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Ebullition sociale au Brésil

samedi 6 juillet 2013   |   Mémoire des luttes
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Depuis le 6 juin et le premier rassemblement organisé à Sao Paulo contre la hausse des tarifs des transports publics, le Brésil est touché par un mouvement de contestation sociale qui s’est peu à peu transformé en « marée citoyenne ». Celle-ci touche désormais quatre-vingt villes du pays-continent. Jamais depuis les mobilisations de 1992 contre le gouvernement de Fernando Collor de Mello, sa corruption et ses politiques néolibérales, un tel mouvement ne s’était développé. Entre temps, le champion régional latino-américain a pourtant connu, depuis 2002, deux mandats « lulistes » marqués par d’indéniables avancées sociales et une croissance économique soutenue.

La présidente actuelle, Dilma Rousseff, inscrit son action dans le prolongement de son populaire prédécesseur. Toutefois, le modèle « luliste », basé sur une stratégie visant à construire un « consensus interclassiste », semble se gripper sur fond de ralentissement économique.

Qui sont les mouvements actuellement en action ? Quelles sont leurs revendications ? Indiquent-ils le retour de la question de classe au Brésil ? Quel est leur lien avec le système politique ? Quelles réponses apportent les partis et le gouvernement ? Les forces de droite vont-elles récupérer et instrumentaliser – y compris par la violence - ce mouvement ?

Mémoire des luttes propose un dossier constitué d’analyses et documents latino-américains. Il sera régulièrement actualisé.

 

 

Il y aura des changements, dans tous les sens…

Par le Secrétariat national du MST

Cher(e)s ami(e)s et compagnons du Mouvement des sans terre (MST) et des mouvements sociaux de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA),

Un rapport très succinct…

Hier, 20 juin, un million de personnes sont descendues dans la rue dans quinze capitales régionales du pays.
Il y a de tout. Dans chaque ville luttent les coeurs et les esprits. A Sao Paulo et à Rio, des secteurs de droite ont pris l’avantage, agressant des militants de gauche et provoquant des violences pour générer le chaos. Mais, dans d’autres villes, la gauche continue à donner le ton.

Voici ce que l’on peut dire en résumé :

1. La mobilisation est sociale, et part d’un secteur né après l’époque néolibérale. Ce sont des jeunes de la classe moyenne et de la classe moyenne basse qui sont au cœur de cette mobilisation. C’est un secteur qui ne communique que via les réseaux sociaux et qui n’est pas influencé par la télévision et les grands médias. Pour l’heure, les travailleurs gardent le silence.

2. Ce secteur est le fruit de douze ans de conciliation de classe (comme au Chili) qui a exclu la jeunesse de la participation politique. Et la jeunesse veut participer d’une façon ou d’une autre, ne serait-ce qu’en défilant dans la rue, sans répression.

3. Tout ceci est la conséquence d’une grave crise urbaine structurelle, produite par le capital financier et la spéculation immobilière. D’où la hausse des loyers et les ventes massives de voitures financées par les banques avec comme conséquence le chaos aux heures de pointe, sans transports publics, qui fait perdre aux gens deux à trois heures par jour pour se rendre au travail ou à l’école…

4. Personne ne contrôle ces jeunes. Il n’y a pas de direction politique.

5. Pour l’heure, les plus touchés sont les partis traditionnels, la politique bourgeoise et, bien sûr, la méthode développée par le Parti des travailleurs (PT) pendant ces années de gouvernement, mais aussi les gouvernements de chaque État, tous, qu’ils soient de droite, du centre, de gauche…

6. La droite s’infiltre pour créer un climat de violence, de chaos et rejeter la faute sur le PT et sur Dilma Rousseff.

7. Le gouvernement de Dilma Rousseff est paralysé dans sa politique. Il ne voulait qu’administrer et maintenant il ne sait plus quoi administrer.

8. En tant que mouvements sociaux, nous tentons de proposer une politique pour aller de l’avant (voir ci-dessous la lettre à la présidente Dilma Rousseff) et élargir les revendications pour avancer vers une réforme politique, une réforme des médias, une réforme fiscale et une réforme agraire.

9. Nul ne sait ce qui va se passer : allons-nous vers une situation à l’espagnole, capitalisée par la droite dans les urnes, et qui se reproduirait ici en 2014 ? Ou bien vers une situation à l’argentine (2001) avec des avancées ? ou à la grecque, pour l’heure dans une impasse ? Probablement aucune d’elles. Nous allons trouver une formule brésilienne que personne ne connaît aujourd’hui…

10. Mais il est clair que nous avons besoin de changements et il y aura des changements, dans tous les sens !

21 juin 2013


 

« Nous espérons que le gouvernement actuel choisira de gouverner avec le peuple et non contre lui »

Lettre ouverte des mouvements sociaux à la présidente Dilma Rousseff

Chère Présidente,

Le Brésil a connu cette semaine des mobilisations dans quinze capitales régionales et dans des centaines de villes. Nous partageons le sens de vos déclarations soulignant l’importance de ces mobilisations pour la démocratie brésilienne, sachant que les changements nécessaires dans le pays passent par la mobilisation populaire.

