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Chronique - juillet 2009

Six mois d’Obama

mercredi 1er juillet 2009   |   Ignacio Ramonet
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Le 20 juillet prochain, cela fera six mois que Barack Obama aura pris ses fonctions de président des Etats-Unis dans un environnement fort difficile : une puissance affaiblie, au plan international, par l’échec des thèses néoimpériales défendues par le groupe des néoconservateurs, en particulier sur le théâtre de la guerre d’Irak ; une puissance diminuée, au plan moral, par le recours à la torture, au mensonge, aux prisons secrètes et à la surveillance généralisée ; une puissance anémiée, au plan social, par l’incroyable creusement des inégalités dans lequel la société américaine s’est installée ; une puissance amoindrie enfin, au plan économique, par la violence de la crise financière due à la folie du surendettement, de la spéculation boursière et aux délires de l’argent facile.

Devant un tel contexte, quel verdict sur l’ensemble de la politique de Barack Obama peut-on établir au bout de ces presque 200 jours passés à la Maison Blanche ?

Premier constat, et de taille : le nouveau président n’a pas commis d’erreur majeure. C’est fondamental si l’on songe que John F. Kennedy, par exemple, au cours de cette même période, s’était déjà laissé entraîner, le 17 avril 1961, dans la désastreuse invasion de la Baie des Cochons à Cuba. Pas de confrontation non plus avec un événement tragique imprévu ; alors que Ronald Reagan, le 30 mars 1981, avait déjà dû échapper à un attentat. Et que Bill Clinton, dès le 26 février 1993, soit 38 jours seulement après sa prestation de serment, avait été confronté à l’explosion d’un camion piégé dans le sous-sol du World Trade Center, à New York, où six personnes furent tuées et plus de mille blessées.

Deuxième constatation : la sympathie à l’égard de Barack Obama se maintient à un niveau élevé. Bien que les Etats-Unis traversent la pire crise économique de leur histoire depuis la Grande Dépression des années 1930, une majorité d’Américains - plus de 56% - approuvent sa politique. Et, selon le baromètre "World Leaders", publié le 29 mai dernier par The International Herald Tribune, Barack Obama est devenu le « dirigeant le plus estimé de la planète  », en termes de popularité et d’influence.

Troisième observation : le nouveau président a tenu ses principales promesses. Tout en réaffirmant son attachement à l’économie de marché, il a ramené l’Etat au cœur de la vie économique et sociale (comme on l’a vu avec la faillite de General Motors et la décision de faire entrer l’Etat, à hauteur de 72%, dans le capital du groupe restructuré). Le plan d’assainissement bancaire a été porté à près de 1000 milliards de dollars ; le bagne de Guantánamo sera définitivement fermé en janvier 2010 et les détenus renvoyés dans des pays d’accueil ou jugés par des tribunaux américains ; la torture a été interdite ; les troupes seront retirées d’Irak avant août 2010 ; 4 millions d’enfants pauvres ont désormais une assurance-santé financée par une taxe sur le tabac ; 9 millions de propriétaires en détresse à cause de la crise ont maintenant la possibilité de refinancer leur emprunt immobilier ; la recherche médicale sur les cellules souches a été autorisée ; le financement public du planning familial a été rétabli ; l’urgence de protéger l’environnement et de réagir face aux dangers du changement climatique a été décrétée ; et un vaste plan sur les énergies renouvelables a été lancé.

Contrairement a l’idéologisation fanatique de la diplomatie de George W. Bush, le président Obama a adopté une attitude de non-idéologue pratiquant avec un souci principal : projeter un sentiment de confiance, celui d’un homme qui reste calme sous les pressions et ne se laisse pas déstabiliser facilement. En multipliant, sur divers fronts diplomatiques, les gestes de conciliation, d’ouverture et, à l’occasion (contre les pirates somaliens), de fermeté, il a cherché à réhabiliter la crédibilité des Etats-Unis et à regagner la confiance internationale.

Orateur hors pair, Barack Obama a ponctué son vaste programme diplomatique de discours importants. Ce fut le cas, par exemple, lors du 5e Sommet des Amériques, en avril dernier, à Trinité-et-Tobago, au cours duquel il a admis que la politique menée pendant 50 ans par les États-Unis à l’égard de Cuba « n’avait pas fonctionné ». Il a proposé « une nouvelle ère » dans les relations avec l’Amérique latine et a eu des entretiens cordiaux avec les présidents des nouveaux pays progressistes (Venezuela, Bolivie, Equateur, Nicaragua, Paraguay). Et contrairement à la longue tradition d’interventionnisme américain en Amérique Centrale, Obama a condamné clairement, le 28 juin dernier, le coup d’Etat militaire au Honduras contre le président légitime, Manuel Zelaya.

