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Libération et le Venezuela : désinformation à vie ?

lundi 16 février 2009   |   Maximilien Arvelaiz, Thierry Deronne
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Le 15 février, avec un taux de participation de 70 %, les Vénézuéliens ont ratifié à 54, 36 % - soit 1, 30 % de plus que le score de Nicolas Sarkozy lors de son élection en 2007, et 1, 46 % de plus que celui du vote populaire pour Barack Obama en novembre 2008 - le projet d’amendement à la Constitution qui leur était soumis. Cet amendement supprime les limites au nombre de mandats que les élus locaux et nationaux, dont le président de la République, pourront effectuer. Cette nouvelle victoire de Hugo Chavez, malgré la virulente campagne nationale et internationale menée contre lui (notamment sur son prétendu “antisémitisme”) (L’Association israélite du Venezuela remercie Hugo Chavez), devrait logiquement clouer le bec aux médias donneurs de leçons de démocratie à la Révolution bolivarienne. En particulier au quotidien parisien Libération. Si l’on en juge par l’article publié par ce journal la veille du scrutin, cette pilule lui sera difficile à avaler.

Ce n’est pas lui, ni les autres grands médias français qui, par exemple, rappelleraient que la Constitution bolivarienne prévoit la possibilité d’un référendum révocatoire à mi-mandat. Procédure unique au monde, à laquelle Chavez s’est déjà soumis en 2005 et à laquelle il devrait à nouveau se soumettre en 2010 si les électeurs le décidaient. Voilà une réforme constitutionnelle à suggérer à Nicolas Sarkozy pour mettre la France au même niveau d’exigence démocratique que le Venezuela...

 

Une photo de l’agence Reuters montre un Chavez solitaire émergeant, narquois, de son château-fort. Le titre : "Chavez se verrait bien en président à vie". Les intertitres (de la rédaction) : "caudillo" et "insécurité". Les témoins cités parlent de “caudillisme”. La Révolution bolivarienne est un “castrisme new-look”. Voilà ce que Libération offre à ses lecteurs, le 14 février 2009, en guise d´information préalable sur le scrutin que vient de remporter le peuple bolivarien avec une marge éclatante, et cela au bout de dix ans de révolution [1].

En 2006, ce journal inventait déjà de toutes pièces l´”antisémitisme” de Chavez au moyen d´un trucage de texte décrypté en détail par l´association Acrimed [2]. Cette fois, un certain Gérard Thomas met en doute la victoire populaire au référendum du dimanche 15 février au motif qu´une “puissante” “Union bolivarienne des étudiants” aurait décidé d´appuyer le “non” de droite. Le problème est que nul n´a jamais vu l´organisation dont il parle.

Les médias d´opposition vénézuéliens où il puise ses informations (l´opposition détient la majorité des titres de presse, web et 80 % du spectre radio et TV) sont passé maîtres dans la manipulation internationale et dans la récupération du label “bolivarien” pour fabriquer des clones virtuels destinés à semer la confusion. Le principal mouvement étudiant au Venezuela s´appelle “Fédération bolivarienne des étudiants”. Née il y a six ans de l´explosion des Missions éducatives et de la création de l´Université bolivarienne sur l´ensemble du territoire, cette fédération représente des millions de jeunes qui ont défendu hier dans les urnes la poursuite de la démocratisation d´une université jusqu´ici réservée aux classes supérieures.

Les étudiants des universités privées, minoritaires mais ultramédiatisés, n´ont cessé de manifester leur refus de partager l´enseignement supérieur avec quelques millions de nouveaux condisciples des milieux populaires. La victoire de dimanche signe leur défaite, autant que celle des grands médias.
Gérard Thomas qualifie la démocratie venezuelienne de “castrisme new look” ? Une seconde, permettez. Après dix ans de révolution le Venezuela compte une quarantaine de partis politiques, de l´extrême-droite à l´extrême-gauche. La grande majorité des médias appartient à l´opposition. L´ONG chilienne indépendante Latinobarometro [3], qui sonde tout le continent, vient de classer le Venezuela avec un score de 80 % sur l´échelle de la conscience démocratique en Amérique latine.

