Chroniques du mois

Pour les vrais maîtres de l’Europe, l’UE et l’euro sont des réussites…

samedi 1er septembre 2012   |   Bernard Cassen
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Avec Le Monde diplomatique en español

Pour ses partisans, le néolibéralisme n’est pas une idéologie. C’est un projet naturel et évident d’épanouissement des libertés. Il existe toutefois une hiérarchie de ces libertés. Certaines - celles qui concernent l’économie et la finance - sont en effet beaucoup plus importantes que d’autres, et c’est pourquoi, dans ses traités, l’Union européenne (UE) les qualifie significativement de « fondamentales ». Il s’agit des libertés de circulation des capitaux, des biens, des services et des personnes (il faudrait plutôt dire de la main d’œuvre… ). Le tout avec comme principe directeur la « concurrence libre et non faussée ». L’UE est ainsi devenue la première entité inter-étatique organisée en vue d’inscrire dans son ordre juridique les fondements de l’utopie néolibérale, à savoir l’hégémonie des marchés – en premier lieu des marchés financiers - et le désarmement de l’Etat.

La création de l’euro, par le traité de Maastricht de 1992, a constitué un pas supplémentaire dans cette direction : elle a installé au cœur de l’UE une forteresse de la finance, la Banque centrale européenne (BCE), dotée de considérables pouvoirs et mise à l’abri de tout contrôle démocratique. La BCE réalise ainsi le fantasme de tout banquier central : être totalement indépendant du pouvoir politique, voire lui dicter sa politique. Il faut rappeler que la Bundesbank d’avant l’euro n’était pas complètement autonome par rapport au gouvernement allemand, pas plus que la Réserve fédérale ne l’est aujourd’hui par rapport à la Maison Blanche.

Ce dispositif a été complété par la création de la « troïka » qui, outre la BCE, comprend deux structures tout aussi « indépendantes » : la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI). Ce sont eux les vrais maîtres de l’Europe, et ils le font sentir sans ménagement aux Etats qui, l’un après l’autre, passent sous leur tutelle et sont rabaissés au statut de protectorats. C’est déjà le cas de l’Irlande, de la Grèce et du Portugal. Cela le sera sans doute bientôt de l’Italie, de Chypre, de la Slovénie et de l’Espagne. En attendant d’autres… Chose impensable il y a encore quelques années, le président de la BCE, Mario Draghi se permet, sans que cela provoque l’indignation générale, de dicter dans le détail aux gouvernements les mesures qu’ils doivent prendre pour « bénéficier » d’un plan de « sauvetage ». Une version européenne des plans d’ajustement structurel longtemps imposés aux pays du Sud par le FMI et la Banque mondiale…

Dans son rapport mensuel publié le 9 août, la BCE exige la baisse des salaires (en particulier celle du salaire minimum) ; l’assouplissement, sinon le démantèlement, des lois de protection des travailleurs ; la fin de l’indexation des salaires sur l’inflation dans les pays où elle existe ; une législation favorable aux entreprises ; la suppression des entraves à la concurrence internationale, etc. Peu lui importe que ces recettes, déjà appliquées, pour tout ou partie, dans la plupart des pays, n’aient fait que provoquer la hausse du chômage et de l’endettement public, ainsi qu’une récession en voie de généralisation. Dissimulé derrière le prétexte de la crise, le véritable objectif est autre : il s’agit de détruire l’Etat social mis en place en Europe après le seconde guerre mondiale et d’y restaurer la toute-puissance du capital.

Il est naïf de se contenter de déplorer l’échec de ces politiques, même si cet échec est total au regard de leurs objectifs officiellement affichés. Grâce à l’UE et à l’euro, on peut au contraire parler d’une grande réussite dans la mise en œuvre du projet néolibéral. Pour l’instant…





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