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Chronique - décembre 2008

Retour des Etats

jeudi 4 décembre 2008   |   Bernard Cassen
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Depuis le traité de Rome de 1957, les mécanismes fondamentaux de la construction européenne sont restés inchangés. Cette construction est la résultante d’une tension permanente entre deux logiques contradictoires, chacune incarnée par des institutions : d’un côté une logique intergouvernementale, celle de l’ Europe des Etats, qui trouve son expression dans le Conseil ; de l’autre, une logique fédérale ou supranationale représentée par la Commission européenne, le Parlement européen et la Cour de justice des Communautés européennes.

En un demi-siècle, le balancier a penché tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. On peut, en gros, distinguer trois périodes : d’abord celle qui va de 1958, date de naissance de la Communauté économique européenne - devenue Union européenne (UE) en 1993 –, à l’Acte unique européen de 1986 ; ensuite celle qui s’écoule du milieu de la décennie 1980 à la période récente ; enfin celle qui s’ouvre avec le rejet du traité constitutionnel européen par la France et les Pays-Bas (2005), se prolonge en 2008 par le « non » irlandais au traité de Lisbonne (2008) et surtout par la crise systémique du modèle néolibéral qui s’est étendue au Vieux Continent.

Dans la première période, les potentialités institutionnelles du traité de Rome ne sont pas complètement mises en œuvre. Les Etats gardent la main et la Commission essuie un échec majeur quand, pour bloquer ses propositions, relayées par l’Allemagne, en matière de financement de la politique agricole commune (PAC), le général de Gaulle impose, en janvier 1966, le « compromis de Luxembourg ». Cet accord, obtenu après six mois de politique de la « chaise vide » de la France dans les instances européennes, permet à un Etat de revenir à la règle de la décision à l’unanimité, donc au droit de veto, dans les domaines (c’est le cas de l’agriculture) où la majorité qualifiée, terrain de manœuvre privilégié pour la Commission, est la procédure prévue par le traité.

La deuxième période voit au contraire la forte montée en puissance de la logique supranationale. Au cours de ses dix années de présidence de la Commission (1985-1995), Jacques Delors est l’un des architectes majeurs de deux traités qui entraînent de considérables transferts de compétences des Etats vers les institutions communautaires. D’abord l’Acte unique européen, entré en vigueur en 1987, qui systématise la procédure de la majorité qualifiée pour l’achèvement du marché unique, en mettant la Commission au centre du jeu grâce à ses pouvoirs propres en matière de concurrence. Ensuite le traité de Maastricht (1992) qui créée une nouvelle institution supranationale, la Banque centrale européenne (BCE), totalement indépendante des Etats. Parallèlement, au fil des traités, le Parlement européen élargit ses pouvoirs de co-décision avec le Conseil.

La troisième période commence avec les « non » français, néerlandais et irlandais, dont une des caractéristiques communes est le refus populaire d’une Europe « bruxelloise » qui se fait sans les citoyens, voire contre eux. La crise financière signe le grand retour des Etats, au détriment des instances supranationales, mais avec des attentes contradictoires : pour les puissances économiques et financières, c’est un mal nécessaire (et provisoire) en vue de sauver le capitalisme ; pour la majorité des citoyens, c’est un désir de protection contre les ravages de la mondialisation libérale. En tout cas les protagonistes, Etats et sociétés, sont désormais face-à-face sans le filtre des institutions européennes.





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