariano Rajoy. Aucun de ces nobles visiteurs n’est enregistré, comme l’exige la loi, auprès du CNE. Aveugle et arrogante croyance en leur supériorité, tous ont pensé qu’on pouvait entrer « observer » les élections vénézuéliennes comme on entre dans un moulin…
Juste pour rire : qu’on imagine la réaction si les ex-présidents russe Dmitri Medvédev et iranien Mahmud Ahmadineyad débarquaient aux Etats-Unis ou en France en fanfare pour, en lien avec un parti, quel qu’il soit, y « observer » les élections…

Dix députés et eurodéputés du Parti populaire (PP) espagnol – dont Esteban González Pons, vice-secrétaire général du PP et vice-président du Parlement européen –, deux législateurs, un colombien et un équatorien, deux sénateurs conservateurs chiliens subissent le même sort dès leur arrivée à l’aéroport de Maiquetia, Entre autres reproches, Caracas reçoit une lettre de protestation du gouvernement « de gauche » chilien.
Journée électorale du dimanche 28 juillet. Controverse du lundi 29. Mardi 30 au matin, le Centre Carter (CC) annule la publication d’un rapport préliminaire et retire précipitamment tout son personnel du pays. C’est depuis les Etats-Unis qu’est émis un communiqué : « L’élection présidentielle de 2024 au Venezuela n’a pas respecté les paramètres et les normes internationales d’intégrité électorale et ne peut être considérée comme démocratique. » Demande est faite au CNE de publier « immédiatement » les procès-verbaux. Quelle impatience ! Aucune mention n’est faite de la cyber-attaque dénoncée par Caracas – il faudra attendre le 8 août pour que, comme nous l’avons vu précédemment, le CC affirme qu’une telle attaque n’a pas existé.
Une journée et puis s’en va ! Là où, compte tenu de la gravité et de l’importance de la polémique, son rôle eut été de prendre son temps, d’examiner soigneusement les éléments du dossier, de faire une analyse sérieuse, la « mission technique » du Centre Carter n’a en rien respecté le rôle dont elle se réclame. En d’autres circonstances, car c’est un habitué du pays, le CC a qualifié le système électoral vénézuélien comme « le plus sûr du monde ». Les temps ont changé. L’ex-président Jimmy Carter (100 ans en octobre prochain), qui a fondé le Centre en 1982, a passé la main. Ex-haute fonctionnaire de l’USAID, l’instrument de la « Coca-colonisation », l’actuelle directrice, Paige Alexander, siège aux conseils d’administration de la Fondation roumano-américaine, de la Free Russia Foundation, du World Affairs Council d’Atlanta, de l’ADL Southeast Region (organisation pro-israélienne, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme) et est, comme il se doit désormais, membre de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme (« américano-compatibles »).

La question demeurera sans réponse, mais mérite d’être posée : en pleine campagne électorale aux Etats-Unis, le Centre Carter, d’obédience démocrate connue, aurait-il pu prendre le risque de reconnaître une victoire de Maduro sans « plomber » Biden hier, Kamala Harris à présent, face au (encore plus) bellicistes Donald Trump et à ses partisans Républicains ?
Amers, les chavistes ont préféré en rire et ont persiflé : combien de communiqués le Centre Carter a-t-il publié lorsque, en novembre 2020, le candidat Trump a dénoncé une fraude aux Etats-Unis ? Ils ont également noté que si le CC affirme n’avoir pas « été en mesure de vérifier les résultats de l’élection présidentielle », il n’a pas non plus prétendu que González l’a emporté. En tout cas, dans un premier temps. Car, deux mois plus tard, désormais très loin du terrain, le CC va changer d’avis. Le 1er octobre, devant le Conseil permanent de l’OEA, la cheffe de sa mission Jennie Lincoln se livrera à un show douteux quand, présentant « des » procès-verbaux « reçus par courrier » ( !), « recueillis et analysés » par l’opposition « et des observateurs indépendants » (lesquels ?), elle affirmera que, le 28-J, González l’a emporté avec 67 % des voix, contre 31 % à Maduro (oubliant au passage les représentants de l’opposition modérée, gratifiés par la force des choses d’un très peu réaliste 2 %).
Même CNN et l’agence de presse espagnole EFE parleront de « supposées preuves » en rapportant l’événement.

Les mauvais rapports volant en escadrille, celui, « préliminaire », du panel des experts de l’Organisation des Nations unies a enfoncé le clou de la crucifixion. Théoriquement confidentiel, destiné au pouvoir électoral vénézuélien et au secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, il fut rendu public dès le mardi soir. Tout en précisant « n’avoir pas mené une mission d’observation électorale à proprement parler », les quatre membres de la délégation onusienne y affirment que les « mesures élémentaires de transparence et d’intégrité » nécessaires à des élections « crédibles » n’ont pas été respectées. Mais, là encore, comme le CC au départ, pas de vainqueur désigné.
Cette double prise de position – Centre Carter, panel de l’ONU – donne lieu à des articles publiés avec bien du plaisir. Mais somme toute légitimes. Il s’agit d’informations, au sens propre du mot. Seulement, comme trop souvent, ces articles ne disent pas tout.

Sont également présents sur le terrain douze membres du Conseil d’experts électoraux d’Amérique latine (CEELA). Composé de magistrats ayant dirigé des organismes équivalents au CNE dans leurs pays respectifs, le CEELA a supervisé quelque 140 élections au cours des vingt dernières années. D’emblée, son président, l’équatorien Nicanor Moscoso, conteste le résultat proclamé par l’opposition. Au même moment, l’argentine Marina Violeta Urrizola déclare au quotidien Pagina12 (30 juillet) que « les élections ont lieu et continuent à se dérouler selon des paramètres normaux et attendus ». Pour elle, la publication des procès-verbaux réclamée par l’opposition, « manque de sens et va contre la loi ».
Confirmant pour sa part l’ « attaque informatique venant de Macédoine » qui a généré un « certain retard dans la publication des résultats », l’ex-président du Tribunal électoral suprême du Salvador, Eugenio Chicas, assurera, au cours d’une interview ultérieure, que « les élections ont été sûres, transparentes et vérifiées [41] ». Inutile de préciser que l‘opposition déteste la CEELA et conteste son impartialité.

Encore un organisme « douteux » ! L’Association brésilienne des juristes pour la démocratie (ABJD) communique : « D’après ce qui a été observé, le processus s’est déroulé dans le respect de la Constitution vénézuélienne et de la législation électorale, dans un climat de paix et de tranquillité. Nous regrettons l’attaque informatique du système de transmission, signalée par la CNE, qui a piégé ou bloqué les opérations et créé une méfiance quant au résultat (…)  ».



Bolloré, les Verts, PS, NPA, même combat !

« L’annonce des résultats des élections présidentielles vénézuéliennes du 28 juillet 2024 a suscité des protestations populaires massives. (…) Depuis le soir des élections, les manifestants subissent une répression implacable : au moins 1 200 arrestations (selon les données du Procureur général de la République), dont des journalistes, des étudiants, des assesseurs de bureaux de vote. A ce jour, le décompte de morts s’élève à au moins 22 victimes. Les déclarations de Nicolás Maduro selon lesquelles deux prisons seraient dédiées à l’incarcération de 1000 personnes supplémentaires, au travail forcé et à la "rééducation" des manifestants nous indignent particulièrement. Nous affirmons le droit inaliénable des Vénézuéliens à choisir démocratiquement leurs dirigeants ainsi qu’à protester sans être criminalisés par l’Etat. » – PS, les Verts, NPA, etc., Paris 9 août 2024 [42].

Le communiqué publié par une partie de la gauche française, ce 9 août, a de quoi faire sensation. D’abord par la présence du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) dans les fourgons du Parti socialiste (PS). Ensuite parce que le rejet, en fin de texte, de « toutes les prétentions et actions impérialistes au Venezuela, d’où qu’elles viennent » – mais au fait, d’où viennent-elles ? – sonne aussi juste, dans ce curieux attelage, que le fameux « mon ennemi c’est la finance » de François Hollande en d’autres temps.
D’une manière générale, ceux qui assistent aux événements ne les rapportent pas de la même manière que ceux qui signent toutes sortes de pétitions, affalés « en bas et à gauche » du canapé du salon.

Nous nous trouvons ce lundi 29 juillet au cœur de la première manifestation de l’opposition. Elle n’a pas été difficile à localiser : elle se trouve exactement au même endroit que celles ayant accompagné la violence insurrectionnelle des « guarimbas » de 2017 – auxquelles nous avons également assisté (nul n’est parfait).
Angle des avenues José Martí et Francisco de Miranda – Est chic de Caracas. Plusieurs dizaines de milliers de personnes au comportement pacifique. De notre poste d’observation, au cœur de l’action, on ne parlera pas, comme le fait la gauche franchouillarde, de manifestation « populaire ». Disons plutôt de classes « moyenne et aisée ». Ici, les jean’s sont artistement usés ; les téléphones portables sophistiqués ; les motos de grosse cylindrée.
Peu importe ce qu’ils sont, bons ou mauvais, jeunes ou vieux, sympathiques ou déplaisants : tous transpirent d’indignation, intimement persuadés que Gonzalez a gagné avec 70 % des voix. On ne peut en effet jeter une foule dans la rue qu’une fois mise en condition : des mois de propagande dans les médias et sur les réseaux sociaux sont passés par là. Ne serait-ce qu’à travers ce qu’annonçaient les sondages soigneusement sélectionnés, chacun s’en souvient.
Qu’on nous pardonne une information particulièrement déplaisante : il n’y a aucune présence policière, à ce moment.