Concernant les dossiers les plus difficiles, ceux du Proche-Orient, Barack Obama a confirmé la priorité accordée à la guerre en Afghanistan. Une décision controversée et périlleuse. Dans cet esprit, il a renforcé les effectifs américains sur le terrain et obtenu une victoire diplomatique en contraignant le Pakistan à combattre les talibans et Al-Qaida sur son propre territoire, notamment dans la vallée de Swat. Cette guerre est loin d’être terminée et les risques qu’elle suppose pourraient lui pourrir la présidence.

A propos de la question nucléaire en Iran, Obama a proposé à Téhéran d’entamer des négociations directes et - malgré les accusations de fraude concernant la réélection, le 12 juin dernier, de Mahmoud Ahmadinejad - il a maintenu sa politique d’ouverture à l’égard des autorités iraniennes.

Sur le dossier israélo-palestinien, les choses se sont encore compliquées avec la formation d’un gouvernement d’extrême droite en Israël dirigé par Benyamin Netanyahou. Ce gouvernement a commis l’erreur de remettre en cause, dans un premier temps [1], la théorie des "deux Etats" [palestinien et israélien], ce qui a été sanctionné par Barack Obama qui a mis fin au soutien inconditionnel de Washington à Israël. Ce qui constitue un vrai changement.

Dans son important discours du 4 juin, au Caire, il s’est efforcé de reprendre contact avec le monde musulman. Il a choisi de rompre avec la politique de George W. Bush et a répété son attachement à une solution à « deux Etats » dans le conflit israélo-palestinien. Il a clairement demandé à l’Etat hébreu de cesser toute implantation de colonies. C’est le premier président des Etats-Unis qui bénéficie d’une vraie popularité dans le monde arabe.

Le 5 avril dernier, à Prague, Barack Obama avait également abordé l’importante question du désarmement nucléaire. Alors que la Corée du Nord venait de lancer, en violation des résolutions de l’ONU, un missile de longue portée qui a survolé le Japon, il a réclamé des sanctions contre Pyongyang, et déclaré : "Le temps est venu pour que les essais d’armes nucléaires soient définitivement bannis" . Il a affirmé que son administration allait militer "avec détermination" en faveur de la ratification par le Sénat du Traité d’interdiction totale des essais nucléaires (TITEN). Faisant allusion aux bombardements atomiques des villes martyrs Hiroshima et Nagasaki, il a ajouté : "Les Etats-Unis, en tant que seule puissance nucléaire à avoir jamais utilisé une arme nucléaire, ont la responsabilité morale d’agir."

Cet aveu de « responsabilité morale » des Etats-Unis dans la destruction des villes nippones, a dû toucher les Japonais, seul peuple à avoir subi le feu nucléaire. Il reste à espérer que le président Obama assiste à l’une des prochaines cérémonies de commémoration des tragédies de Hiroshima et de Nagasaki.

Tout n’a pas été parfait au cours de ces premiers six mois, mais le nouveau président américain a fait preuve d’initiatives surprenantes. Il s’est placé du côté du mouvement, du changement, du désir de justice. Et a paru vouloir orienter l’action de son puissant pays vers la défense d’un état de droit planétaire. Il y a quelque chose de Gandhi et de Mandela dans cet Obama.

Si cela se confirmait – c’est à dire, si les divers lobbys qui dominent la vie politique aux Etats-Unis ne l’entravaient pas, et s’il n’est pas assassiné -, il s’agirait d’une révolution copernicienne en matière de politique internationale. Les opposants habituels aux Etats-Unis devraient alors modérer leurs « automatismes critiques » contre Washington. Et commencer à admettre que les choses changent, pour le meilleur et pas pour le pire, avec Barack Obama.




[1Benyamin Netanyahou, dans son discours à l’université Bar-Ilán, le 15 juin dernier, a fini para accepter la création d’un Etat palestinien, mais assortie de nombreuses conditions difficilement acceptables par les Palestiniens, entre autres, que ce soit un Etat démilitarisé et qui reconnaisse Israël comme « Etat du peuple juif ».



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