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Guatemala : Deux anciens présidents sont accusés de crime contre l’humanité de persécution. Le Procureur de la CPI est saisit.

vendredi 12 juillet 2024
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Une plainte a été déposée au Bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale contre deux anciens présidents du Guatemala pour crime contre l’humanité de persécution.

La situation de violence politique et sociale, d’impunité généralisée et de corruption que ne cesse de connaître le Guatemala au fil de sa tragique histoire, a été encore plus exacerbée au cours des présidences de la République de Jimmy Morales et d’Alejandro Giammattei qui ont mis en place un système de répression conduit par la Procureur Générale María Consuelo Porras, le procureur spécial contre l’impunité (FECI) Rafael Curruchiche et la procureur régionale du Ministère Public Cinthia Monterroso.

Une plainte a été déposée le 5 juin dernier au Bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), Mr. Karim Khan accusant ces personnes du crime contre l’humanité de persécution. Elle demande l’ouverture d’une enquête et l’émission de mandats d’arrêt contre les auteurs de ce crime international, les sanctionner, rendre justice aux nombreuses victimes des graves dommages et souffrances causés à la majorité de la population du pays comme à la justice du pays et du monde comme pour mettre fin au système d’impunité.

Le dossier de la plainte a été élaboré puis soutenu par de nombreux dirigeants communautaires, organisations paysannes, indigènes, membres d’organisations sociales, diverses personnalités, intellectuels, avocats, universitaires de renom guatémaltèques mais aussi d’Europe, des Etats-Unis et de Colombie.

On se souviendra de la situation qu’a connu le pays au cours de ces présidences, des attaques répétées menées par ces dirigeants et leurs obligés, dont le président Jimmy Morales, contre la création et le fonctionnement de la CICIG (Commission des Nations Unies contre l’Impunité au Guatemala) jusqu’à obtenir la fin de son mandat en août 2018 après avoir déclaré une année auparavant son chef, le commissaire Iván Velásquez, persona non grata faisant ainsi obstruction grave à la justice et réprimant les opposants.

Cette Commission, une première en son genre, avait suscité beaucoup d’espoir et permis nombre de résultats positifs par son travail exhaustif de lutte contre la corruption et l’impunité. Mais également contre le système de « judiciarisation de la persécution » qui viole l’article 28 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Elle a reçu, tout au long de son existence, un très fort soutien tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cependant, elle mettait en danger le système d’impunité mis en place par les personnes poursuivies pour commettre des crimes et actes de corruption en toute impunité. Ce système est constitutif du crime contre l’humanité de persécution tel que défini par le Statut de Rome, article 7 (1) (h) qui définit ce crime et (2) (g) qui établit ses éléments. Pour mémoire, le Guatemala est partie au Statut de Rome qu’il a ratifié le 26 janvier 2012 et qui est entré en vigueur le 23 février de la même année.

On se rappellera que le Département d’Etat américain avait déjà sanctionné l’ex-Président Giammattei et les autres procureurs au début de l’année 2024 pour avoir reçu des pots-de-vin dans l’exercice de leur mandat et fonctions. 41 autres pays s’étaient joints à ces sanctions et avaient qualifié ces personnages d’«  acteurs antidémocratiques  » pour avoir tout tenté pour perturber les élections présidentielles et bloquer, entre autres, la candidature du candidat du Mouvement Semilla, M. Bernardo Arévalo, qui a pu finalement, après bien des menaces et procédures dilatoires, se présenter et être élu le 20 août 2023 puis enfin prendre ses fonctions le 14 janvier 2024 malgré nombre de tentatives pour l’en empêcher.

