Par 204 voix pour (dont une écrasante majorité des socialistes), 24 contre (gauche radicale, communistes et Verts) et deux abstentions (socialistes), le Parlement portugais a voté, le 13 avril, en faveur de la ratification du traité intergouvernemental « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire » (TSCG) - dit également « Pacte budgétaire »-. Dans le même mouvement, il a adopté le Mécanisme européen de stabilité financière (MES). Ce faisant, le Portugal est le deuxième pays de l’Union européenne (UE), après la Grèce, à ratifier ces traités qui vont enfermer l’Europe dans des politiques de super-austérité et la plonger dans la récession. Cette dernière, en anémiant l’économie, constitue la sombre promesse d’une explosion du chômage, de la précarité, des inégalités, de la misère pour tous les peuples européens. Et ce, pour les années à venir.
Cette capitulation du pouvoir politique devant la haute finance - au Portugal comme ailleurs – se traduit par des politiques d’austérité - réduction des salaires, des retraites et des dépenses publiques ; libéralisations et privatisations en tout genre ; démantèlement du droit du travail et de la protection sociale, etc. - qui font la preuve quotidienne de leur inefficacité pour résorber la crise des dettes souveraines. Elles aggravent la crise sociale et économique qui affecte déjà, entre autres, l’Espagne, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, l’Irlande, la Roumanie et le Portugal. Imposées sans relâche depuis des mois par la « troïka », Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE), Fonds monétaire international (FMI), ces politiques sont désormais gravées dans le marbre du TSCG et du MES sous la formulation « programme d’ajustement macro-économique ».
L’Allemagne, l’Espagne et le Danemark ont amorcé leur processus de ratification. Et en ont partiellement indiqué le calendrier : dans chacun de ces pays, cette dernière, du MES et/ou du TSCG, devrait intervenir avant l’été [1]. Seule l’Irlande, dont le gouvernement, pour des raisons constitutionnelles, organisera un référendum pour le TSCG (il se tiendra le 31 mai), pourrait enrayer un processus européen austéritaire garanti, partout ailleurs, par le jeu de majorités parlementaires serviles.
Dans le même temps, tous les gouvernements, les institutions de l’UE et la BCE s’échinent à contenir la crise monétaire et des dettes : injection régulière de fonds aux banques privées par centaines de milliards d’euros, organisation de la restructuration de la partie de la dette grecque détenue par les investisseurs privés, annonce quasi quotidienne de nouvelles restrictions en matière sociale et budgétaire quelque part en Europe.
Mais rien n’y fait rien : la tempête financière ne se calme pas. Les taux d’intérêt sur les titres de la dette italienne et espagnole reprennent leur envolée. Demain, c’est la dette de la France – comme le prouve la récente création d’un nouvel instrument spéculatif sur ses titres [2] - qui fera le miel d’une spéculation bourdonnante qui attaque sans relâche. Et elle continuera. En effet, l’objectif des marchés financiers n’est pas que les Etats remboursent leur dette, mais qu’ils continuent à en payer les intérêts Ad Vitam Aeternam si possible, afin de gonfler leur rente.
Comme le décrivait déjà Karl Marx dans son chapitre du Capital (livre I) intitulé « Genèse du capitaliste industriel », « la dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle dote l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée. Les créditeurs publics, à vrai dire, ne donnent rien, car leur principal, métamorphosé en effets publics d’un transfert facile, continue à fonctionner entre leurs mains comme autant de numéraire. Mais, à part la classe de rentiers oisifs ainsi créée, à part la fortune improvisée des financiers intermédiaires entre le gouvernement et la nation - de même que celle des traitants, marchands, manufacturiers particuliers, auxquels une bonne partie de tout emprunt rend le service d’un capital tombé du ciel - la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne. » [3]
Au fond, l’objectif et les mécanismes ont peu évolué. Gouvernements et principaux partis de l’oligarchie (qu’ils soient aujourd’hui conservateurs ou sociaux-démocrates) agissent pour faciliter cette « aliénation de l’Etat » [4] aux intérêts de la rente à laquelle ils sont d’ailleurs souvent directement associés : la classe des gouvernants transite de l’Etat au secteur privé, de l’industrie à la haute finance, de la banque à la direction d’un pays, etc [5]. Plus qu’une stratégie planifiée et conspiratrice, la prédation de l’Etat et de ses richesses publiques est le fruit d’une action menée par les différentes fractions - parfois concurrentes - de la classe dirigeante pour laquelle il n’existe pas d’autre mouvement du réel que celui du capital, de sa logique et de ses intérêts.
Pour cette oligarchie, la reproduction de ce capital est, en toute circonstance, l’ultime raison d’Etat. Elle est nécessaire au maintien du monde tel qu’il est. Et, pour ce faire, la vampirisation des finances publiques doit s’accompagner d’une politique visant à organiser, toujours et encore, l’extension des secteurs économiques et sociaux dans lesquels la logique de marché, du capital et de l’accumulation peut être instillée. Le moyen : lever tous les obstacles pouvant se dresser contre elle (droits sociaux, salariaux et syndicaux). D’où également la nécessité, sur le plan politique, de contourner la souveraineté populaire autant que de besoin lorsque les intérêts supérieurs du capital sont en jeu ou en danger. C’est ici toute l’histoire de la construction européenne et particulièrement celle qui, aujourd’hui, est à l’œuvre avec les deux nouveaux traités en cours de ratification.
Ratification en catimini des traités austéritaires
Le MES, signé le 2 février par les dix-sept Etats membres de la zone euro, et dont l’entrée en vigueur est attendue le 1er juillet, intègre le traité de Lisbonne par l’amendement de l’article 136 [6] de ce dernier.
