Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 478, 1er août 2018

Trump dans de sales draps ? La question est sur toutes les lèvres

mardi 2 octobre 2018   |   Immanuel Wallerstein
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C’est la question récurrente que posent haut et fort tous ses adversaires, des simples citoyens aux groupes constitués. Dans l’espoir d’une réponse positive, bien sûr, mais sans certitude de l’obtenir.

C’est la question que posent en privé les partisans de Trump et les responsables républicains, en tâchant de se conforter dans l’idée qu’il n’en est rien.

C’est la question dont on débat aussi chez les responsables démocrates, où l’on voudrait bien que la réponse soit positive. Eux, cependant, en parlent plus ouvertement que leurs homologues républicains.

C’est la question à laquelle la plupart des analystes qui s’efforcent d’émettre un avis libre d’influences partisanes jugent presque impossible, à ce stade, de donner une réponse, sauf à l’assortir de multiples réserves.

Mais c’est aussi la question que devront trancher sans tarder les citoyens, les collectifs et les responsables politiques de toutes obédiences et à tous niveaux pour ne pas compromettre leurs objectifs de relatif court terme. Compte tenu, notamment, des élections toutes proches de novembre 2018, il leur devient de plus en plus difficile d’éluder une réponse claire.

C’est enfin la question sur laquelle les dirigeants étrangers doivent arrêter une position, sous peine qu’on le fasse à leur place, et pas dans le sens qu’ils auraient souhaité.

Bref, il s’agit d’une question à laquelle il est impossible de répondre et tout aussi impossible d’échapper. Il s’avère que le mois de juillet 2018 a été très mauvais pour Trump, ce qui m’amène à suggérer en quoi son avenir s’annonce beaucoup moins rose qu’il ne pouvait l’escompter et le souhaiter. La personne qui souscrit probablement le plus à ce que j’affirme, mais dans son for intérieur, est Donald Trump lui-même.

Un sujet depuis longtemps déjà sur la place publique est de savoir si les autorités russes sont intervenues d’une façon ou d’une autre dans les élections américaines de 2016 pour favoriser l’élection de Trump et, dans l’affirmative, s’il en était informé et s’il s’est rendu coupable de « collusion » avec leurs agissements.

En juillet, différents événements sont venus aggraver la situation du président. Sa rencontre en tête-à-tête avec Poutine a suscité une réaction très négative : sur son principe même, sur le portrait tellement bienveillant qu’il a dressé de son homologue russe, et sur le fait qu’il ait semblé accorder plus de crédit à ce dernier qu’à ses propres services de renseignement.

Devant une désapprobation si massive et soudaine, Trump a opéré un rétropédalage sur le contenu comme sur la forme de ses propos. Avant de revenir sur ce même rétropédalage en invitant Poutine aux États-Unis, provoquant à nouveau une réaction populaire très hostile car il donnait ainsi l’impression de lui renouveler sa confiance.

Après quoi il a rétropédalé sur l’invitation elle-même, renvoyant le sujet au-delà de l’échéance électorale de 2018. La confusion semée par ces changements de pied successifs aura, dans différents secteurs, accru le nombre de ceux qui étaient jusqu’ici disposés à accorder à Trump le bénéfice du doute et qui ne le sont plus.

Pire encore, l’affirmation serinée par Trump taxant de fake news l’affaire de collusion avec les Russes s’est soudain heurtée à des données factuelles : Michael Cohen, son ex-avocat d’une loyauté jadis indéfectible, a enregistré secrètement leurs conversations.

Celles-ci démontreraient que Trump avait connaissance des sommes versées contre leur silence à des prostituées qui disent avoir été ses maîtresses pendant longtemps. Cohen n’a plus envie de payer le prix d’une loyauté non réciproque.

Au cours de ce même mois de juillet, assistant à la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN, Trump s’en est pris ouvertement à la quasi-totalité des alliés traditionnels des États-Unis, qu’il a menacés de quitter l’OTAN s’ils ne cédaient pas à ses exigences.

Une fois encore, la plus grande incertitude régnait quant à ses intentions. L’Union européenne a répliqué en signant un très large accord de libre-échange avec le Japon, naguère l’un des plus proches alliés de Washington. De même, le Canada a répondu aux taxations commerciales instaurées par Trump par des contre-mesures douanières, tout comme plusieurs pays d’Europe occidentale. Il en est résulté une aggravation des tensions au sein de l’UE entre les « vieux » États-membres et leurs partenaires est-européens désormais très nationalistes – mais qui ne savent pas s’ils peuvent compter sur Trump pour les défendre face aux menaces que fait peser selon eux la Russie.