Des drapeaux et des cris : « Liberté ! » Un lent déferlement venu du quartier (encore plus) chic d’Altamira. Vers 17 heures, l’atmosphère se tend. Des jeunes gens circulent, donnant des consignes. Masqués, cagoulés, dotés d’instruments contondants les plus divers, d’autres jeunes se portent à l’avant. Ils entraînent la « manif » vers l’ « autopista » Francisco Fajardo – la voie rapide qui traverse Caracas d’est en ouest. Objectif : la bloquer – comme en 2017, quand, pendant quatre mois, s’y sont déroulés de très durs affrontements. Un grand classique, donc. Le gros de la foule suit plus ou moins. On dira « à distance », pour être précis.

Après quelques rituels destinés aux médias (voir photo ci-dessous), les meneurs se portent au contact des forces de l’ordre, déployées à distance, cherchent l’affrontement. Très vite, toute la zone empeste l’odeur des lacrymos. Qu’ils appartiennent aux participants ou aux observateurs, les yeux pleurent abondamment. Les jeunes pestent à grands cris contre le gros de la troupe, qui demeure en retrait. Ils repartent à l’assaut. Plus ça va mal, plus ils se régalent. Normal, une grosse majorité d’entre eux est payée pour ça. Beaucoup des gentils intellectuels à la « pétitionnite » aiguë, capables de vous réciter Marx à l’endroit et à l’envers, ont manifestement raté un chapitre : celui qui traite du « lumpen prolétariat ». Ces jeunes, manifestement issus de milieux peu favorisés, qui se lancent à l’assaut de la « dictature », ne sont que la chaire à canon de l’opposition. Qui les rémunère, leur procure de la drogue dans certains cas (documentés) et les envoie au casse-pipe pour semer le chaos et parce qu’il lui faut des « victimes » à présenter à la « communauté internationale ».
De sorte que, soudain, la situation dégénère, près de « la Fajardo ».



Caracas, 29 juillet. Mise en scène et captations destinées aux médias et aux réseaux sociaux (photos Maurice Lemoine).









Caracas, début de « guarimba », 29 juillet (photos Maurice Lemoine).

Deux jours de violence extrême. Cible des « manifestants pacifiques » : soixante-deux établissements scolaires, dont trente-quatre lycées, endommagés ou détruits dans tout le pays ; trente-sept centres de santé ; trente-huit autobus, onze stations de métro ; dix sièges du PSUV ; une radio communautaire ; dix délégations locales du CNE, dont certaines sont incendiées ; les mairies de Quibor (Lara) Sotillo (Anzoátegui) et Carirubana (Falcón). A Chacao (Caracas), les fonctionnaires du ministère du Logement subissent cocktails Molotov et tirs d’armes à feu. Plus de 253 postes de police sont attaqués.

Une séquence tourne en boucle sur les réseaux sociaux : la jeune Lucero Nazaret participe à une manifestation particulièrement agitée en faveur d’Edmundo González dans le Marché communautaire de Catia La Mar. Elle crie sa grande colère, glapit des slogans. Elle se retourne, elle hurle plus fort encore, mais plus pour les mêmes raisons : ce qu’un groupe de vandales masqués très actifs eu cœur de la « manif » est en train de mettre à sac, c’est… son petit commerce ! Sa seule source de revenus…
Sachant lui aussi manier la communication, le gouvernement fait savoir qu’il lui remboursera intégralement les dégâts. Ce dont l’arroseuse arrosée le remercie chaudement devant les caméras de télévision.


« “Opération Tun Tun” : le gouvernement vénézuélien arrête ceux remettent en question la victoire de Maduro ».

Vingt-sept morts, 192 blessés, 1062 arrestations dans un premier temps. Le bilan fait le bonheur de ceux des communiquant qui évitent de se poser des questions. En authentique dictateur, Maduro réprime férocement ! Mais, parmi les victimes, figurent deux policiers tués par arme à feu ; au nombre des blessés, 24 militaires et 120 fonctionnaires de police. Militantes de base du PSUV, Cirila Isabel Gil et Mayauri Coromoto Silva Vilma sont assassinées les 2 et 2 août. Comme en 2017, les premières investigations révèlent les cas de morts dans lesquelles les forces de l’ordre n’ont strictement aucune responsabilité – Anthony García Cañizales, Olinger Montaño López, Edgar Aristigueta Orta et Jeison España Guillen. Soixante enquêteurs du Ministère public vont tenter d’élucider les autres cas.
Des interrogatoires il ressort que la grande majorité des détenus a moins de 25 ans ; que 64 % de ces défenseurs « de la démocratie » n’ont pas voté le 28 juillet ; que beaucoup ont déjà un casier judiciaire et avouent avoir été payés pour semer le chaos.

A partir de ce moment, on assiste à un affrontement surréaliste et à front renversé : relayées par les médias indignés, les organisations « de défense des droits de l’homme » dénoncent l’ampleur de la répression : 1 200 arrestations. Le pouvoir conteste cette évaluation, non pour la minorer, comme il est partout de coutume, mais pour… l’augmenter : c’est à plus de 2 000 détentions qu’il a procédé ! Le chiffre est lourd, pour ne pas dire dérangeant, mais le propos est lumineux : ce qui vient d’être stoppé net par l’ « Opération Tun Tun » (nom donné à sa riposte par le gouvernement), c’est la reconstitution des « groupes de choc » susceptibles de jeter le pays dans la situation de 2017 – plusieurs mois d’agitation et de furie débouchant sur un solde de 145 morts et plus de 1 500 blessés.

De fait, en cette fin juillet 2024, la violence stoppe immédiatement. Le lundi 29, à Caracas, par crainte d’un déchainement de violence, tous les rideaux de fer étaient baissés ; le 30, alors que les commerces des quartiers est (la bourgeoisie) demeurent fermés, une bonne moitié de ceux de l’ouest, les secteurs populaires, ré-ouvrent prudemment ; le 31, soupire de soulagement, la capitale a retrouvé son activité normale. Personne ne peut s’offrir le luxe de stopper son activité trop longtemps.

Détail non anodin : la référence aux « camps de rééducation » supposément évoqués par Maduro relève de l’imposture. Ce dont il s’est agi, dans les propos du président : apprendre un métier ou se former plutôt que de végéter dans une cellule…
Autre précision pour rassurer une humanité aux abois : il n’y a pas dans les geôles « des enfants » (qui plus est « affreusement torturés »). Il y a des jeunes, oui, mais, en bon français, c’est ce qu’on appelle des « adolescents ».

« Depuis le coup d’Etat de Pinochet contre Salvador Allende, il n’y a pas eu, en Amérique latine, de répression comme celle qui s’est déclenchée au Venezuela après les élections présidentielles du 28 juillet et jusqu’à présent », déclarera bientôt sans rire, en interview (22 août), Marino Alvarado, l’un des directeurs de l’organisation vénézuélienne d’enfumage des droits de l’homme Provea. Pour qui connaît cette partie du monde, l’assertion est tellement absurde qu’elle ne mérite même pas d’être commentée.

Sans remonter aux calendes « latinas » ni même au plus récent bilan de la terrible répression des manifestations chilienne et colombienne en 2019, on se permettra seulement de rappeler ici deux informations manifestement passées inaperçues – les propos d’Alvarado étant assez largement répercutés. Aux Etats-Unis, 1 450 « trumpistes » ayant participé aux émeutes du Capitole, le 6 janvier 2021, pour contester le résultat de l’élection, ont été inculpés. Plus de 600 ont été reconnus coupables et condamnés à des peines diverses. Le 10 août 2024, David Dempsey l’a été à 20 ans de prison pour « violence sur des policiers ». C’est la deuxième peine la plus lourde dans cette affaire après celle du chef du groupe d’extrême droite des Proud Boys, Enrique Tarrio (22 ans).
Au Brésil, pour le même type de délit – Trump ayant délicieusement inspiré Jair Bolsonaro en 2022 –, le parquet du Tribunal suprême fédéral a engagé des poursuites contre 232 personnes. Le 15 septembre 2023, deux premières condamnations sont tombées : 14 et 17 ans de prison.






Vénézuéliennes lors de l’annonce de la victoire de Maduro et manifestant le 30 juillet en sa faveur (photos Maurice Lemoine).




« La seule chose que nous ne savions pas avant les élections, c’est que les classes populaires allaient tourner le dos à leur dirigeant — et de façon massive. Cela ne s’était jamais produit auparavant. »Le Grand Continent, 31 août 2024.