Le président Lula a souligné récemment que Hugo Chavez est sans doute le plus légitime des présidents latino-américains, vu le nombre d´élections et de référendums organisés sous sa présidence [4]. Il a ajouté qu´il ne voyait que démocratie dans le référendum de dimanche, puisque c´est le peuple qui tranche. Rafael Correa, depuis l´Equateur, demande qu´on cesse de donner des leçons à la démocratie vénézuélienne, et les présidents de la Bolivie et du Paraguay, Evo Morales (en visite à Paris le 16 février) et Fernando Lugo ont souhaité bonne chance au président Chavez quelques heures avant les élections.

Si tous ses collègues latinoaméricains le saluent ainsi, c´est également parce qu´ils reconnaissent que si aujourd`hui l´ìntégration latinoaméricaine avance à grand pas, avec des initiatives comme l’UNASUR, l`ALBA ou la Banque du Sud, c’est en grande partie grâce a la diplomatie vénézuélienne. Cette diplomatie que Thomas qualifie d`« erratique » au prétexte que le Venezuela aurait rompu ses relations avec Israël par solidarité avec le peuple palestinien, qu’il entretient de bonnes relations avec l’Iran, de même qu’avec tous les grand pays du Sud, de la Chine au Viet Nam, de l´Afrique du Sud à la Malaisie : ce Sud que des médias comme Libé se refusent de voir.

Pourquoi faut-il que Libération continue à cacher à ses lecteurs que la possibilité de rendre rééligibles tous les élus, sans limite, permet simplement de multiplier l´offre démocratique des candidats ? Que cela existe déjà dans la plupart des démocraties ? Qu´en France c’est Nicolas Sarkozy qui a fait supprimer cette possibilité de se présenter plus de deux fois à la présidence (sans doute traumatisé par l´hypothèse d´un troisième mandat de Jacques Chirac - lequel aurait pu, peut-être, empêcher la France de retomber sous la coupe de l´OTAN). Pourquoi cacher qu´au Venezuela les observateurs internationaux ont jugé transparents et démocratiques tous les scrutins – élections et référendums ( 15 en dix ans, alors qu’entre 1959 et 1998 n’ont eu lieu que 12 élections)-, saluant un système électoral parmi les plus fiables au monde ?

Au fond, ce que craint Libération, c´est que la politique puisse encore passer par des projets à long terme, portés par de grands hommes d´État, tel de Gaulle a à une époque. Pour Libération, la démocratie consiste à renouveler rapidement les présidents, comme les produits frais au marché. Quelle importante, comme le soulignait encore récemment une étude de la CEPAL, si la pauvreté a baissé de 20 % et que les inégalités sociales ne cessent de se résorber ; si la santé publique gratuite sauve des millions de vies ; s´il y a encore tant à faire, du point de vue de la majorité sociale, pour sortir à jamais de la misère et construire l´égalité totale des droits ? Quelle importance si les Vénézuéliens, contrairement aux Francais, ont déjà conquis le droit de monter légalement des médias alternatifs de radio et télévision, d´y disposer d´une pleine liberté de parole, ou le droit de décider des politiques locales et de les évaluer à travers des milliers de conseils communaux ? Gérard Thomas fait dire à un “habitant de Caracas” que ce ne sont là que "promesses non tenues d´année en année".

Libération est passé de Sartre à Rothschild, sans sortir des règlements de compte des années 1980, rivé au dogme selon lequel toute révolution mène au stalinisme. En fondant le journal, Sartre avait pourtant prévenu : “Le droit à l´information n´est pas, comme on le croit à tort, un droit du journaliste, mais le droit du peuple de savoir ce qui se passe. Le rôle du journaliste, en somme, est de permettre au peuple de discuter avec le peuple”.

Caracas, le 15 février 2009.




[2 Sur le journalisme d´imputation pratiqué par Libération contre Hugo Chavez : http://www.acrimed.org/rubrique355.html

[4 Tous les résultats des scrutins au Venezuela sont disponibles sur le site du Conseil électoral : http://www.cne.gob.ve



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