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Nuit Debout : du traitement émotionnel au traitement « rationnel »

lundi 25 avril 2016   |   Guillaume Beaulande
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Alors que toutes les voiles du mouvement populaire n’ont pas encore été hissées, les vents contraires semblent bien résolus à les faire retomber dans leurs propres plis. Dans le paysage médiatique, seuls les médias libres et indépendants échappent à la règle. Le regard de la grande masse des médias sur « les mouvements de jeunesse » travaille ses perspectives, en corrige avec application la colorimétrie politique avant d’ajuster sa focale sur les lignes de fractures potentielles.

Bienveillance réelle ou simulée, désincarnation du sujet, criminalisation du mouvement pour ensuite en légitimer la répression à venir. Telles sont les trois phases d’un traitement médiatique bien rôdé.

La manifestation du 9 mars 2016 à l’appel des organisations lycéennes et étudiantes avait également vu de nombreux cortèges syndicaux battre le pavé. Pourtant, ce sont bien « les jeunes » » qui ont fait l’objet d’une couverture médiatique quasi exclusive. On pourrait supposer en première analyse que la jeune génération bénéficie d’un surcroît d’intérêt de la part des médias dominants. Par tendresse, pour l’innocence et le romantisme rimbaldien qu’elle porte. Le journal Le Monde ne titrait-il pas au soir du 10 mars 2016 : « Contre la loi El Khomri, la jeunesse mobilisée loin des partis ». Mais cette bienveillance médiatique qui, dans les premiers temps, a agité les rédactions a révélé bien vite le second tranchant de la lame : le clivage générationnel. Laisser penser que seuls « les jeunes » se rassemblent un peu partout en France conduit à une double erreur d’analyse. D’une part, que tous les jeunes seraient représentés dans Nuit Debout, d’autre part, que les autres générations en sont exclues. Il suffit de se rendre sur la place de la République ou celle du Capitole à Toulouse pour désamorcer ces deux écueils. 

La naïveté et le spontanéisme prêtés par les « médias dépendants » au phénomène Nuit Debout tendent à dire son caractère inoffensif et désincarné, à en faire une nature morte où les personnages labourent en vain ce que Frédéric Lordon nomme un « marais d’impuissance ».

Les participants de Nuit Debout sont également parfois présentés comme des nuisibles susceptibles de vicier l’air des honnêtes gens. Le journal télévisé de France 2 de 13 heures du mardi 12 avril 2016 offrait un reportage édifiant de la place de la République : « des gens qui parlent... souvent fort, qui font de la musique, qui mangent, forcément, ça provoque des nuisances et les riverains qui souriaient les premiers jours commencent à trouver le temps long ». Après avoir montré quelques distributeurs d’argent repeints façon Marc Chagall, les témoignages navrés se succèdent : celui de la gérante d’un l’hôtel de luxe et d’un restaurant témoignant de la baisse de leur clientèle sans doute effrayée, « ce serait bien que ça se calme un p’tit peu... et que ça s’arrête  ». Fin de la récréation.

Inoffensif ou dangereux ? Conséquents ou irresponsables ? Telle est souvent la question fermée que les éditocrates à gage soulèvent à longueur de colonnes. C’est ici que la focale de délégitimation commence à opérer. Une pluie de références aux « casseurs », aux « heurts avec les policiers », aux fameux « débordements » supplante l’intérêt initial de certains médias pour le dynamisme citoyen des « jeunes » rassemblés, pointant l’amateurisme des membres de la commission « accueil et sérénité » et le premier pas vers la criminalisation du mouvement. Un prisme particulier où n’est que très rarement fait mention des méthodes policières toujours plus violentes : coups de matraque, jet de lacrymo sans distinction dans la foule. Une violence qui fait pourtant déjà l’objet de nombreuses plaintes et dont les enregistrements filmés alimentent les dossiers de l’équipe juridique du mouvement.

L’organisation médiatique du naufrage passe également par une autre focale. Il s’agit alors de mettre en scène les difficultés du mouvement à toucher les banlieues et les usines, tandis que les rassemblements se multiplient à Saint Denis, Aubervilliers, Montreuil, etc. Un article du Monde publié le 15 avril 2016 aborde la question de l’image du mouvement auprès de la population banlieusarde : « les Nuits debout pâtissent encore d’une image sympathique mais déconnectée des réalités quotidiennes ». Si l’on avait encore un doute, sur la même page, un autre papier vient confirmer l’homogénéité sociologique des gens de la République : « profs, lycéens, intermittents et intellos précaires sont surreprésentés place de la République ». Insister sur les clivages, opposer les villes aux banlieues, les anciens aux plus jeunes, les ouvriers aux classes moyennes participent d’une volonté médiatique de disqualifier et de dynamiter le mouvement.

Le refus d’accueillir Alain Finkielkraut – l’un des thuriféraires du système en place au discours haineux – sur la place de la République amène Laurent Joffrin à crier au scandale dans un édito fielleux de Libération daté du 17 avril 2016. Il y fustige « ces dizaines de béotiens excités qui ont insulté Alain Finkielkraut ». Le Monde.fr titre quant à lui le 19 avril 2016 « Nuit debout, le tournant Finkielkraut » avant d’ajouter en guise de préambule que « le départ mouvementé d’Alain Finkielkraut, insulté et pris à partie après avoir assisté à une assemblée générale place de la République à Paris, questionne les pratiques démocratiques d’un mouvement fortement médiatisé. » L’analyse formulée par M. Joffrin en conclusion de son édito sur cette « affaire » pourrait tout aussi bien évoquer l’attitude des médias dépendants vis-à-vis du mouvement : « on aurait voulu discréditer un mouvement positif mais fragile qu’on ne s’y serait pas pris autrement ».

La soirée-débat du mercredi 20 avril organisée par le collectif « Convergence des luttes » et l’équipe du journal Fakir avait pour objectif d’introduire un débat sur « l’étape d’après ». Elle n’a pas eu certes les effets immédiats escomptés dans la mesure où les prises de paroles libres s’éloignaient trop souvent du sujet initial. Néanmoins, la nécessité de développer le mouvement autour de l’identification de priorités, d’une plus grande organisation et d’une articulation plus étroite avec les syndicats est désormais formulée.

 

Illustration : nuitdebout.fr





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