Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 285, 15 juillet 2010

« Les impôts augmentent, mais pour qui ? »

mardi 20 juillet 2010   |   Immanuel Wallerstein
Lecture .

Tout le monde connaît le vieux dicton selon lequel rien n’est inévitable, sauf la mort et les impôts. Mais la plupart d’entre nous consacrons beaucoup d’énergie à repousser ces deux perspectives. Partout, les impôts sont une idée très impopulaire. Peu de gens se plaignent de ne pas en payer suffisamment. Mais, dans le même temps, tout le monde ou presque désire beaucoup de choses payées par les impôts.

Tout récemment, un sondage français a livré des résultats extraordinaires. La France a beau avoir l’un des taux d’imposition les plus élevés au monde, une majorité de la population est convaincue que de nouvelles hausses d’impôts sont inévitables. Plus surprenant encore, malgré le fait que la France est aujourd’hui dirigée par un gouvernement de droite, les électeurs qui s’attendent à une hausse des impôts sont plus nombreux à droite qu’à gauche, plus nombreux chez les riches que chez les pauvres.

Simplement, le fait est que plus aucun gouvernement au monde, ou presque, ou une collectivité locale, n’ont aujourd’hui suffisamment de recettes pour faire face aux niveaux de dépenses obligatoires prévues par la loi ainsi qu’aux dépenses souhaitées par la majorité des électeurs. Par conséquent, ces gouvernements empruntent de l’argent, s’endettent (encore un peu plus), ce qui est impopulaire, et/ou réduisent les dépenses au détriment de quelqu’un. La réalité, pourtant, c’est que ni l’emprunt ni les coupes dans les dépenses n’ont l’air de suffire.

Le résultat net, c’est que tous les gouvernements, partout, sont en train d’augmenter les impôts et vont continuer dans les années à venir. Mais la plupart le dénie. Comment peut-on dissimuler des hausses d’impôts ? De multiples façons.

Première façon : augmenter le prix des services publics. Si un gouvernement augmente pour l’administré les frais de dépôt d’un dossier ou d’obtention d’une licence, c’est une hausse d’impôt reposant sur le demandeur. Si le gouvernement relève l’âge de départ à la retraite, c’est une hausse d’impôt reposant sur le futur retraité.

Deuxième façon : éliminer une subvention qu’il versait précédemment. S’il s’agissait d’une aide à une entreprise, cela devient une hausse d’impôt reposant sur l’entreprise, hausse qui peut souvent (mais pas toujours) être reportée sur les consommateurs. Si l’aide bénéficiait à un particulier, par exemple une allocation chômage, l’éliminer ou la réduire constitue une hausse d’impôt reposant sur le particulier.

Mais la baisse de subvention la plus importante, parce qu’elle est la moins évidente, survient lorsqu’un gouvernement, au niveau national, décide de réduire l’un des multiples transferts monétaires vers les collectivités locales. La collectivité locale a alors deux solutions : elle peut augmenter ses impôts pour compenser le manque à gagner, disons en augmentant les taxes foncières ; ou elle peut réduire ses dépenses, par exemple en baissant ses dépenses d’éducation au niveau local.

Si la collectivité locale dépense moins dans l’éducation, on peut raisonnablement supposer que la qualité de l’enseignement public proposé va diminuer. Cela peut conduire à une réaction de la part des citoyens plus aisés, ceux qui peuvent se permettre d’assumer le coût d’un enseignement privé pour leurs enfants. Les plus pauvres doivent se contenter d’une école au rabais, voire plus d’école du tout. Les plus aisés supportent des hausses de prix, qui sont dans les faits une hausse d’impôt mais qui ne bénéficie pas à l’ensemble de la population.

Les impôts sont inévitables, en effet, et ne le sont jamais autant que lorsque l’économie-monde est en piteux état, comme actuellement. Ce qui n’est pas inévitable, c’est de savoir quel(s) groupe(s) doit supporter le fardeau le plus lourd. Qui doit faire le plus lourd sacrifice ? D’aucuns, avec audace, appellent cela la lutte des classes. Elle fait plutôt rage ces jours-ci.

Le seul slogan auquel personne ne devrait donner crédit, c’est « moins d’impôts ». Il n’y a aucune façon de le faire de toute façon. Il existe cependant des formes de taxation plus ou moins justes. La question à laquelle nous sommes tous confrontés, c’est de savoir qui payera les hausses d’impôts et par quelles voies. C’est l’une des batailles politiques décisives de notre époque.

Immanuel Wallerstein

 

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