Belle découverte ! On peut faire remonter à 2015 le moment où des pans des secteurs populaires ont rompu avec la « révolution ». La crise économique a ensuite amplifié le phénomène.
Caracas, lundi 29 janvier : des groupes de manifestants d’opposition descendus de Catia, à l’ouest de la capitale, bloquent les avenues ; à l’autre bout de la ville, à Pétare, jadis considéré comme le plus grand bidonville d’Amérique latine, « plusieurs milliers de personnes hurlent leur mécontentement et brûlent des effigies de Maduro » (L’Express avec l’AFP, 30 juillet). C’est juste. Mais plus d’un million d’habitants vivent à Pétare.
Surgis de Catia, de Pétare et d’autres quartiers populaires, les membres des « colectivos » – ce qu’en France on appellerait des « Antifas » – manifestent leur présence et déblaient vigoureusement les voies obstruées.
Le lendemain, c’est de Catia que démarre la manifestation d’appui à Maduro à laquelle nous assistons. Malgré la pluie battante, une masse imposante se dirige vers Miraflores pour protéger le président. Sono d’enfer. Plaisanteries et fous-rires frondeurs. Aux « Chávez c’est moi, Chávez c’est toi ! » succèdent les « Uh, ah, Nico no se va ! » (« Nico ne s’en va pas »). Un imposant bataillon de motards précède la caravane dans un hurlement de pots d’échappement.
Le 3 août, en réponse à une concentration de l’opposition, une marée rouge redescend dans la rue. Là encore, des centaines de « chevaux de fer » pétaradants précèdent l’imposant cortège qui s’élance vers le centre ville et le palais de Miraflores depuis… Pétare.









Partie de la manifestation chaviste du 30 juillet ayant démarré du quartier populaire de Catia (photos Maurice Lemoine).

A peine le scrutin a-t-il été clos qu’a débuté le concours intitulé « Qui sera le plus prompt pour manifester son allégeance à Washington ? ». Le président chilien « de gauche » Gabriel Boric gagne la compétition haut-la-main. Le 29 juillet, c’est dès 6h37 du matin qu’il expédie sur X son premier message  : « Le régime de Maduro doit comprendre que les résultats qu’il publie sont difficiles à croire. » A ce moment, aucun élément ne permet de déterminer objectivement qui a raison, du chef de l’Etat ou de son opposant. Battu sur le fil par Boric, l’ « anarcho-capitaliste » argentin Javier Milei demande à l’armée vénézuélienne de mener un coup d’Etat. Emmenée en personne par sa ministre de l’Intérieur Patricia Bullrich, une « turba » (foule hostile) entame le siège de l’ambassade vénézuélienne à Buenos Aires.

Le reste de la droite latino-américaine avance sur ce chemin balisé. Même le ministre des Affaires étrangères du Pérou – pays où le président démocratiquement élu, Pedro Castillo, pourrit en prison depuis décembre 2022 – croit pouvoir parler d’« irrégularités ». Caracas expulse illico le personnel diplomatique péruvien, ainsi que celui du Chili, de l’Argentine, du Costa Rica, du Pérou, du Panamá, de la République dominicaine et de l’Uruguay. Tous ont remis en cause la victoire de Maduro. Tous, à l’évidence, rêvent de mettre en place un « Groupe de Lima 2.0 ».

Bien entendu, en chef de file, les Etats-Unis estiment que l’opposition l’a emporté. Le jour de l’élection, le principal conseiller de Joe Biden pour l’hémisphère occidental (l’Amérique latine) s’était réuni à Washington avec Guaido, Leopoldo López et divers dirigeants de la droite factieuse vénézuélienne. Néanmoins, ni la Maison-Blanche ni le Département d’Etat ne montent immédiatement aux extrêmes. En lieu et place, Biden réussit un « coup » magistral : après appel téléphonique au brésilien Lula et au colombien Petro, il incite ces deux pays, auxquels va se joindre le Mexique d’Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), à intervenir en tant que médiateurs. Qui pourra mettre en cause l’impérialisme si l’affaire est gérée par la gauche modérée ?
Entretenant de bonnes relations avec Caracas, les trois chefs d’Etat acceptent, ne serait-ce que pour neutraliser le « Groupe de Lima 2.0 » en voie de reconstitution. Sans se rendre compte du guêpier dans lequel ils viennent de se fourrer.

Lors d’une session extraordinaires de l’Organisation des Etats américains (OEA), le 31 juillet, le secrétaire général Luis Almagro, grand inquisiteur s’il en est dès qu’il s’agit du Venezuela, a annoncé qu’il sollicitera de la Cour pénale internationale (CPI) l’arrestation de Maduro, auteur d’« un bain de sang ». Néanmoins, malgré ses efforts, l’abstention de onze pays, parmi lesquels le Brésil, la Colombie, le Mexique et la Bolivie, ne lui a pas permis de faire approuver un texte dénonçant « la fraude électorale ». Interpelé par Machado, Petro a répondu sur X : « Ce n’est pas un gouvernement étranger qui doit décider qui est président du Venezuela. » Critiqué lui aussi, AMLO condamna toute ingérence et questionna  : « Sur quelle base l’OEA affirme-t-elle que l’autre candidat a gagné ? Où sont les preuves ? »

« Il est normal de se disputer, déclare Lula dès le 1er août. Comment résoudre le conflit ? En présentant les procès-verbaux. S’il y a des doutes sur les procès-verbaux, l’opposition doit présenter un recours et attendre la décision, que nous devrons respecter. » Si l’on excepte la gauche radicale – Cuba, Honduras, Bolivie, Nicaragua, etc – ou des grandes puissances comme la Russie et la Chine, qui ont d’emblée félicité Maduro, il émerge soudain, de Washington à Bruxelles en passant par l’OEA et le centre gauche latino, une sorte de volonté forcenée : voir les procès-verbaux.
Fin août 2024, le vice-ministre vénézuélien pour l’Amérique latine, Rander Peña Ramírez, révélera avoir été étonné quand, quelques jours avant le 28 juillet, l’ambassadeur du Chili lui demanda si le gouvernement publierait des copies papier des « actas ». Question « étrange » et « inhabituelle  », estimera le vice-ministre, dans la mesure où il n’existe aucun précédent ou base juridique pour cela dans le système du pays. Le jour de l’élection, alors que le vote était encore en cours, un autre ambassadeur l’appela à plusieurs reprises pour lui poser la même question. Curieuse coïncidence. Existait-il un plan préétabli ?


Candidat de la droite modérée battu, Luis Britto suggère à la PUD d’exercer une action légale s’il lui semble que le résultat du scrutin n’est pas conforme à la réalité. Machado ne dit-elle pas qu’elle a en sa possession 100 % des procès-verbaux – ce qui n’a rien de surprenant dans la mesure où, dans chaque bureau de vote, à la fin du scrutin, ceux-ci sont remis aux témoins accrédités de tous les partis, qui doivent les contresigner.
L’opposition radicale ne bougeant pas, sauf pour incendier la rue, c’est le président Maduro qui, « en réponse à la situation exceptionnelle de violence et de déstabilisation », porte le contentieux devant la Salle électorale du Tribunal suprême de justice (TSJ), le 31 juillet. Il s’appuie pour ce faire sur l’article 297 de la Constitution et l’article 213 de la LOPE. En conséquence, la Chambre électorale convoque les dix candidats et les 38 partis qui, dans le cadre de coalitions, les ont appuyés, avec tout le matériel électoral en leur possession. Neuf candidats et 33 partis obtempèrent. Le siège d’Edmundo González reste vide.

Comme il l’avait annoncé, Maduro remet à la Cour l’ensemble des « actas » détenus par le PSUV et les partis du Grand pôle patriotique – soit 100 % des procès-verbaux. Chacun des candidats de la droite modérée, qui à aucun moment n’ont contesté le résultat (à l’exception d’Enrique Márquez), font de même. González est certes absent, mais les représentants des partis de la PUD qui l’ont appuyé – Mesa de la Unidad Democrática (MUD) , Movimiento por Venezuela (MV), Un Nuevo Tiempo (UNT) –, parmi lesquels Manuel Rosales, ont répondu à la convocation. Et c’est précisément quand ils entrent en scène qu’un coin du voile est levé. Ils ne disposent d’aucun procès-verbal ! Ils nient en avoir introduit sur le fameux site parallèle, le 28. Ils prétendent ignorer qui a procédé à l’opération et se dédouanent en signalant tout de même que l’ensemble du processus a été géré par… Súmate, l’organisation créée par Maria Corina Machado.

Tribunal suprême de justice : une chaise vide, celle d’Edmundo González.

C’est donc sans les célèbres procès-verbaux du duo Machado-González, ni aucun autre document probant fourni par eux, que la CSJ va examiner l’ensemble des éléments remis, dont les « actas », par tous les autres candidats et le CNE. Supervisés par la présidente de la CSJ Caryslia Rodríguez, des techniciens de l’Université Simón Bolivar participent à l’audit technique, sous l’œil des observateurs du CEELA. L’un des cinq recteurs principaux du CNE, Juan Carlos Delpino, n’assiste pas à l’examen, sans en préciser la raison. Proche de l’opposition et en particulier d’Action démocratique, il s’est précédemment fait remarquer en déclarant « je n’ai aucune preuve » de ce que Maduro a obtenu la majorité des voix. C’est tout. Il n’a pas non plus dit qu’il avait des preuves du contraire. Mais l’audit en cours ne l’intéresse pas…
Le 22 août, après avoir statué que les bulletins de vote remis pas le CNE concordent avec les relevés de vote de chacune des machines à voter, la CSJ certifie que, « de manière incontestable, le matériel électoral examiné valide les résultats publiés par le CNE indiquant que Nicolás Maduro Moros a été élu ».

