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Chronique - juin 2010

Les dirigeants européens à genoux devant les marchés financiers

lundi 7 juin 2010   |   Bernard Cassen
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Personne ne se faisait beaucoup d’illusions sur l’autonomie des pouvoirs politiques par rapport à la finance mondialisée. Mais le plan d’austérité annoncé le 12 mai dernier par le gouvernement de José Luis Zapatero, ceux décidés auparavant à Bucarest et à Athènes, et ensuite à Lisbonne, à Londres, etc., ont en quelque sorte libéré la parole : si, en Grèce en Roumanie ou en Espagne, les salaires des fonctionnaires doivent être diminués, si les pensions de retraite doivent être gelées, si le pouvoir d’achat de la majorité de la population doit être amputé, ce n’est pas au service d’un quelconque projet politique ou social, c’est, nous est-il dit explicitement, pour « calmer » les marchés et les agences de notation.

Il s’agit là d’un ahurissant retournement de situation : après avoir été sauvée par l’argent des contribuables d’une faillite généralisée qu’elle a elle-même provoquée, et qui a entraîné une explosion de la dette publique, la finance se retourne maintenant contre la main qui l’a nourrie et exige d’elle du sang et des larmes. Les dirigeants européens (et américains) ont délibérément laissé passer l’occasion qui leur était offerte sur un plateau d’imposer des contreparties aux sommes colossales qu’ils ont déversées sur les banques. Ils avaient la possibilité de désarmer, au moins en partie, le pouvoir financier et de casser les reins de la spéculation. Ils n’en ont rien fait. Ils ont renoncé à avoir quelque prise que ce soit sur le cours des choses et se sont transformés, à un degré encore plus caricatural que ne l’avait formulé Marx, en simples fondés de pouvoir de la finance.

Comme le dit fort bien Moisès Naim, rédacteur en chef de Foreign Policy, « à partir de maintenant, gouverner en Europe signifiera imposer des réductions de salaires, amputer les programmes sociaux et éliminer les chantiers de travaux publics » [1]. Pour mener à bien un tel programme, les partis de gouvernement, qu’ils se réclament de la droite ou de la social-démocratie, sont parfaitement interchangeables. Mais le pouvoir financier a cependant une petite préférence pour les socialistes. Avec le zèle des repentis, ils vont généralement plus loin dans la mise en œuvre des mesures d’ajustement structurel que n’oseraient le faire des dirigeants conservateurs. En appelant leurs membres à faire bloc derrière eux par « patriotisme » de parti, ils neutralisent en effet une fraction de l’opposition populaire à des politiques qu’ils dénonceraient s’ils étaient dans l’opposition.

La droite n’a pas manqué, en effet, de signaler que le premier ministre grec, George Papandreou, est aussi président de l’Internationale socialiste, et que José Luis Zapatero est le premier chef de gouvernement socialiste d’Europe de l’Ouest à avoir réduit les salaires dans la fonction publique. En Espagne, les dirigeants du Parti populaire (PP), tout en approuvant en privé les mesures « courageuses » du gouvernement Zapatero, se sont même offert le luxe de les dénoncer publiquement comme anti-sociales pour en tirer un bénéfice électoral ! Quant au Fonds monétaire international (FMI) qui, avec la Commission européenne, exerce désormais les fonctions de gendarme des politiques de réduction des déficits publics en Europe, il est dirigé par un « socialiste » français, Dominique Strauss-Kahn, qui pourrait bien être le candidat de son parti contre Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2012 !

Quant les étiquettes politiques des partis de gouvernement n’ont plus aucun sens, quand les électeurs n’ont le choix qu’entre le pareil et le même, quand on leur présente comme seule perspective de s’agenouiller devant les marchés financiers, on sape les fondements mêmes de la démocratie représentative. D’où viendra le sursaut, car il viendra nécessairement un jour ?




[1 El País, 16 de mayo 2010.



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