Pour sa part, le Pacte budgétaire, signé le 1er mars par 25 des 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) - le Royaume-Uni et la République tchèque ayant refusé de s’y intégrer - prévoit, dans son article 14.6, une incorporation au traité de Lisbonne au maximum 5 ans après son entrée en vigueur.
La stratégie arrêtée par les dirigeants de l’UE et les gouvernements pour égarer l’attention publique et procéder à une ratification en catimini des traités consiste à élaborer plusieurs textes organisateurs séparément, à les négocier et à les ratifier dans des temporalités différentes. Ils sont ensuite intégrés au corpus des textes européens via de multiples procédures juridiques offertes par les droits nationaux et le droit communautaire. La dilution des processus de ratification dans un calendrier quinquennal permet de brouiller les pistes et d’empêcher des votes clairs sur une question claire.
Le MES succédera au Fonds européen de stabilité financière (FESF) - institué en mai 2010 [7] - à partir du 1er juillet (au lieu du 1er juillet 2013 comme initialement prévu). Financé par le budget des Etats au prorata de leur PIB annuel, il dispose d’un capital minimum de 80 milliards d’euros financé par ces derniers et d’une capacité d’intervention actuelle de 800 milliards d’euros.
La première préoccupation des dirigeants européens est d’éviter qu’un pays utilise son droit de véto sur l’entrée en vigueur du MES. Ce droit est réservé aux Etats qui participent à hauteur d’au moins 10 % du total du capital de l’institution. Ainsi, Allemagne, Espagne, France (qui contribue à hauteur de plus de 20% de ce capital) et Italie sont priées de ratifier - et au plus vite - ce texte. La France a ouvert le bal dès le 21 février.
Certes le MES utilise des fonds d’Etat pour financer d’autres Etats, mais toute « assistance financière » est ici subordonnée à de « strictes conditionnalités ». Et quelles sont-elles ? Il s’agit, ni plus ni moins, de l’application des politiques de la « troïka » dont on constate chaque jour les ravages. Telle est, dans la novlangue de l’UE, la définition d’un mécanisme de « solidarité ».
Qui pourra d’ailleurs en « bénéficier » ? Outre le fait que des pays pourront être mis sous pression de la Commission européenne pour accepter « l’aide financière » à « titre de précaution », seuls les Etats qui auront ratifié l’autre traité – le TSCG – pourront solliciter le MES !
Ainsi, qui ratifie le MES s’engage pour le Pacte budgétaire . Ce second traité, sur lequel 25 Etats se sont mis d’accord le 25 janvier, vise à imposer une « règle d’or » renforcée à chacun d’entre eux. Désormais, les pays signataires s’engagent à durcir les dispositions budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance (1997). Leur déficit ne devra « pas dépasser 0,5% du PIB » (article 3.1.b). Quant à leur dette publique, elle devra être contenue dans la limite des 60% de leur PIB. De plus, les Etats réaffirment leur engagement à « réduire d’un vingtième par an la différence entre leur dette publique et le seuil de 60 %. Pour la France, dont la dette publique est de 87 %, ce sont 26 milliards d’euros qu’il faudrait rogner ! » [8].
Par ailleurs, par ce traité, la Commission européenne est autorisée à publier des rapports sur les pays membres qui ne respecteraient pas les conditions du Pacte afin que d’autres puissent saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), institution non élue. Celle-ci, sur la base du rapport, pourra, in fine, déterminer si le budget d’un Etat est en règle. Si elle juge qu’il ne l’est pas, elle aura alors le pouvoir de lui infliger une amende pouvant aller jusqu’à 0,1 % de son PIB.
Le TSCG - qui devra être ratifié par au moins 12 Etats de la zone euro avant qu’il puisse entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2013 - confirme enfin l’engagement des Etats à s’inscrire dans le Pacte pour l’euro - [9] et prévoit également qu’à partir du 1er mars 2013 aucune aide financière ne pourra être versée à un Etat au titre du MES si ce dernier ne l’a pas ratifié ! La boucle est bouclée : MES et Pacte budgétaire ont partie liée et constituent les maxillaires inférieur et supérieur de la mâchoire austéritaire européenne.
Il a fallu attendre 1907 pour que, dans le cas d’un conflit entre Etats en matière de remboursement d’une dette, le principe d’un règlement politique soit, pour la première fois, supérieur à celui du droit d’intervention militaire. Ce fut la convention Drago Porter qui innova en ce sens, dans la foulée du blocus imposé par l’Allemagne, la Grande Bretagne et l’Italie au Venezuela en 1902. Elle prévoyait que l’activation d’un mécanisme d’arbitrage politique entre ses Etats signataires précède l’éventuel emploi de la force par l’un d’entre eux ou par une coalition.
C’est seulement depuis 1946 et la Charte des Nations unies que sont formellement proscrites des relations internationales les « guerres de la dette souveraine » [10].
Aujourd’hui, c’est par la politique fiscale et budgétaire que les Etats dominants européens et leurs classes dirigeantes aliènent les Etats dominés et asphyxient les populations de tous. Jusqu’ au retour de nouvelles guerres ?
NB : Deux sites d’extrême-droite (Nouvelle droite populaire-Ile de France et Guerre sociale) ont publié cet article sans l’autorisation de l’auteur. S’il avait été sollicité, ce dernier aurait catégoriquement refusé cette publication et l’utilisation du nom de notre association dans des médias d’organisations dont il réprouve fondamentalement les valeurs et l’idéologie.
Mémoire des luttes a demandé aux deux sites en question le retrait immédiat de cet article.