Machado, González et leurs sbires trépignent de colère. La veille de l’audience, ils avaient déclaré « nulle et non avenue » toute décision de la haute juridiction sur le sujet. Surgies de la « communauté internationale », les préoccupations sérieuses, mais surtout fantaisistes, se multiplient. La droite continentale est égale à elle-même et montre son dédain pour les institutions du Venezuela. Aucun des dirigeants des pays en question, les mêmes que d’habitude, du Chili aux Etats-Unis, ne remet en cause l’absence totale de preuves appuyant les accusations de González.
Pour solutionner la crise, le président panaméen José Raúl Mulino ne trouve rien de mieux que d’offrir provisoirement l’asile politique à Maduro et à sa famille. Le séjour devrait être de courte durée puisque, quelques jours plus tard, le ministère des Affaires étrangères argentin exhorte la CPI à émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de Maduro.

Depuis longtemps, Caracas sait que, face à l’opinion internationale, la position de l’axe Brasilia-Bogotá-Mexico sera fondamentale. Pressés par Washington, d’où Blinken appelle régulièrement ses homologues Luis Gilberto Murillo (Colombie) et Mauro Vieira (Brésil), poussés par l’UE, scrutés par les médias, les présidents de ces trois pays sont également harcelés par l’industrie politisée des droits humains : « Petro, Lula et López Obrador devraient abandonner les euphémismes et appeler les choses par leur nom : la situation est noire ou blanche, a déclaré la vénézuélienne Tamara Taraciuk directrice de Human Rights Watch, dans un entretien remarqué à El Tiempo (Colombie). Au Venezuela, les élections ont été volées et il est important qu’ils poussent maintenant à la négociation, pas pour un pacte de coexistence politique, mais pour une transition démocratique dans laquelle la montée de l’opposition [au pouvoir] et le départ de Maduro auront lieu. » Avant de délivrer comme un avertissement : « Le rôle de Petro, Lula et Obrador est crucial et leur responsabilité énorme, pour le meilleur ou pour le pire. Il serait indéfendable et entraînerait des conséquences internes et externes si, après tout ce qui s’est passé, ce sont eux qui finissent par légitimer la fraude de Maduro. » Si ce n’est pas une forme de chantage, cela y ressemble beaucoup…

La surprise est totale : avant même la décision de la CSJ, Petro et Lula, qui, par ailleurs, ont d’incontestables mérites, proposent la mise en place d’un insolite « gouvernement de coalition provisoire » et de nouvelles élections « libres » au Venezuela. Qu’ils réclament également la levée de « toutes les sanctions » ne calme pas le fort agacement de Caracas, qui rejette catégoriquement la suggestion (ce que fait également l’opposition). Lula en déduit que le Venezuela vit sous un régime « très désagréable », avec « un biais autoritaire ». Il ne lui vient pas à l’esprit que, lorsque son élection fut contestée en 2022 et que des centaines de personnes campaient devant le quartier général de l’armée à Brasilia, scandant de vibrants « SOS Forces armées », de bonnes âmes aussi inspirées auraient pu lui demander de « cohabiter » avec Bolsonaro avant de retourner aux urnes. Quant à Petro qui, en ce moment même, dénonce être victime d’une tentative de coup d’Etat menée par des secteurs patronaux et politiques conservateurs articulés avec la criminalité organisée, pourquoi ne formerait-il pas un gouvernement de coalition avec son ennemi juré Álvaro Uribe ?

Dans l’improvisation qui préside la séquence, Petro s’enferre en évoquant le Front national, alliance du Parti libéral et du Parti Conservateur qui ont cogéré la Colombie entre 1958 et 1978 – avec pour principal résultat, les inégalités sociales demeurant insupportables, l’émergence et le développement de la lutte armée.

Aussi effaré que de larges secteurs de la gauche latino-américaine, le mexicain AMLO prend immédiatement ses distances. Il considère fort imprudente l’intervention étrangère dans les affaires d’un pays. Enchanté de la tournure prise par les événements, Joe Biden, lui, appuie ces propositions. Avant de se rétracter : elles sont finalement absurdes, González « l’ayant emporté » le 28 juillet.


Le 23 août, les Etats-Unis et dix pays d’Amérique latine contestent le rôle de la CSJ, par définition « inféodée » au pouvoir, dans la validation de la victoire de Maduro. Pour Gabriel Boric, « il ne fait aucun doute que nous sommes face à une dictature qui falsifie les élections et réprime ceux qui pensent différemment. » Nouvelle venue dans ce jeu de dupes, Kamala Harris demande à la « communauté internationale » de faire pression pour que le CNE publie les procès-verbaux. L’Union européenne acquiesce. Lula et Petro s’alignent. Eux aussi insistent lourdement sur la nécessité d’une diffusion transparente de tous les « actas ».
C’est le moment où le procureur général Tarek William Saab annonce qu’il va mettre en examen Edmundo González. La CSJ l’a déclaré « en desacato » (outrage à l’autorité) pour n’avoir pas répondu à trois de ses convocations. Il sera poursuivi pour « usurpation de fonctions, falsification de documents publics, incitation à la désobéissance aux lois, délits informatiques, association de malfaiteurs et conspiration ». Quand, le 4 septembre, va être effectivement délivré le mandat d’arrêt, Lula et Petro se joindront aux ennemis jurés du chavisme pour considérer que cet ordre de détention viole l’Accord de la Barbade. Nous y revoilà.
Eh bien, parlons-en…

L’article 3-5 de l’accord est très clair : « Promotion d’un discours public et d’un climat politique et social favorable au développement d’un processus électoral pacifique et participatif, sans ingérence extérieure, dans le respect des citoyens, de l’autorité électorale, des acteurs politiques, de la Constitution et des lois du pays. Les parties rejettent toute forme de violence dans l’exercice politique, ainsi que tout type d’action menaçant la souveraineté, la paix et l’intégrité territoriale du Venezuela. » Peut-on être plus précis ? L’autorité électorale porte un nom : CNE. Les lois du pays ont un garant : la Cour suprême de justice. Et, que l’on sache, le pays n’est pas plus sous tutelle que les Etats-Unis, le Brésil, le Pérou, le Paraguay, le Guatemala ou n’importe quelle autre nation.

Le 7 novembre 2020, aux Etats-Unis, quatre jours après le scrutin, la victoire de Biden est annoncée. Trump refuse de reconnaître sa défaite, dépose une soixantaine de recours juridiques. Ses allégations dont déclarées « infondées » par la quasi-totalité des juges fédéraux, y compris ceux de… la Cour suprême. La victoire de Biden est officialisée. Vraiment ? Qui peut affirmer qu’il a réellement été élu ? Après tout, personne n’a vu les procès-verbaux ! Il est vrai que nul n’a demandé à les voir. Qui oserait se livrer à une telle ingérence dans la caserne du gendarme du monde ?

Novembre 2022 au Brésil : s’inspirant de son ami Trump, Bolsonaro demande l’annulation de 280 000 urnes électroniques. Le président du Tribunal suprême électoral (TSE) rejette le recours. Celui du… Tribunal suprême fédéral (STF) dénonce « l’absence totale de preuves de véritable irrégularité dans le vote » et une « présentation totalement frauduleuse des faits ». A ce moment, cette Cour suprême compte sept juges nommés par Lula (au cours de ses deux premiers mandats) et sa successeure de gauche Dilma Rousseff, deux nommées par des présidents de centre droit et deux autres par Bolsonaro. Disons qu’il penche à gauche. La « communauté internationale » ne la remet pas en cause pour autant. Lula est proclamé vainqueur avec à peine plus de 1 % des voix, 43 jours après la tenue du scrutin. Pourquoi pas (et tant mieux !). Mais qui a vérifié en demandant à examiner les procès-verbaux ?

Pérou, second tour de la présidentielle, 6 juin 2021 : Pedro Castillo l’emporte (50,13 %). Battue (49,87 %), Keiko Fujimori conteste le résultat et remet en cause plus de 1 300 procès-verbaux représentant près de 400 000 électeurs. Désavouée un mois et demi plus tard par le Bureau national des processus électoraux, elle sollicite de l’exécutif un « audit international ». Président du moment, Francisco Segesti lui répond que la Constitution péruvienne ne permet pas une intervention extérieure dans le déroulement d’un processus électoral. Et Castillo prend sa fonction (pas pour très longtemps !), sans que personne ne se soit soucié de réclamer les procès-verbaux.

La présidentielle paraguayenne a eu lieu le 23 avril 2023. L’actuel chef de l’Etat, Santiago Peña (Parti Colorado), très en pointe dans la haine anti-Maduro, recueillit 42,74 % des voix. Les deux principaux battus contestèrent le résultat. La victoire de Peña fut certifiée un mois plus tard par l’autorité électorale. Mais personne (etc., etc., vous connaissez désormais la chanson).
Au Guatemala, en 2023, après la contestation très agressive de la victoire de Bernardo Arévalo (Semilla), il fallut attendre cinq mois après le second tour pour que le Tribunal suprême électoral ne refuse d’organiser une nouvelle élection et ne déclare les résultats « inaltérables » [43]. Arévalo ne dût son salut qu’à l’appui très affirmé des Etats-Unis, désireux de sortir « le pacte des corrompus » d’un pouvoir au sein duquel ils sont incrustés depuis des décennies. Le combat n’étant pas terminé, Arévalo a toujours besoin de soutien. Raison pour laquelle il se ménage les bonnes grâces de Washington en participant activement à la campagne contre le Venezuela.