Au cours de ces années de présidence de MM Morales et Giammattei, la répression a frappé nombre de secteurs de la société guatémaltèques, dont des dirigeants indigènes, sociaux, universitaires et défenseurs des droits de l’homme qui sont victimes d’une répression d’état. Nombre d’entre eux restent poursuivis sans fondement ou sont encore détenus arbitrairement jusqu’à ce jour. C’est le cas de tous les secteurs de la société guatémaltèque qui luttent contre la répression de l’état, l’impunité et la corruption qui gangrènent le pays. C’est en particulier le cas des étudiants de l’Université San Carlos qui sont poursuivis injustement pour avoir dénoncé l’élection frauduleuse du recteur et de tant d’autres opposants défenseurs des droits de l’homme, militants indigènes qui luttent contre la corruption et l’impunité qui sont victimes de détention arbitraire ou conduit à l’exil.

La note rappelle la gravité extrême des « crimes internationaux en général et des crimes contre l’humanité en particulier qui doivent être poursuivis et ne sauraient rester impunis ». C’est la raison pour laquelle la plainte déposée demande au Procureur de la CPI d’analyser l’imposant dossier détaillé qui lui a été remis pour qu’il puisse l’examiner rapidement en profondeur pour qu’il poursuive ces personnes, émette des mandats d’arrêt contre elles pour avoir commis le crime contre l’humanité de persécution.

Patrick Zahnd, expert en droit international franco-suisse, professeur à Sciences Po Paris, un des signataires de la note, appelle tout un chacun à soutenir cette plainte, à être solidaire des victimes de ce crime et lutter contre l’impunité. « Le Guatemala et sa population ne doivent plus devoir souffrir des conséquences d’une si longue, insupportable impunité aux conséquences tragiques dans l’indifférence du monde, qui s’ajoute au long chemin de souffrance qu’a connu le pays dans le passé ».

C’est pourquoi cette plainte a été déposée devant la Cour Pénale Internationale. Elle a été présentée par M. Ramon Cadena, célèbre avocat guatémaltèque, défenseur des droits de l’homme et expert en la matière. Il l’a fait avec le concours de M. Feliciano Velasquez et M. Mauro Vay Gonón dirigeants communautaires ainsi que différents experts juridiques européens, nord-américains et colombien.

« On espère que la Cour Pénale Internationale ordonne la détention des deux ex-présidents guatémaltèques, de la Procureur Général Consuelo Porras et des procureurs Curruchiche et Monterroso » ont déclaré les auteurs de la note.

Ramon Cadena fait la démonstration dans la plainte de la culpabilité de ces personnes du crime contre l’humanité de persécution tel que défini par l’article 7 (1) (h) et (2) (g) du Statut de Rome qui a créé la Cour Pénale Internationale (CPI) c’est-à-dire des actes « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque  » et représentent un « déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international pour des motifs liés à l’identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet  » et ce pour quelque motif que ce soit qu’il soit d’ordre politique, racial, national ou ethnique et culturel.

Le document présente de manière détaillée et documentée les arguments juridiques et matériels ainsi que les preuves qui soutiennent cette plainte et que ces personnes ont commis « une série d’actes ou attaques généralisées et systématiques  » contre la population civile du pays. Généralisées également au regard de la quantité d’attaques dénoncées contre nombre d’avocats défenseurs des droits de l’homme, de procureurs, magistrats, journalistes qui sont encore poursuivis, en détention ou en exil.

Le dossier remis au Bureau de Procureur de la CPI est composé d’une lettre détaillée adressée au Procureur Karim Khan et trois dossiers apportant des éléments de preuves détaillés de l’existence du crime international contre l’humanité de persécution dont chacun connaît les éléments et la gravité et justifiant le recours à la juridiction complémentaire de la CPI.
Chacun comprendra la difficulté d’attirer l’attention sur le Guatemala et la situation qui y a régné et dont les effets continuent de se faire ressentir après l’arrivée du nouveau président puisque ces magistrats sont toujours en poste. Chacun est invité à appuyer cette plainte et à se saisir de ce dossier au nom de l’intérêt de la justice, de la lutte contre l’impunité d’auteurs de crimes internationaux en ayant à l’esprit les souffrances de tout un peuple depuis de longues décennies.

Patrick Zahnd

Professeur invité à Sciences Po Paris / PSIA





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