Ces mesures tarifaires ont également touché de plein fouet deux secteurs importants aux États-Unis : d’abord le monde agricole, qui a subi à la fois l’impact direct des mesures de rétorsion sur ses productions et leur renchérissement là où elles pouvaient encore être écoulées sans droits de douane.

Trump s’est ainsi vu contraint de débloquer des fonds pour les agriculteurs, lesquels, cependant, n’ont vu là qu’une mesure de court terme n’ayant pas vocation à durer. En revanche, ces aides immédiates ont hérissé les factions de l’ultra-droite du Parti républicain. Trump s’est donc retrouvé assiégé sur plusieurs fronts. Et les uns comme les autres se sont sentis moins sûrs que jamais de pouvoir compter sur lui pour mettre au premier plan leurs préoccupations essentielles.

C’est alors que, très inopinément, Trump a rencontré Jean-Claude Juncker, s’exprimant au nom de l’Union européenne. Ils ont tous deux convenu de différer l’entrée en vigueur de tout nouveau droit de douane jusqu’à l’issue des élections de 2018.

De fait, Trump a renoncé pour l’heure aux plus dures des mesures qu’il annonçait vouloir prendre. En contrepartie, l’UE lui a accordé une concession très mineure à propos du soja. Il a donc clamé victoire. Pour moi, cela a tout l’air d’une défaite qu’il a bien fallu déguiser en succès.

Et comme si cela ne suffisait pas, un juge fédéral vient d’autoriser la poursuite d’une procédure dangereuse pour le président. L’objet du litige est que Trump violerait la « clause des émoluments » [1] en tirant des profits et avantages de l’utilisation de ses biens par des gouvernements étrangers [2].

La procédure prendra des années. Mais elle va avoir pour effet d’obliger Trump, pour sa défense, à révéler une bonne partie de ses revenus personnels et de ceux de sa famille. Il pourrait aussi être contraint de rendre publiques ses déclarations de revenus.

En attendant, il soutient que la dénucléarisation de la Corée du Nord est en bonne voie, même si les seuls résultats tangibles jusqu’ici se résument au rapatriement de quelques restes de soldats tués pendant la guerre de Corée.

Vis-à-vis de l’Iran, il continue d’agiter la menace de la guerre et annonce son intention de rompre l’accord signé par les États-Unis, bien que celui-ci comporte beaucoup moins de failles que tout ce qu’il peut espérer faire signer aux Nord-Coréens.

Trump ira-t-il vraiment jusqu’à l’intervention militaire ? Même les Israéliens en doutent, qui s’efforcent de créer une situation devant laquelle il soit obligé d’arrêter de tergiverser. En politique étrangère, le bluff n’est pas une formule gagnante. Il trahit la faiblesse, une chose que Trump tient en horreur.

Son résultat le plus positif pourrait bien être un résultat négatif : sa décision de s’impliquer dans les primaires républicaines en soutenant des candidats a créé chez les prétendants une concurrence pour la faveur présidentielle. Le soutien de Trump a permis à certains endroits l’investiture de candidats d’extrême-droite. Nombre d’analystes, parmi lesquels des figures de l’establishment républicain, redoutent que cela fasse élire des démocrates au Sénat, à la Chambre des représentants ou à des postes de gouverneur dans les circonscriptions et États concernés.

Ce qu’il faut retenir, c’est que les comportements concrets des différents acteurs en cause dépendront, non pas de la rhétorique de Trump, mais de l’appréciation qu’ils porteront sur la solidité de sa position. En juillet de cette année, il avait le verbe fort et le geste hésitant. D’ici un mois ou deux, si les choses continuent ainsi (comme tout porte à le croire), les déboires l’emporteront sur les faux-semblants.

Se posera alors cette dernière question : si Trump est vraiment dans de sales draps, à qui cela va-t-il profiter ?

 

Traduction : Christophe Rendu

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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.




[1La clause de la Constitution dite « des émoluments » est une disposition peu ou jamais usitée de lutte contre la corruption qui interdit à toute personne occupant une fonction publique d’accepter, sans l’accord du Congrès, « tout cadeau, émolument, fonction ou titre, quelle qu’en soit la nature, de tout roi, prince ou État étranger ».

[2Le juge a restreint le cadre de l’action judiciaire aux paiements acquittés par différents États étrangers pour des frais de séjour et de réception dans l’hôtel que Trump possède sur Pennsylvania Avenue, à Washington.



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