Les sommes colossales engagées par les Etats dans les plans de relance et dans le sauvetage du système bancaire défient l’imagination : le citoyen moyen n’a aucune idée de ce que peuvent représenter des centaines ou des milliers de milliards d’euros. Il voit bien que de l’argent - emprunté par les Etats, donc par les contribuables - coule à flots, créant des déficits qui donnent le vertige, et il se demande comment ils vont être résorbés. Les gouvernements ont leur réponse : la « sortie de crise » va se traduire à la fois par des augmentations d’impôts et par des coupes drastiques dans les budgets publics. En d’autres termes, ce sont les dispositifs de protection sociale, et en particulier les systèmes publics de santé et d’éducation, qui vont payer la facture de politiques néolibérales qui ont massivement enrichi les plus riches, creusé partout les inégalités et détruit des dizaines de millions d’emplois depuis quelques mois.
La crainte qu’éprouvent les dirigeants des conséquences politiques et électorales de ces mesures de régression sociale en préparation explique leurs étonnantes initiatives de ces dernières semaines. Il s’agit pour eux de frapper l’opinion par des annonces donnant l’impression que le capital et les revenus scandaleux des banquiers et des traders vont être mis à contribution, ce qui justifiera ensuite des plans d’austérité frappant prioritairement les plus démunis. Ainsi le gouvernement grec a prévu de taxer à 90 % les bonus bancaires, mais, en même temps, de geler les salaires de fonctionnaires supérieurs à 2 000 euros. Avant de s’attaquer à leurs systèmes de retraites…
Quand George Brown ( défenseur inconditionnel de la City) et Nicolas Sarkozy (dont la première décision après son élection avait été de mettre en place un « bouclier fiscal » plafonnant les contributions des contribuables les plus riches) décident eux aussi de taxer les bonus généreusement distribués par les établissements financiers à leurs cadres, on ne peut qu’approuver. On se dit cependant que cette conversion à un début de justice fiscale est trop subite pour ne pas être purement tactique. Dans cette logique, les cris d’écorchés vifs que poussent les banquiers à la perspective de voir leurs rémunérations variables fortement imposées sont très appréciés par les gouvernements. Ils peuvent ainsi se faire passer à bon compte pour les défenseurs des « petits » contre les « gros ».
Tout aussi significative de l’air du temps est la décision du Sommet européen réuni le 11 décembre de demander au Fonds monétaire international (FMI) la mise à l’étude d’une taxe globale sur les transactions financières. C’est le grand retour de la taxe Tobin, du nom du prix Nobel d’économie américain décédé en 2002. Cette taxe, qui serait prélevée sur les transactions sur les monnaies, est une des revendications principales des mouvements altermondialistes et de certains partis de gauche. Le montant quotidien moyen de ces opérations spéculatives a été en 2007 de 2 191 milliards d’euros. Un prélèvement minime de 0,01 % rapporterait plus de 70 milliards d’euros. On comprend que de telles sommes fassent rêver des gouvernements à la recherche désespérée de ressources fiscales pour financer certains de leurs engagements internationaux.
Cette taxe suscite évidemment l’opposition des établissements financiers et du gouvernement Obama, où les anciens de Goldman Sachs sont aux postes de commande. Là aussi, ces résistances sont politiquement utiles. Les gouvernements européens ont mieux compris que celui des Etats-Unis que, dans l’intérêt même de banquiers aveuglés par leur cupidité, il faudrait leur faire un peu violence…