Chroniques du mois

Chronique - avril 2009

L’enterrement de la défense européenne

lundi 6 avril 2009   |   Bernard Cassen
Lecture .

C’est dans une ville hautement symbolique de la construction européenne, Strasbourg – siège du Conseil de l’Europe et du Parlement européen –, que, les 3 et le 4 avril, à l’occasion du Sommet commémorant le 60ème anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), aura paradoxalement été enterrée l’idée de défense européenne. Il faut croire que l’on aura voulu pousser les symboles jusqu’au bout puisque ce Sommet a été partagé entre la capitale alsacienne et les villes allemandes de Kehl (située juste de l’autre côté du Rhin) et de Baden Baden. Cette fois, il s’est agi de noyer dans la mystique « atlantiste » un autre pilier de l’histoire de l’Europe : l’axe franco-allemand, concrétisé par le traité de l’Elysée de 1963 signé par le chancelier Konrad Adenauer et le président français de l’époque, Charles de Gaulle.

Mais quel rapport, diront certains, entre ce Sommet de l’Otan et l’abandon, de fait, du projet de défense européenne ? La réponse est simple : historiquement, un seul pays membre de l’Union européenne (UE) avait constamment défendu la nécessité d’une politique de sécurité et de défense européenne autonome par rapport aux Etats-Unis : c’était la France. Or, lors du Sommet d’avril, Nicolas Sarkozy a officialisé le retour de son pays dans la structure de commandement intégré de l’Otan, renonçant ainsi à utiliser la seule monnaie d’échange dont il disposait pour amener Washington à accepter une défense européenne.

En 1966, de Gaulle avait retiré la France de cette structure intégrée qui, en cas de conflit, ferait passer sous commandement d’un général américain – donc du président des Etats-Unis - toutes les unités militaires affectées à l’Otan par ses Etats membres. Depuis cette époque, cette singularité constituait un signe distinctif de la diplomatie française : solidaire au sein de l’Alliance atlantique, mais pas complètement alignée. Avec Nicolas Sarkozy, ce reniement de plus de quarante ans d’héritage politique gaullien satisfait pleinement la Maison Blanche et les autres gouvernements européens. Aucun de ces derniers, en effet, ne croit réellement en une défense européenne autonome. Chacun préfère s’abriter sous le parapluie militaire de Washington avec, comme corollaire inévitable, un statut de sous-traitant militaire – et par conséquent politique - des Etats-Unis dans tous les théâtres d’opérations du monde où ils jugent utile de s’engager, en premier lieu en Afghanistan.

En fait, la véritable question que l’on devrait se poser est : à quoi sert l’Otan ? Peu après son arrivée au pouvoir avec le PSOE au lendemain des élections d’octobre 1982, Felipe Gonzalez, y avait ainsi répondu : « La seule raison d’être du traité de l’Atlantique Nord de 1949 est de constituer un système défensif face à une agression éventuelle des forces du pacte de Varsovie » [1]. C’est le même Felipe Gonzalez qui, lors d’un référendum que son gouvernement organisa en 1986, appela (contre l’opinion de la majorité des délégués au XXXème congrès du PSOE) à confirmer l’adhésion de l’Espagne à l’Otan décidée en mars 1982 par le gouvernement de Calvo Sotelo, et qu’il avait combattue à l’époque…

Il n’y a plus de pacte de Varsovie, ni d’URSS, et pourtant, depuis la chute du mur de Berlin, l’Otan est passée de 16 à 26 membres… Paradoxalement, c’est au moment où les Etats-Unis, épicentre de la crise systémique actuelle, sont en situation de relative faiblesse face aux autres acteurs mondiaux que la France renforce leur leadership stratégique planétaire. Peut-on encore sérieusement parler d’Europe dans un tel contexte ?

 




[1 Politique étrangère, volume 47, n° 3, 1982, Paris.



A lire également