La mexicaine Claudia Sheinbaum (59,75 % des suffrages, le 2 juin 2024) a pris ses fonctions ce 1er octobre. Malgré sa lourde défaite, la candidate de droite Xóchilt Gálvez (27,45 %), a contesté le verdict des urnes. Il fallut attendre près de deux mois pour que la Salle supérieure du Tribunal électoral ne tranche définitivement. Là encore, les « pro-yankees », les « eurobéats » et les « latino alignés » ne se crurent pas obligés de monter tout un show sur le thème des procès-verbaux. Ils seront représentés à la prise de fonction de Sheinbaum (à l’exception du roi d’Espagne, déclaré persona non grata, et du président équatorien Daniel Noboa, qui a fait envahir l’ambassade du Mexique à Quito par sa police, au mépris de toutes les conventions).
Conventions dont l’administration d’un AMLO en fin de mandat va finalement s’inspirer : le 27 septembre, au siège des Nations unies, la ministre des Affaires étrangères Alicia Bárcena déclarera que le Venezuela est « un problème national devenu un problème international » et plaidera pour qu’on permette aux Vénézuéliens « de prendre leurs propres décisions avec une certaine souveraineté ».

Il est dangereux de tirer le tigre par la queue. Caracas s’est incontestablement raidi. Pour des raisons de principe, on s’y refuse à céder. « Le Venezuela est souverain, c’est un pays indépendant, avec une Constitution et des institutions, déclare Maduro le 17 août sur la chaîne publique Venezolana de Televisión (VTV). Et les conflits qui existent au Venezuela, de toute nature – y compris le conflit électoral – sont résolus entre Vénézuéliens, avec leurs institutions, leurs lois et leur Constitution. » D’autres vous confient, en haussant les épaules : « De toute façon, quand bien même on présenterait les fameux “actas”, l’opposition et ses soutiens prétendraient qu’on les a trafiqués. »

María Corina Machado et Edmundo González.




« Au cours de l’été, les Vénézuéliens regardaient avec envie la présidente autocrate du Bangladesh chassée du pouvoir par son armée. Le scénario bangladais ne s’est pas reproduit à Caracas. » – Pierre Haski, Géopolitique, France Inter, 9 septembre.

Comme 90 % des Français, 90 % des Vénézuéliens se passionnent pour qui se passe au Bangladesh, c’est bien connu ! L’absence d’intervention des militaires au Venezuela désole à l’évidence Haski que révulse ce « régime autoritaire en faillite », dirigé par un Maduro « poursuivi pour terrorisme » et disposant d’une « capacité à réprimer sans limites ». Ce que l’honnête auditeur de France Inter, la première radio de France, ne saura pas c’est qu’un renversement de Maduro par un « pronunciamento » (même hautement démocratique et satisfaisant Haski) provoquerait vraisemblablement une forte réaction des secteurs populaires et de l’importante proportion de militaires chavistes (comme le 13 avril 2002), voire un début de guerre civile. Des dizaines, des centaines ou davantage de morts permettraient dès lors au célèbre journaliste-chroniqueur, qui, en complément de son travail sur le service public, publie chaque mois une rubrique dans La Chronique d’Amnesty International, d’y larmoyer dans le registre moralisateur et en mode émotionnel sur (au choix) « le nombre des victimes », « les enfants en danger », « les femmes dans la tourmente », « le désastre de la migration forcée », « l’urgence de mettre un terme aux combats », etc., etc.

Ce n’est pas faute d’avoir (encore) essayé : au lendemain du 28-J, María Corina Machado a lancé le traditionnel appel au renversement du pouvoir par la force en affirmant que « le devoir des forces armées est de faire respecter la souveraineté populaire ». Du Guaido en réchauffé. Aucune unité n’est passée avec armes et bagages dans le camp ennemi et le général Vladimir Padrino López a répondu : « Nous sommes tout simplement en présence d’un coup d’Etat. Un coup d’Etat forgé à nouveau par ces facteurs fascistes de l’extrême droite, soutenus, bien entendu, par l’impérialisme nord-américain et ses alliés, ses laquais et ses cipayes. »
On a vu Edmundo González pour la dernière fois le 30 juillet, lors d’une manifestation, aux côtés de Machado. Depuis, il a disparu. Passé à la clandestinité, du fait des menaces du pouvoir, prétend-on dans son entourage. Machado « la vaillante » étant, de son côté, dans une « semi-clandestinité ». Situation qui, peut-être, pose problème à certains. L’arrestation de l’un ou de l’autre « serait une étape qui pourrait mobiliser la communauté internationale encore plus, y compris les pays qui ne veulent pas trop faire de vagues », a commenté le 8 août l’ambassadeur des Etats-Unis devant l’OEA, Francisco Mora.

On peut comprendre la préoccupation du diplomate : les manifestations s’étiolent. Consciente du phénomène, Machado tente bien de relancer la contestation. Sortie de sa cachette le 17 août, à Caracas, elle lance à ses partisans : « Nous n’allons pas quitter la rue ! Avec intelligence, avec prudence, avec résilience, avec audace et sereinement, parce que la violence leur convient. » Rien n’y fait. La dernière « manif » convoquée par l’opposition ne réunit que quelques centaines de personnes à Caracas, le 28 août. Le 6 septembre en désespoir de cause, Machado transforme la déroute en replis volontaire : « Il n’est pas nécessaire d’appeler les gens à descendre dans la rue à tout moment (…) ils se sont déjà exprimés. » En fait, et comme jadis Guaido, son terrain de jeu se cantonne à l’international. Faute de soutien à l’intérieur, elle en est réduite à appeler « chacun des Vénézuéliens qui vivent en Espagne » à se concentrer sur la Plaza de las Cortes de Madrid « pour continuer à avancer jusqu’à ce que le monde entier reconnaisse Edmundo González Urrutia comme président élu ».

La droite a un véritable problème : en l’absence physique du « président élu », qu’on ne voit qu’épisodiquement sur les réseaux sociaux, en costume-cravate et devant un drapeau du Venezuela, les opposants ne se sentent guère incités à se mobiliser. Quand il dit « en avant », Maduro, lui, est présent à la tête de ses partisans !
Déjà dans le doute, la droite, soudain, prend le ciel sur la tête. Le 7 septembre, c’est de la bouche honnie de la vice-présidente Delcy Rodríguez qu’elle apprend le départ de son champion.

L’opération suicide de « Maricori » le plaçait dans une situation de grande vulnérabilité : dès le 29 juillet, González a demandé refuge à l’ambassade des Pays-Bas. Prévue pour durer, la violence des « comanditos » se déchaînait ; en tant que potentiel auteur intellectuel, il convenait de se mettre à l’abri. Dans son camp, tout le monde croyait certes Edmundo « clandestin », mais en résistance. Ne l’avait-on pas vu dans une manifestation, le 30 juillet ? Il va demeurer trente-deux jours dans la résidence néerlandaise, d’où, avec le soutien du pays hôte et contre tous les usages diplomatiques, il mobilise ses troupes à travers X, WhatsApp et autres nouvelles technologies de la communication. En parallèle, il n’a qu’un objectif, quitter le pays.

Visé par un mandat d’arrêt – « désobéissance aux lois », « conspiration », « usurpation de fonctions » et « sabotage » – à partir du 3 septembre, l’opposant envoie son avocat José Vicente Haro porteur d’un courrier au Ministère public dès le lendemain. De la crise on passe à la surprise. A travers cette visite, qui n’a rien de secrète – González l’annonce lui-même sur X – sont reconnues les compétences légales et constitutionnelles des cinq pouvoirs de l’Etat vénézuélien : « J’ai toujours été et je serai toujours disposé à reconnaître et à respecter les décisions adoptées par les organes judiciaires dans le cadre de la Constitution, y compris la décision susmentionnée de la Salle électorale, que je respecte, même si je ne le partage pas, car il s’agit d’une résolution du plus haut tribunal de la République. » González fait d’autre part savoir qu’il n’a en aucune manière participé au montage du site web resultadosconvzla.com. Il y a de la capitulation dans ce premier pas.

Edmundo González sur X (semblerait-il, sans coercition !) : « J’ai remis une lettre au bureau du procureur général de la République, en relation avec les derniers événements »

Sans que l’information ne transpire dans sa famille politique, car le pouvoir, lui, suit de très près les événements, González passe de l’ambassade des Pays-Bas à la légation ibérique. Le 7 septembre, il quitte le pays avec sa femme Mercedes, à bord d’un avion de l’armée de l’air espagnole autorisé à se poser sur l’aéroport qui dessert Caracas, Maiquetia.

