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Chronique - avril 2008

Bien utiles, les paradis fiscaux…

lundi 7 avril 2008   |   Bernard Cassen
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Les paradis fiscaux seraient-ils vraiment dans la ligne de mire des institutions et des Etats membres de l’Union européenne (UE) ? C’est l’impression que l’on pourrait avoir après l’annonce, le 15 février, des poursuites engagées par le gouvernement de Mme Angela Merkel contre environ 700 contribuables allemands qui avaient soustrait au fisc des sommes colossales, de l’ordre de 5 milliards d’euros, en plaçant leur argent dans la banque LGT appartenant à la famille régnante de la principauté du Liechtenstein (33 000 habitants). Dans la foulée, près d’une dizaine d’autres gouvernements, dont ceux de la France, de l’Italie, des Pays-Bas et de la Suède, se sont crus obligés de déclencher des enquêtes car les fichiers informatiques achetés par les services secrets de Berlin à un informateur, ancien employé de LTC, contiennent environ 1 000 noms, dont ceux de certains de leurs ressortissants…

Ce scandale embarrasse les gouvernements de l’UE car il braque spectaculairement le projecteur non seulement sur leurs contradictions internes, mais aussi et surtout sur l’incompatibilité entre la justice fiscale et les dispositions ultralibérales des traités européens, reprises dans le traité de Lisbonne. Au sein de l’UE, des pays comme la Belgique, l’Autriche et évidemment le Luxembourg pratiquent le secret bancaire, à l’exemple de la Suisse depuis 1934. Il en va de même pour des micro-Etats situés dans sa mouvance : les îles Anglo-Normandes (Jersey, Guernesey, Sercq), l’Ile de Man, Andorre, Gibraltar, Monaco, Saint-Marin et le Liechtenstein. Ce sont autant de repaires de la fraude et de l’évasion fiscales qui contribuent à amputer les rentrées fiscales des Etats aux normes exigeantes. Quelle que soit leur couleur politique, les gouvernements acceptent difficilement que, même en toute légalité européenne, leurs contribuables aillent placer leur argent dans un autre Etat membre de l’UE comme le Luxembourg ou l’Autriche, ou délocalisent les sièges sociaux de leurs sociétés en Irlande ou en Belgique.

Mais ces gouvernements ne peuvent aller bien loin dans leurs protestations car ils sont prisonniers des dogmes libéraux qu’ils ont fait inscrire dans les traités européens : impossibilité (en raison de la règle de l’unanimité) de toute harmonisation fiscale, et donc institutionnalisation du dumping, interdiction de toute entrave à la liberté de circulation des capitaux. Les fraudeurs du Liechtenstein et d’ailleurs ne font que pousser cette logique politique jusqu’à ses conséquences ultimes. D’ailleurs l’existence même de cette « concurrence » sert d’argument pour justifier la baisse des impôts sur le capital ou les bénéfices des sociétés. Le poids de la fiscalité est ainsi reporté sur les impôts indirects, les plus injustes, et les ménages, avec comme conséquence la paupérisation des budgets publics, le sous-financement des services publics qui justifie à son tour leur privatisation, etc.

Comme on le voit, la concurrence fiscale et les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires « font système », et il y a donc une énorme dose d’hypocrisie à les dénoncer sans prendre de mesure sérieuse à leur encontre. Il suffirait d’interdire tout flux financier avec eux. Mais attention : ils pourraient déposer plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne qui, chargée d’appliquer les traités, leur donnerait certainement raison !





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