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Les enjeux de l’élection présidentielle en Bolivie

Entretien avec Christophe Ventura

samedi 11 octobre 2014   |   Christophe Ventura
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Quel est le bilan des deux mandats successifs d’Evo Morales ?

Il s’agit d’un bilan singulier pour un pays de 10 millions d’habitants qui jusque-là était connu comme le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud. Evo Morales a été élu en 2005 pour mettre un coup d’arrêt à l’application des politiques néolibérales du FMI et de la Banque mondiale et pour mettre en place des politiques sociales de réduction des inégalités et de la pauvreté. Son bilan social est indéniablement une réussite. La Bolivie a obtenu depuis 2005 des résultats significatifs en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales – même si elles restent très importantes – applaudis par l’ensemble de la communauté internationale. Cela a été rendu possible par des politiques de redistribution du revenu national et des richesses, la mise en place de programmes sociaux, d’accès à l’éducation et à la santé – de nombreux hôpitaux et dispensaires ont ainsi été construits sur tout le territoire, notamment dans les zones rurales qui en manquaient cruellement. La Bolivie s’inscrit dans la dynamique qu’on a vu émerger en Amérique latine depuis les années 2000 avec l’élection de gouvernements progressistes (Venezuela, Brésil, Equateur). Ces politiques gouvernementales ont misé sur d’importants investissements en matière d’infrastructures (transports). 
Le bilan politique d’Evo Morales est lui aussi incontestablement positif. Le président bolivien a en effet contribué à renforcer la stabilité démocratique dans son pays, alors que celui-ci a connu de nombreuses convulsions politiques (coup d’Etats, dictatures) au cours de son histoire et qu’il détenait même le triste record du pays ayant connu la plus grande instabilité gouvernementale depuis son indépendance en 1825. Sous les deux mandats d’Evo Morales, le pays a connu une période de stabilité démocratique et institutionnelle nouvelle, qui s’est incarnée dans une nouvelle constitution (adoptée en 2010) redéfinissant les structures de l’Etat. 
Dans ce contexte, le président bolivien a mené une politique d’inclusion des populations jusque-là marginalisées de la vie publique bolivienne, en particulier les populations indiennes représentant 50% de la population du pays et qui étaient complètement écartées de la vie politique et vivant dans une extrême pauvreté. 
Sur le plan économique, la Bolivie de Morales apparait comme une réelle success-story de l’économie latino-américaine. A la tête d’un pays très riche en ressources naturelles (minerais, lithium) et énergétiques (gaz naturel, pétrole), Morales, en continuant de s’appuyer sur un modèle économique extractiviste – c’est-à-dire basé sur l’exploitation et l’exportation de matières premières –, a permis d’alimenter la croissance du pays et de garantir à l’Etat de nombreuses ressources financières pour ses programme sociaux. Ainsi, la récupération des ressources naturelles dans le giron public a rapporté à l’Etat plus de 30 milliards de dollars depuis 2007. Quant à la croissance économique, elle a connu un taux de 5% en moyenne depuis plusieurs années. En 2014, elle est estimée à 5,5% soit la deuxième plus importante dans le sous-continent après Panama. 
Stabilité démocratique, croissance significative, réduction de la pauvreté, investissements dans les infrastructures, modernisation, sont les mots clé de ce bilan. 

Evo Morales est-il toujours aussi populaire ? Qui sont ses principaux concurrents ? Quels ont été les thèmes majeurs de la campagne ?

Il est indéniable qu’Evo Morales reste toujours populaire. Les derniers sondages avant l’élection lui prête 59% des intentions de vote pour les élections de dimanche. Son plus sérieux candidat, Samuel Doria Medina, un entrepreneur à la tête de l’Union démocratique, un parti de centre-droit, ne rassemble que 18% des voix, là où l’ancien président (de 2001 à 2002) Jorge Quiroga (Action démocratique nationaliste) n’émarge qu’à 9% des intentions de vote. Morales est donc en passe d’être réélu pour la troisième fois consécutive au premier tour de l’élection présidentielle – il avait été élu au premier tour en 2005 avec 54% des voix, avant d’être triomphalement réélu avec 64% des voix en 2009. Cette victoire à l’élection présidentielle sera vraisemblablement accompagnée d’une victoire aux élections législatives, qui devrait lui donner une majorité absolue au Parlement. En effet, le 12 octobre, les Boliviens voteront en même temps pour la présidence, la vice-présidence, pour 36 sénateurs et l’assemblée nationale. 
Le président bolivien reste populaire malgré une montée des contestations. Depuis le début de son premier mandat, il subit une opposition très forte des régions tenues par la droite (notamment celles de la Media Luna), qui constituent le cœur économique du pays. De façon plus surprenante, on a vu émerger ces derniers temps une contestation sur sa gauche : ces mouvements sociaux sont particulièrement critiques vis-à-vis de la politique de gestion des ressources naturelles (lithium, mines, etc.) et de l’énergie (gaz, pétrole) mise en place par le gouvernement bolivien. On peut ainsi penser à la révolte des indiens du Tipnis (Territoire indigène et parc national Isiboro-Secure), qui se sont opposés au projet des autorités centrales de faire passer une route sur leurs terres ancestrales, ce qui a donné lieu à un conflit social très fort et dont la mobilisation a contraint Morales à reculer sur ce sujet. Cette contestation émergeant sur la gauche de Morales critique ainsi principalement le modèle « extractiviste » mis en place par le gouvernement, lui reprochant de sacrifier les enjeux écologiques. 
Les thèmes de la campagne ont ainsi principalement repris toutes les thématiques précédemment évoquées : comment mener une politique encore plus poussée d’inclusion des franges les plus marginalisées de la population et quel modèle économique la Bolivie cherche-t-elle à continuer à mettre en place ? 

Quels seront les enjeux du probable futur troisième mandat d’Evo Morales ?

L’un des enjeux majeurs de ce mandat sera donc celui du modèle économique. Il s’agira de voir si le modèle de développement défendu par Evo Morales est susceptible d’amener une sortie, à plus ou moins long terme, du modèle extractiviste. Ainsi, il convient de savoir si le gouvernement réussira à réduire sa dépendance aux marchés internationaux. 
De même, la question des enjeux écologiques va probablement prendre encore plus de poids et rappellera les difficultés du gouvernement bolivien à les rendre prioritaires face aux exigences de redistribution économique et sociale pour la population. 
Enfin, la question de l’après Morales va également probablement faire jour. Le président aura pour mission de veiller à l’émergence d’une nouvelle génération politique apte à prendre le relais pour consolider les acquis démocratiques obtenus sous sa présidence.




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