Au sein de l’opposition, c’est l’Apocalypse. Pour beaucoup, l‘impression de s’être fait rouler. On exhume du passé le slogan : « Jusqu’au bout ! » Jusqu’au bout ou, comme tous les autres, jusqu’à Miami ou Madrid ? González est de ceux qui prêchent l’engagement aux autres et se tirent quand il faut payer la note !
Un autre courant relativise, histoire de ne pas désespérer Altamira : le « président » sera plus utile en liberté à Madrid que prisonnier dans son pays.
Reste Machado. Ravagée et furieuse « La Sayo », jubilent sans même s’en cacher les chavistes. González le confirmera dans un entretien avec l’agence Reuters : il ne l’a prévenue de son départ qu’au tout dernier moment. Elle vit ce lâchage de sa créature comme une trahison. Elle ne peut toutefois l’attaquer publiquement. Il faut sauver les apparences. Elle allume en toute hâte un contre-feu dans El País  : « Le régime a exercé [sur lui] une pression très cruelle, ils n’ont aucun scrupule, ils sont capables de dépasser toutes les limites. Ils utilisent des méthodes pour semer la panique dans cette société. () Le régime voulait qu’il parte, il l’a forcé ; il ne voulait pas partir. »

Le mensonge fait partie de l’arsenal, au même titre que les explosifs, les grenades et les fusils d’assaut. Dans ce cas, il ne va pas très loin. Hôte du « candidat élu » pendant quasiment un mois, le ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas Caspar Veldkamp révèle que, début septembre, González a, de son propre chef, manifesté son intention de quitter la résidence, puis le pays : « J’ai parlé avec lui de la situation au Venezuela, de l’importance du travail de l’opposition et de la transition vers la démocratie, et j’ai souligné que notre hospitalité était sans limite de temps. Néanmoins, il m’a indiqué qu’il voulait s’en aller et continuer son combat depuis l’Espagne [44]. »

La suite ressemble à une partie de poker menteur où, depuis l’extérieur, l’observateur peut deviner à l’avance chacun des coups que les adversaires vont se porter. Une fois dans l’ambassade d’Espagne, González a rencontré la vice-présidente Delcy Rodríguez et le président de l’Assemblée nationale Jorge Rodríguez. Détail amusant : sous le coup de sanctions de l’UE, les deux ont interdiction de fouler le territoire européen. Ce qu’ils font en pénétrant dans les locaux diplomatiques espagnols, rendant fous de rages les opposants vénézuéliens. L’ambassadeur est accusé d’avoir été, en les recevant, complice du pouvoir vénézuélien !
A cette occasion encore, González signe un courrier dans lequel il reconnaît la sentence du TSJ, affirme qu’il part volontairement et s’engage à ne pas se proclamer président ni à organiser un gouvernement parallèle en exil.

« Little Caracas », à Madrid, la nouvelle capitale de l’extrême droite vénézuélienne, au même titre que Miami : González échappe certes à l’emprise de Machado, mais tombe sous la coupe des Leopoldo López, Julio Borges et autres Mariano Rajoy. Il précise donc immédiatement et tout à fait spontanément que son départ du Venezuela a eu lieu sous la contrainte : « Il y a eu deux jours de négociations, 48 heures très tendues, ce n’était pas une situation où l’on signe librement un document. »
Comme toujours, les « ultras » sous-estiment les chavistes. Jorge Rodríguez rend publics un enregistrement audio et des photos prouvant clairement que, en présence de l’ambassadeur et du chargé d’affaires espagnols, la rencontre a eu lieu dans une ambiance courtoise et détendue. Ce que confirme l’ambassadeur d’Espagne, provoquant de nouveaux hurlements.

Moins courtoises et moins détendues les relations entre Caracas et Madrid. Qui de Machado ou des « exilés » va contrôler González ? Qui, par la même occasion, mettra la main sur le magot généreusement distribué (sauf changement) par les Etats-Unis ?

Réunion dans l’ambassade d’Espagne : Delcy Rodríguez, Edmundo González, Jorge Rodríguez et le chargé d’affaires espagnol.

Espagne : Edmundo González et Mariano Rajoy.

A quelques semaines d’une élection présidentielle au résultat imprévisible, les options des Etats-Unis pour accentuer l’offensive sont assez limitées. Formellement, Washington n’a pas reconnu González comme le président élu du Venezuela. Si seize nouveaux fonctionnaires – du CNE, du TSJ et de l’institution militaire – ont été « sanctionnés » pour « obstruction à un processus électoral présidentiel compétitif et inclusif », le Département du trésor a renouvelé le 30 septembre, jusqu’à avril 2025, la licence n° 41 qui permet à Chevron d’opérer au Venezuela (bien que grands producteurs, les Etats-Unis ont besoin d’importer certains types d’hydrocarbures, comme les vénézuéliens, idéaux dans de nombreuses raffineries conçues pour traiter du pétrole brut lourd).
On aurait tort d’y voir un relâchement. Le 26 septembre, au Palace Hotel de New York, en marge de l’assemblée générale des Nations unies, les représentants de trente-huit pays et de l’Union européenne – sans le Mexique, la Colombie, le Brésil et la France – se sont retrouvés dans le cadre d’une réunion consacrée au Venezuela que présidaient Antony Blinken et la ministre des Affaires étrangères argentine Diana Mondino. Une configuration non anodine quand on connaît les relations exécrables qu’entretiennent Javier Milei et Nicolás Maduro.
« Il est crucial de maintenir cette pression collective dans les mois précédant l’investiture présidentielle, prévue le 10 janvier, a déclaré Blinken. Nous ne pouvons pas nous contenter de seules déclarations communes. Nous devons prendre des mesures communes. C’est la seule façon de changer les calculs de Maduro et son comportement. »
Secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro a profité de l’occasion pour rappeler son action auprès de la CPI. L‘objectif demeure d’obtenir l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre « les principaux responsables de crimes contre l’humanité » vénézuéliens, dont, évidemment, le chef de l’Etat.

En Europe, la droite extrême et ses complices sont également à l’offensive. Le 11 septembre, à l’initiative du Parti populaire, le Congrès espagnol a reconnu González comme chef de l’Etat élu. Il ne s’agit pas là d’un vote purement symbolique dans la mesure où le chef du gouvernement Pedro Sánchez affirme que, avec ses partenaires européens, il cherche une issue pour que Maduro, « quitte volontairement le pouvoir » – quitte à être un peu poussé.
Huit jours plus tard, précisément, le Parlement européen, de plus en plus dominé par l’extrême droite, a adopté une résolution « non contraignante » faisant de González le « président légitime » du Venezuela. A ce stade, aucun exécutif n’a suivi, mais le ton est donné.

L’Assemblée générale de l’ONU a permis aux parangons de vertu Gabriel Boric et Javier Milei, d’unir leurs voix pour exprimer les positions les plus dures et les plus tranchées contre Caracas. Le duo Lula-Petro s’empêtre dans ses contradictions. Les deux se sont embarqués dans cette histoire, animés au départ des meilleures intentions. Petro, surtout, multiplie les déclarations contradictoires. Un coup il condamne « les sanctions » et les Etats-Unis, l’autre coup il veut voir les « actas ». Lula se montre plus raide, à l’évidence froissé que son rôle de leader régional, aspirant qui plus est à un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, soit remis en question.

Les deux chefs d’Etat doivent tenir compte de la situation interne de leurs pays respectifs. Aucun des deux n’y a la majorité. Lula, pour l’emporter a dû offrir la vice-présidence à un politicien de droite, Geraldo Alckmin. Pour gouverner, il louvoie avec le centre – le « centrão ». La vague bolsonariste n’est pas retombée. Des élections municipales sont prévues en octobre. Montrer une quelconque affinité avec Maduro sera monté en épingle et peut impacter négativement l’électorat. Lula ne doit pas, non plus, déplaire en Europe – le traité de libre-échange UE-Mercosur (Marché commun du sud), très contesté des deux côtés de l’Atlantique, mais auquel il tient, n’étant toujours pas bouclé.
On comptera également avec le ministre des Affaires étrangères, Mauro Viera, qui n’a rien d’un progressiste. Pas plus que ne l’est son homologue colombien Luis Gilberto Murillo. Tous deux ont été ambassadeurs aux Etats-Unis ; tous deux y ont conservé des contacts.
Le 5 septembre, après une énième réflexion déplaisante de Murillo, Maduro a vivement répliqué : « Vous ne me verrez jamais, moi ou mon ministre des Affaires étrangères, faire des déclarations sur les affaires intérieures de la Colombie. Avez-vous vu notre chancelier parler de la Colombie ? Avez-vous vu Maduro ? Nous sommes les facilitateurs officiels du processus de paix colombien [avec l’Armée de libération nationale ; ELN] et nous ne laissons jamais un journaliste nous soutirer un mot, car ce sont les affaires qui concernent ce pays. »

Petro ? En situation difficile. Sous pression des « poderes facticos », pouvoirs factuels et non élus – médias, patronat, armée, ONG, etc. – qui sabotent ses réformes et pourrissent son mandat. De multiples obstacles se dressent devant son grand dessein, la paix totale, et les négociations avec les groupes armés. Petro se dit menacé de mort – ce qui est parfaitement plausible (Maduro aussi – ce qui est absolument certain). Le Conseil national électoral (CNE) enquête et menace de destituer le chef de l’Etat colombien. Sa campagne électorale de 2022 aurait dépassé les dépenses autorisées et reçu des fonds douteux. Des accusations qu’il rejette catégoriquement. Depuis Caracas, Maduro le soutient, sans demander à voir… les comptes de campagne.
Le 16 septembre, le Sénat colombien a approuvé une résolution – 87 « pour », 27 « contre » – demandant à Petro de reconnaître en Edmundo González le président élu du Venezuela.
Dernière version de l’imbroglio : faute de procès-verbaux, Lula et Petro ont décidé qu’ils ne reconnaîtront ni Maduro ni González comme président du Venezuela. Ils ne rompront pas non plus les relations diplomatiques. Ce qu’on appelle rester au milieu du gué.

