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Accord UE/Mercosur : derrière la façade du libre-échange et du multilatéralisme

mercredi 10 juillet 2019   |   Christophe Ventura
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Japon, Canada et désormais Marché commun du Sud (Mercosur – Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). L’Union européenne cherche à s’imposer comme bloc géo-économique en apparence porteur d’une troisième voie libre-échangiste et normative (intégrant dans ses accords multilatéraux des engagements de toutes les parties signataires à adopter et respecter ses normes et barrières « non tarifaires » – santé, technologies, environnement, travail, etc. –) face à l’unilatéralisme commercial des Etats-Unis et à l’expansion commerciale « sans éthique » de la Chine.

En réalité, ce sont des stratégies différentes qui sont mobilisées par tous ces acteurs pour atteindre les mêmes objectifs : imposer ses normes juridiques et commerciales, ses produits, services et technologies à valeur ajoutée dans les relations commerciales internationales afin de s’assurer une position dominante dans la conduite d’un système économique, commercial et financier international en crise depuis 2008, caractérisé par une réduction durable du commerce, de la croissance et des débouchés et une instabilité croissante. Cet objectif nécessite également de maintenir les pays fournisseurs de matières premières et de ressources naturelles dans une position subalterne et de dépendance par l’imposition d’accord asymétriques.

Unilatéralisme ici – « Vous voulez avoir accès à notre marché pour vos entreprises, banques et productions ? Alors obéissez à mes exigences politiques et économiques » pour Donald Trump –, multilatéralisme là – aux exigences modulées selon qu’il s’agisse des intérêts de l’UE ou de la Chine – : les Etats-Unis, la Chine – elle même promotrice de plusieurs accords commerciaux méga-régionaux – et l’Union européenne organisent en réalité la nouvelle phase de leur concurrence géopolitique et économique à travers l’univers des relations commerciales.

Le document intitulé « Nouvel accord de commerce UE/Mercosur. L’accord dans ses principes », publié par la Commission européenne le 1er juillet, en fourni l’illustration.

Les pays du Mercosur disposent d’un délai de dix ans (quinze sur des produits stratégiques) pour éliminer leurs barrières douanières sur 91 % de leurs importations européennes – produits industriels, technologiques et services – et adopter les normes européennes.

De son côté, l’UE s’engage à faire de même (graduellement parfois avec l’application de tarifs préférentiels dans une première étape) sur 92 % de ses importations – essentiellement des matières premières et agricoles – du Mercosur. Ainsi, les pays du Mercosur obtiennent un quota de 99 000 tonnes de viande de bœuf (correspondant à moins de 2 % de la consommation européenne) exportables chaque année (contre 60 000 actuellement, ils demandaient 400 000). Chaque produit et secteur est négocié de la sorte (sucre, éthanol, riz, fromages, vins, boissons, huiles, agrumes, etc.).

Pour leur part, les subventions agricoles européennes pourront continuer mais elles ne concerneront plus les exportations vers le marché Mercosur. Les entreprises européennes pourront compter avec la protection de 355 « AOC » (appellation d’origine contrôlée) sur les marchés sud-américains, autant de produits que les entreprises des pays du Mercosur n’auront pas le droit de produire, imiter et concurrencer (vins, textile, luxe, gastronomie, etc.). Ce point est déterminant et indique un élément central de la stratégie européenne : s’imposer sur les filières d’excellence, du haut de gamme face à ses concurrents.

La partie du document la plus intéressante est consacrée aux « règles d’origine », aux procédures « douanes et facilitation du commerce », aux « recours commerciaux », aux « mesures sanitaires et phytosanitaires », aux « marchés publics », etc.

La boussole de la négociation indique toujours le même sens : les pays du Mercosur devront ouvrir leurs secteurs aux entreprises européennes (notamment en matière de marchés publics) et toujours respecter et adopter les normes européennes en tout pour continuer à bénéficier de leurs avantages tarifaires. Par exemple, leurs pratiques douanières devront s’aligner sur celles en vigueur en Europe (baisse continuelle du temps de contrôle des marchandises pour accélérer les flux et leur densité).

De plus, l’UE pourra toujours – comme le Mercosur sur le papier – actionner des clauses de sauvegarde pour protéger non pas ses marchés officiellement, mais ses consommateurs.

Les pays signataires devront également être en ligne avec les obligations juridiques contenues dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce.

En cas de litige commercial, les parties s’engagent à passer par l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

Quid des engagements climatiques et sociaux ?

Dans son chapitre 14, le document indique que « l’accroissement du commerce ne doit pas se faire au détriment de l’environnement ou des conditions de travail. Au contraire, cet accroissement doit promouvoir le développement durable. » Et dans un style conforme à ce registre des injonctions contradictoires, d’ajouter : « Cet accord ne doit pas amenuiser (le droit des signataires) à réguler (sous entendu comme ils l’entendent) leur environnement et leurs marchés du travail, notamment dans des situations où l’information scientifique n’a pas de caractère concluant ». Chacun pourra donc interpréter cette phrase comme il l’entend – elle a été rédigée pour cela –, de Jair Bolsonaro – le droit de déforester et d’utiliser la chimie dans l’agriculture – à Emmanuel Macron.

Ces engagements ne sont par ailleurs accompagnés d’aucune sanction commerciale directe prévue en cas de non respect par les signataires...

Celles et ceux mobilisés en faveur de la lutte contre les dérèglements climatiques apprécieront...

Texte disponible en téléchargement (« Agreement in principle ») : http://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=2039





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