Chroniques du mois

La dépression et l’espérance

mercredi 1er août 2012   |   Bernard Cassen
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Avec Le Monde diplomatique en español

Un conseil à tous ceux qui sont accablés par le spectacle d’une Union européenne (UE) en train de s’enfoncer dans la dépression économique, mais aussi psychologique : en guise d’anxiolytique, faites une plongée dans le bain latino-américain !

Il ne s’agit pas ici de prétendre que le niveau des revenus, l’accès à l’éducation, au logement et à la santé – pour ne prendre que quelques indicateurs – sont plus favorables en Amérique latine que sur le Vieux Continent. Même si ce type de comparaison est sujet à caution, on peut considérer que la situation d’un chômeur européen – fût-il grec - reste en effet moins difficile que celle d’un travailleur précaire brésilien ou vénézuélien.

Il existe cependant une différence de taille entre ces deux prolétaires : le premier a perdu son emploi, et les perspectives d’en retrouver un sont quasiment inexistantes ; il n’espère plus rien de dirigeants politiques totalement discrédités par leur capitulation devant les marchés financiers. Le second, en revanche, a vu des millions de ses concitoyens sortir de la grande pauvreté ; il attend du gouvernement une amélioration régulière de son sort et, plus encore, un sort meilleur pour ses enfants. Du coup, on note depuis quelque temps une inversion des flux migratoires entre l’Europe et l’Amérique latine : nombre d’immigrants, notamment équatoriens et dominicains, quittent l’Espagne, où ils se sont retrouvés au chômage, pour revenir au pays. Et des jeunes de toute l’Europe du Sud s’en vont maintenant tenter leur chance en Argentine ou au Brésil.

L’UE aura réussi un exploit : fracasser contre le mur des politiques néolibérales et de l’austérité à perpétuité le « rêve » européen qu’elle prétendait incarner et promouvoir. Le discours actuel des gouvernements et des institutions de Bruxelles se réduit en effet à des séries de chiffres : montant des taux d’intérêt, des déficits publics, de la dette et des cadeaux aux banquiers. Avec, comme traductions concrètes, l’explosion du chômage, de la précarité et des inégalités, la baisse des salaires et des retraites et la dégradation des services publics. Le sentiment que l’horizon est bouché, le « no future », ne provoque pas, pour l’instant, des révoltes massives des citoyens, sauf dans les urnes : au cours des dernières années, la quasi totalité des gouvernements européens ont été chassés du pouvoir, mais ont été remplacés par d’autres gouvernements menant exactement les mêmes politiques.

En Amérique latine on est très loin de cette asthénie. Les choses bougent partout. Confrontés aux oligarchies locales – qui ont appris à monter des coups d’Etat d’apparence « légale » comme au Honduras et au Paraguay -, à l’hostilité des multinationales et aux manœuvres déstabilisatrices des Etats-Unis, des gouvernements progressistes s’efforcent de « changer la vie ». Ils ne sont pas pour autant à l’abri de contradictions internes et, dans les pays andins et au Brésil, de l’opposition de certains secteurs indigènes. Des conflits sociaux éclatent régulièrement dans d’autres pays, comme au Chili.

Un fil directeur relie tous ces mouvements : l’idée que les luttes, quelle qu’en soit la nature, peuvent être victorieuses ; que, en dernière instance, la politique est au poste de commandement, et donc que les élections servent encore à quelque chose. Pour les Latino-américains, un fait est hautement symbolique : le Fonds monétaire international (FMI) qu’ils ont pratiquement expulsé du continent se retrouve, au côté de la Commission et de la Banque centrale européenne, au sein de la sinistre « troïka » chargée de mettre les peuples européens au pas…





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