Sauf évolution d’ici au 10 janvier 2025, cette position très ambiguë marque une nouvelle fracture au sein des gauches. La rupture avec une grosse majorité des « progressistes » européens était déjà évidente. En Amérique latine, les membres de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) – Cuba, Nicaragua, Bolivie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, etc. – ainsi que le Honduras appuient sans réserves Maduro. Le Mexique, fidèle à sa doctrine, respecte la souveraineté du Venezuela. AMLO lui même, comme la présidente hondurienne Xiomara Castro n’a de cesse de dénoncer les permanentes ingérences de Washington dans la vie interne de son pays. Le Chili d’un Boric au cerveau plein de principes abstraits constituait jusque-là une exception. Brésil et Colombie se trouvent désormais dans un curieux entre-deux. Car, contrairement aux apparences, et au-delà des membres de l’ALBA, Caracas ne manque pas d’amis. Le 29 septembre, les organisations politiques et sociales du Forum de São Paulo lui ont apporté leur soutien : « Face aux agissements de l’extrême droite, il devient impératif pour nos forces politiques d’appeler au respect des institutions démocratiques du Venezuela », a mentionné le texte avant de célébrer « l’autodétermination du peuple vénézuélien en relation avec les résultats électoraux qui ont donné la victoire au président Maduro. »
Pour mémoire, le Forum regroupe 123 partis, organisations communautaires, syndicales, sociales, ethniques et environnementales de 27 pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Parmi eux, Mouvement des sans terre (MST) du Brésil, le plus puissant et le plus respecté (sauf par la droite !) des mouvements sociaux latino-américains.



Que faire lorsque plus personne ne veut descendre dans la rue ? En vue d’une journée de manifestation prévue le 29 septembre, María Corina Machado a rendu publique une nouvelle stratégie : les « comanditos en essaim  ». « Les commandos organisés en essaims peuvent faire beaucoup de choses et je sais que vous me comprenez, a-t-elle indiqué à ses partisans. L’essaim est une organisation mobile, agile, super dynamique, sans début ni fin, liquide, adaptable, qui apparaît et disparaît, qui agit de manière décentralisée et est coordonnée à travers les réseaux sociaux. » De fait, ce 29 septembre, de petits groupes se sont rassemblés spontanément dans tout le pays avant de se séparer tout aussi rapidement. Passant, de fait, quasiment inaperçus !

On pointera néanmoins que le cas échéant, s’il devait se développer et se perfectionner, ce type d’organisation peut se montrer beaucoup plus offensif – dans le genre guérilla urbaine de harcèlement. Contrairement aux apparences, Machado n’a rien inventé. En 2000, une étude de la Rand Corporation a défini cette technique de « swarming » (« essaimage ») comme « une manière stratégique, coordonnée et apparemment inconsistante, mais délibérément structurée, de mener des attaques militaires dans toutes les directions » [45]. Une possible fabrique de confrontations instantanées, sans leader central apparent, à surveiller de très près.

Le 30 août, le président Maduro a demandé aux Vénézuéliens d’avoir « des nerfs d’acier ». Vice-président du PSUV, Diosdado Cabello, un dur, compagnon de route du Chávez insurgé, influent chez les militaires, a été nommé ministre de l’Intérieur. Signe qu’il n’y aura aucune faiblesse face à la déstabilisation. Preuve d’un autoritarisme croissant ?
Ceux qui ne se défendent pas se transforment en moutons. Les loups n’ont plus qu’à se servir. Quatre-cents fusils d’assaut dissimulés dans plusieurs conteneurs de marchandises banales en provenance d’Orlando (Floride) ont été récemment interceptés. Seule l’armée des Etats-Unis les utilise. Le 16 septembre, nouvelle saisie : cette fois, les armes ont été fabriquées par Century Arms, une entreprise étatsunienne spécialisée dans la reproduction des AK 47.

Ces dernières semaines, quatorze ressortissants de diverses nationalités ont été détenus en divers endroits du territoire. Parmi eux, un tchèque, deux espagnols. Parmi eux, surtout, arrêté le 30 août, au lendemain de l’élection, Wilbert Joseph Castañeda, militaire d’active américain, membre de l’unité d’élite des Navy SEAL, ancien de l’Afghanistan (2010) et de l’Irak (2014), expert en explosifs et en combat urbain. Entré dans le pays à plusieurs reprises clandestinement.

« Plus que perméable, le régime vénézuélien est vecteur de théories du complot qui permettent de maintenir le pays dans une forme de paranoïa politique permanente (…) L’instabilité politique actuelle est malheureusement propice à la propagation de théories complotistes, et il n’est vraiment pas improbable que le régime de Maduro ait de plus en plus recours à ce type de rhétorique conspirationniste dans les semaines ou mois qui viennent. » – Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, membre de l’Observatoire du conspirationnisme, sur France Info, 13 septembre 2024.

A propos : qui se souvient du titre de la chaîne Arte, le 5 mai 2020, au lendemain de l’Opération Gédéon ? « Le Venezuela victime d’une tentative d’invasion, selon son président  ». Les 3 et 4 mai, encadrés par deux mercenaires étatsuniens, deux commandos venus de Colombie avaient tenté une incursion armée neutralisée par les forces de sécurité vénézuéliennes. Propriétaire, aux Etats-Unis, de la compagnie de sécurité privée Silvercorp, Jordan Goudreau, un ancien des Forces spéciales US, décoré pour ses faits d’armes en Irak et en Afghanistan, avait entraîné la troupe et organisé l’expédition. Le projet avait fait l’objet d’un contrat signé avec le « président » fantoche Juan Guaido, contrat qui prévoyait le paiement d’une somme de 212,9 millions de dollars pour, entre autres joyeusetés, « capturer / arrêter / éliminer Nicolás Maduro » [46].

L’événement fit à l’époque l’objet de commentaires dubitatifs style Arte et surtout, en France, où l’on se défie « des complots », d’un très profond silence sur le fameux contrat, que seule la presse étatsunienne documenta et commenta. Ce qui aurait pu faire dire à certains mauvais esprits qu’il y avait chez nous un complot pour occulter la vérité – mais, passons, n’en rajoutons pas.
Seulement, va savoir ce que les conspirationnistes sont capables d’imaginer ! Le 31 juillet 2024, Goudreau, le chef mercenaire, a été arrêté et reclus dans un centre de détention de Brooklyn, à New York. Une accusation fédérale émise à Tampa (Floride) l’accuse d’avoir violé les lois américaines sur le contrôle des armes à feu en assemblant et en expédiant vers la Colombie des armes, des munitions, des silencieux, des lunettes de vision nocturne et d’autres équipements militaires nécessitant une autorisation spéciale. Matériel qui, on l’aura deviné, fut utilisé au cours de l’Opération Gédéon.
Bonne fille, la justice étatsunienne ne s’intéresse qu’à cette affaire de contrebande et, elle aussi, semble oublier l’intervention militaire et « le contrat ». Goudreau ayant promis qu’il ne chercherait pas à s’enfuir, il a été libéré et mis sous bracelet électronique le 7 septembre dernier, dans l’attente de son jugement.

Contrat signé entre Jordan Goudreau et Juan Guaido.

Pourquoi revenir sur cette sombre affaire ? Parce que le 31 juillet, précisément, jour de l’arrestation de Goudreau, un certain Erik Prince a ému le réseau social X en annonçant : si la récompense pour la tête de Maduro et de Cabello est portée à 100 millions de dollars, « vous n’avez qu’à vous asseoir et attendre qu’opère la magie ».
Plein d’énergie, Prince fourmille d’idées – même si elles sont souvent assez nulles. En 1990, âgé de 21 ans, il s’est rendu au Nicaragua et y a collaboré avec l’Association nicaraguayenne des droits de l’Homme (ANPDH) pour y monter de fausses accusations de charniers. Il s’agissait de mettre en accusation le gouvernement sandiniste dans le cadre du soutien US à la contre-révolution. Les années, depuis, ont passé, mais, l’ANPDH existe toujours. En 2018, dans le cadre de la grave crise nicaraguayenne, c’est elle qui a annoncé le chiffre extravagant de 309 morts, victimes du gouvernement de Daniel Ortega. L’accusation fit le bonheur des rédacteurs en chef en pilotage automatique. Suite à un conflit interne au sein de l’ANPDH, on apprendra plus tard que les chiffres ont été volontairement gonflés « pour recevoir davantage de subventions des Etats-Unis » [47].

Pour en revenir à Prince, on le retrouve dans les SEAL de l’US Navy, en Haïti, au Moyen-Orient et en Bosnie. Revenu à la vie civile, il fonde en 1997 ce qui va devenir la Société militaire privée la plus puissante au monde, Blackwater. Symboles de la privatisation de la guerre, ses « contractors » opèrent aux côtés ou à la place de l’armée US dans neuf pays du monde. Sous George W. Bush, ses contrats avec le gouvernement des Etats-Unis dépassent le milliard de dollars. La machine s’enraye en 2007 quand le massacre à Bagdad de dix-sept civils irakiens, à la mitrailleuse de 7.62, donne lieu à l’accusation de crime de guerre. Rebaptisée Academy, la firme est vendue par Prince en 2010 (les « contractors » condamnés pour le crime de Bagdad seront amnistiés par Donald Trump en 2020).