Plus qu’un phénomène conjoncturel, les manifestations récentes montrent la reprise progressive de la capacité de combat populaire. C’est cette résistance populaire qui a permis les résultats des élections de 2002, 2006 et 2010. Notre peuple, mécontent des mesures néolibérales, a voté pour un autre projet. Pour sa mise en œuvre, cet autre projet s’est heurté à une forte résistance, principalement de la part du capital rentier et des secteurs néolibéraux qui conservent une grande puissance dans la société.

Mais il a également été confronté aux limites imposées par les alliés de dernière minute venus d’une bourgeoisie nationale qui, dans les débats qui déterminent le choix des politiques gouvernementales, entravent la réalisation de réformes structurelles telle celle des transports urbains et publics.

La crise internationale a bloqué la croissance et, avec elle, la continuité du projet porté par ce vaste front qui a jusqu’ici soutenu le gouvernement.

Les récentes manifestations sont menées par un large éventail de jeunes dont c’est la première mobilisation. Ce processus sensibilise les participants en leur permettant de se rendre compte de la nécessité d’affronter ceux qui empêchent les progrès du Brésil dans la démocratisation de la richesse, l’accès à la santé, à l’éducation, à la terre, à la culture, à la participation politique, aux médias.

Les secteurs conservateurs de la société cherchent à contester la signification de ces manifestations. Les médias tentent de caractériser le mouvement comme anti-Dilma, contre la corruption des politiciens, contre les dépenses publiques et d’autres lignes directrices qui appellent au retour au néolibéralisme. Nous croyons que les lignes sont aussi nombreuses que le sont les opinions et visions du monde dans la société. C’est un cri d’indignation d’un peuple historiquement exclu de la vie politique nationale qui est habitué à voir la politique comme quelque chose de nuisible pour la société.

Dans cette optique, nous nous tournons vers vous pour demander la mise en œuvre de politiques de réduction du nombre de voyageurs dans les transports publics et de réduction des profits des grandes entreprises. Nous nous opposons à la politique d’exonération fiscale de ces entreprises.

Le temps est venu pour le gouvernement de faire avancer l’agenda démocratique et populaire, d’encourager la participation et la politisation de la société. Nous nous engageons à promouvoir toutes sortes de débats autour de ces questions et nous sommes également disponibles pour en discuter avec les pouvoirs publics.

Nous proposons l’organisation urgente d’une réunion nationale, impliquant les gouvernements des États, les maires des grandes villes, et des représentants de tous les mouvements sociaux. Pour notre part, nous sommes ouverts au dialogue, et nous pensons que cette réunion est la seule façon de trouver des solutions pour résoudre la crise grave qui affecte nos grands centres urbains.

Le moment est propice. Ce sont les plus grandes manifestations que la génération actuelle a vécues, et d’autres viendront. Nous espérons que le gouvernement actuel choisira de gouverner avec le peuple et non contre lui.

Cette lettre a été signée par les 35 entités du mouvement social et populaire ci-dessous.

  • ADERE - Asociación de los Trabajadores Asalariados Rurales de Minas Gerais
  • Asamblea Popular
  • Periodistas del Centro de Estudiso Mediáticos Barão de Itararé
  • CIMI - Consejo Indigenista Misionario
  • CMP - Central de Movimentos Populares
  • MMC - Movimento de Mujeres Campesinas
  • CMS - Coordinación de Movimientos Sociales
  • Colectivo Intervozes (por la democratización de los medios)
  • CONEN - Coordinación Nacional de las Entidades Negras
  • Consulta Popular
  • CTB - Central de los Trabajadores y Trabajadoras del Brasil
  • CUT- Central Única de los Trabajadores
  • Fetraf - Federación de los Agricultores Familiares
  • FNDC - Foro Nacional por la Democratización de los Medios
  • FUP - Federación Única de los Trabajadores Petroleros
  • Juventude Koinonia (iglesias tradicionales)
  • Levante Popular da Juventude
  • MAB - Movimento dosa tingidos pro barragens
  • MAM - Movimento Nacional pela soberania popular frente a Mineração
  • MCP movimento campones popular, de Goias
  • MMM - Marcha Mundial de Mulheres
  • Movimentos de la Via Campesina
  • MPA - Movimento de los Pequeños Agricultores
  • MST - Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra
  • SENGE/PR- Sindicato de los Ingenieros del Paraná
  • Sindipetro - Sindicato de los Trabajadores Petroleros de São Paulo
  • SINPAF - Sindicato de los Trabajadores e Investigadores de Embrapa y Codevasf
  • UBES - Unión Brasileña de Estudiantes de Secundaria
  • UBM - Unión Brasileña de la Mujer
  • UJS - Unión de la Juventud Socialista
  • UNE - Unión Nacional de los Estudiantes
  • UNEGRO - Unión Nacional del Negro

    Traduction : Thierry Deronne pour le blog mouvementsansterre.wordpress.com
    Edition : Mémoire des luttes





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