Chroniques du mois

Les tours de passe-passe sémantiques d’Emmanuel Macron

jeudi 3 janvier 2019   |   Bernard Cassen
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De tous les dirigeants européens, Emmanuel Macron est sans doute celui qui a le mieux compris l’importance cruciale du choix des mots pour baliser et structurer le champ politique. « Jupiter » entend ainsi contraindre ses adversaires à penser et à agir à l’intérieur des catégories qu’il a décidé d’utiliser. Logiquement, il ne se prive pas de piocher dans les réserves du lexique néolibéral qu’il a appris à l’ENA, à l’Inspection des finances et à la banque Rothschild. Par exemple en rabâchant un de ses mots clés – « réforme » – qu’il vide de son contenu pour lui faire signifier « contre-réforme ». Une méthode rappelant celle de George Orwell qui, dans 1984, écrit que, pour Big Brother, « la guerre, c’est la paix ; la liberté c’est l’esclavage ; l’ignorance c’est la force ».

Ce détournement de sens est une technique éculée, et Emmanuel Macron n’innove guère en y ayant recours. En revanche, il fait preuve de créativité en tentant de reconfigurer le champ politique – français, mais aussi européen – selon de nouvelles lignes de force. Selon lui, en effet, le clivage ne s’y situerait plus entre la gauche et la droite (ce qui, dans nombre de cas, signifierait entre adeptes et adversaires du néolibéralisme), mais entre les « progressistes » et les « nationalistes ».

Pour savoir de quoi on parle exactement, il faudrait d’abord expliciter chacun de ces termes, ce que l’hôte de l’Elysée se garde bien de faire. A lire ou écouter les « éléments de langage » repris par ses proches, l’étiquette « nationalistes » désignerait non seulement les partis d’extrême droite et de la droite « illibérale », mais aussi, par une fausse symétrie, ceux de la gauche radicale (Podemos et la France insoumise). Toutefois, afin de donner le change ou pour brouiller les pistes, Emmanuel Macron fustige verbalement une « Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre » (Europe1, 6 décembre 2018) et le « capitalisme ultralibéral » (allocution du 31 décembre 2018).

En France, l’utilisation du mot « progressiste », historiquement marqué à gauche, peut donner bonne conscience aux membres du parti présidentiel La République en marche (LRM), mais elle relève de l’imposture intellectuelle au vu des politiques économiques et sociales menées par le gouvernement français. Depuis quand le néolibéralisme serait-il un progrès ?

Posant à l’adepte de la transgression, le « progressiste » Macron est également en train de revisiter et de s’approprier un mot jusqu’ici honni par ses propres amis : « populisme ». Le 22 novembre dernier, au lendemain d’un mouvement social où 300 000 personnes vêtues d’un gilet jaune avaient commencé à occuper les ronds-points et les péages pour manifester contre sa politique, il avait tenu ces propos surréalistes : « Nous sommes de vrais populistes, nous sommes avec le peuple ». Désormais, avec la caution du président de la République, le mot « populiste » ne devrait plus être une injure… Reste à voir si ces tours de passe-passe sémantiques convaincront les citoyens. Ce n’est pas le cas pour l’instant.





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