C’est auprès de l’administration Trump que, en 2019, Prince a cherché à obtenir des financements et un soutien politique pour déployer une armée privée… au Venezuela. En échange de 40 millions de dollars, il proposait de monter des opérations clandestines, puis de déployer entre 4 000 et 5 000 mercenaires recrutés en Colombie, en Equateur et au Pérou, pour renverser Maduro. Manque de chance, le créneau était occupé. Goudreau et son opération Gédéon emportèrent le marché. Prince s’en montra mortifié, mais a de la suite dans les idées.
Quand, après la victoire annoncée de Maduro, le « Grand Venezuela Circus » démonte son chapiteau, laissant en plan sur la piste les ex-acrobates vedettes Machado et González, le « chien de guerre » expédie une vidéo sur les réseaux sociaux : « Nous, vos amis du nord, même si nous ne sommes pas avec vous aujourd’hui, nous serons bientôt là. Nous vous appuyons jusqu’au bout. »
Il se trouve que, heureux hasard, deux sénateurs républicains de Floride, Rick Scott et Marco Rubio, ont déposé le 19 septembre un projet de loi, intitulé « Stop Maduro » pour augmenter de 15 à 100 millions de dollars la récompense offerte pour la tête du chef de l’Etat vénézuélien.

Depuis quelques jours, provoquant moult spéculations, de mystérieux messages circulaient sur le Net : « Un mouvement imparable a commencé. Et l’histoire du Venezuela est sur le point de changer à jamais. Cette fois, il n’y a pas de retour en arrière possible. Aujourd’hui, Miraflores est en panique. Ils savent que l’inévitable approche. »

Le voile de mystère s’est déchiré le 16 septembre lorsqu’a été lancée la campagne « Ya Casi Venezuela ». Avec Prince pour tête d’affiche, censés financer la lutte « pour la liberté au Venezuela », les comptes de l’Outside America Foundation, que dirige Joshua P. Jones, un ex-procureur américain, recevront des dons en dollars et en crypto-monnaies. Les buts précis de ce financement demeurent très flous, nullement expliqués par les initiateurs de l’opération. On remarquera juste que Prince n’est ni un promoteur immobilier ni le bénévole d’un refuge pour déshérités. On soulignera en conséquence que, au pays de la liberté, de l’amour du droit et de la justice, il est possible à des citoyens ou à des fondations de collecter des fonds pour tenter de renverser, voire d’assassiner, un président. Mais, pour ne pas exciter l’ire de France Info, en aucun cas on ne parlera de complot. En revanche, ce qu’on affirmera, c’est que la politique « ferme » de Caracas en matière de sécurité est particulièrement justifiée.


« Le commencement de la fin est proche » – Site de l’opération de recueil de fonds « Ya Casi Venezuela ».




[1Initialement, l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Panamá, le Paraguay et le Pérou, rejoints ensuite par le Guyana, Haïti, Sainte-Lucie et la Bolivie (sous le gouvernement de facto de Jeanine Áñez).

[2Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication : société privée de droit belge permettant de réaliser des virements bancaires internationaux ; plus de 11 000 organisations bancaires et de titres, infrastructures de marché et entreprises en sont clientes dans plus de 200 pays et territoires. En 2021, Swift a transmis plus de 10 milliards d’ordres de paiement dans le monde, avec un pic journalier à plus de 50 millions.

[3https://progressive.international/wire/2021-10-18-un-expert-releases-full-report-on-impact-of-us-led-sanctions-against-venezuela/fr

[4file :///Users/admin/Downloads/IF10715.pdf

[5« Carajo »  : terme familier, très employé. On peut traduire, au choix : « On a résisté, bordel ! » ou « on a résisté, nom d’un chien ! ».

[6Lire Frank Hoffman, Complex Irregular Warfare : the Next Revolution in Military Affairs, Orbis, été 2016.

[7El Universal, Caracas, 23 octobre 2023.

[8Giuseppe de Corso, Breve Historia de las migraciones colombo-venezolanas : un pasaje de ida y vuelta, El Perro y la Rana, Caracas, 2023.

[9Fondée en 1993, Transparency International publie annuellement un rapport qui ne représente pas la corruption réelle, mais la « perception » d’experts et personnalités du monde des affaires » établie à travers des sondages d’opinion. L’organisation ne dénonce jamais nommément les entreprises corruptrices ; ses attaques portent exclusivement contre les Etats, avec un intérêt particulier pour ceux qui ne s’alignent pas sur les positions américaines.

[10The Economist, « Venezuela’s autocrat launches a massive corruption probe », 30 mars 2023.

[11Après sa récente réélection, Maduro a annoncé qu’il souhaite axer de nouveau son pays « sur la voie des cryptos ».

[12Episode raconté dans Juanito la Vermine, Roi du Venezuela (Don Quichotte, Montreuil, 2023).

[13Lire « Trump en a rêvé, Biden l’a fait » (22 octobre 2021) – https://www.medelu.org/Trump-en-a-reve-Biden-l-a-fait

[14Référence à la Doctrine de Monroe (1823) par laquelle Washington justifie implicitement sa future politique de domination de l’ensemble du continent américain.

[16Approuvée lors du Sommet mondial des Nations Unies tenu en 2005, la Responsabilité de protéger (R2P) envisage le recours à la force et à « l’intervention humanitaire » pour protéger une population contre le génocide, les crimes de guerre, la purification éthique et les crimes contre l’humanité.

[17« La citoyenne María Corina Machado Parisca est inhabilitée à exercer des fonctions publiques pour une période de quinze (15) ans, conformément à la résolution numéro 01-00-000285, du 16 septembre 2021, émise par le Contrôleur général de la République en vertu d’une enquête qui débuté en mai 2014 et au cours de laquelle des mesures de protection [« medidas cautelares »] ont été prises. Sans préjudice des poursuites pénales et pécuniaires auxquelles ses agissements pourraient donner lieu. »

[18Comme Primero Justicia, le parti s’est coupé en deux après un conflit interne. Les dirigeants de la faction modérés, AD, ont été reconnus par la justice comme les représentants légitimes du parti.

[20Robert Matthews, « Venezuela : Una política externa pendular », in Cuadernos del Tercer Mundo, n° 72, Mexico, janvier-février 1985, pp. 38-39.

[21Lire « Baie des Cochons ou “Opération Mangouste” ? » (18 mai 2020 – https://www.medelu.org/Baie-des-Cochons-ou-Operation-Mangouste

[22Lire Alfred de Zayas, « Les élections vénézuéliennes du 28 juillet 2024 : que croire et qui croire », Venezuela Infos, 12 septembre 2024 – https://venezuelainfos.wordpress.com/

[23El Universal, Caracas, 19 février 2024.

[24Créée dans les années 1970 par des exilés chiliens, adossée à une organisation culturelle éponyme, la revue Espaces latinos, devenue Nouveaux Espaces latinos, s’est progressivement pliée à la nécessité de poignarder dans le dos la gauche latino-américaine pour ne pas affecter sa recherche permanente de subventions.

[25Sur le conflit avec le Guyana, lire : « Et au milieu coule l’Esequibo » (13 février 2024) – https://www.medelu.org/Et-au-milieu-coule-l-Esequibo

[28In David Colon, La guerre de l’information. Les Etats à la conquête de nos esprits, Tallandier, Paris, 2023.

[30Les deux candidats principaux disposent de témoins dans tous les bureaux de vote. Les « petits partis » ne disposent pas de suffisamment de main d’œuvre pour être représentés partout.

[31Le tequeño est un amuse-gueule vénézuélien composé de bâtonnets de fromage blanc à pâte dure (queso blanco) entourés d’une bande de pâte et ensuite frits.

[37Antonia Chayes, Borderless Wars : Civil Military Disorder and Legal Uncertainty, Cambridge University Press, New York, 2015.

[38En 2020, Google a publié un graphique des cyber-attaques sur lequel le pic absolu était de 623 Gpbs.

[42Signataires : A nous la démocratie ; ⁠Arguments pour la lutte sociale (Alputsoc) ; ⁠Ensemble ! ; Les écologistes-Europe écologie les Verts ⁠ (EELV) ; Gauche démocratique et sociale (GDS) ; ⁠Gauche écosocialiste (GES) ; Gauche républicaine et socialiste (GRS) ; ⁠Génération·s ; Nouveau parti anticapitaliste – l’Anticapitaliste (NPA-A) ; Parti Socialiste (PS) ; Pour une écologie populaire et sociale (Peps) ; ⁠Rejoignons-nous ; Réseau Bastille. Ni la France insoumise (LFI) ni le Parti communiste (PCF) n’ont signé.

[43Lire « Juillet 1954 : Washington plonge le Guatemala dans l’abîme » (8 juillet 2024) – https://www.medelu.org/Juillet-1954-Washington-plonge-le-Guatemala-dans-l-abime

[46Lire « Baie des Cochons ou « Opération Mangouste ? » (18 mai 2020) – https://www.medelu.org/Baie-des-Cochons-ou-Operation-Mangouste

[47Lire « Quand on veut noyer l’ALBA, on l’accuse d’avoir la rage », 18 janvier 2019 – https://www.medelu.org/Quand-on-veut-noyer-l-ALBA-on-l-accuse-d-avoir-la-rage



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