Le contexte n’était pas favorable. Dans l’enceinte du Forum économique mondial, les esprits demeuraient sous le choc du "lundi noir", hantés par la brutale chute des Bourses mondiales. Chacun se demandant si la crise financière allait maintenant s’étendre à l’économie réelle. Et si la récession gagnerait les Etats-Unis. C’est alors que, dans une atmosphère d’incertitude, le 25 janvier 2008, M. Yasuo Fukuda, premier ministre du Japon, prit la parole à Davos.
Les "maîtres du monde" attendaient du représentant de la deuxième économie planétaire qu’il les rassure. Ils auraient souhaité qu’il expose le programme que le Japon compte adopter pour aider l’économie mondiale à surmonter la grave crise financière.
Mais, au lieu de choisir comme principale priorité les mesures de stabilisation de l’économie mondiale, M. Fukuda consacra l’essentiel de son intervention à la crise climatique et au plan "Cool Earth", thèmes principaux du sommet du G8 qui se tient, jusqu’au 9 juillet prochain, au bord du lac Toya, dans un parc national reculé de la grande île d’Hokkaido, et qui sera le dernier G8 du président des Etats-Unis George W. Bush.
Un déphasage aussi important, entre l’attente des responsables mondiaux paniqués et le discours de M. Yasuo Fukuda s’est traduit par une sorte de silence médiatique. L’absence de commentaires a occulté l’intervention du premier ministre japonais à Davos. En France par exemple, aucun des grands médias n’a consacré une ligne à son intervention.
Bien entendu les médias ont eu tort, et M. Fukuda a fait preuve de courage. Car, malgré sa réelle gravité, la crise financière n’est que conjoncturelle alors que la menace du réchauffement climatique fait peser des dangers bien plus sérieux sur la survie de l’espèce humaine. Il est urgent d’arriver à un nouvel accord de limitation des gaz à effet de serre. Mais les dirigeants des principaux pays pollueurs – comme on l’a vu à Heiligendamm, en juin 2007, au dernier Sommet du G8, et plus récemment à la Conférence de Bali sur l’environnement – ne sont toujours pas d’accord sur les modalités.
La question des quotas des émissions de CO2 demeure la pierre d’achoppement essentielle. L’Union européenne, championne de l’approche contraignante, bute toujours sur le refus des Etats-Unis, mais aussi de la Chine, de l’Inde et du Brésil, de s’engager sur des sacrifices sans contrepartie économique.
On se souvient qu’avant le G8 d’Heiligendamm George W. Bush avait déclaré : "Il n’y a pas de problèmes, il n’y a pas de conséquences sur les émissions de carbone et de gaz à effet de serre, l’homme n’a pas de responsabilités." Certes, il avait ensuite, sous la pression de l’Allemagne, modifié son attitude mais dans le communiqué final cependant il était seulement dit que les pays du G8 "prennent en compte sérieusement", mais ne se fixent pas impérativement l’objectif de 50% de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050.
Cela avait beaucoup déçu les écologistes et les altermondialistes. Les défenseurs de l’environnement avaient critiqué les chefs d’Etat du G8 pour ne pas être parvenus à un accord sur des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les écologistes avaient rappelé aux gouvernements du G8 qu’ils doivent réduire leurs émissions de 80 à 90% d’ici 2050 si le monde veut éviter les pires impacts des changements climatiques.
Entre le 3 et le 14 décembre 2007, la Conférence des Nations unies sur l’environnement, qui s’est tenue à Bali (Indonésie) et réunissait des représentants d`environ 190 gouvernements, est revenue sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les puissances industrielles, principaux pollueurs, et même les Etats-Unis responsables de 25% de rejets polluants mondiaux, ont manifesté une volonté commune de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. La Chine et le Brésil ont fait part également de leur engagement à réduire leurs émissions de CO2. Et la conférence s’est achevée par la conclusion d’un accord lançant les négociations sur le futur régime de lutte contre le réchauffement climatique.
Mais finalement aucun objectif chiffré n’a été défini. Les Etats-Unis, le Japon, le Canada et d’autres pays se sont opposés à ce que le document final contienne une proposition de baisse des émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés de 25% à 40% en 2020. La délégation japonaise a suggéré un système où les Etats s`engageraient sur la base du volontariat, c’est-à-dire de manière non obligatoire, à réduire leurs rejets. Cette proposition a été très critiquée par les défenseurs de l’environnement. Ceux-ci ont rappelé que le Japon est en retard sur ses objectifs pour atteindre en 2012 le pourcentage de réduction prévu par le protocole de Kyoto.
Tokyo a certes rejeté ces critiques et réitéré sa volonté de remplir ses obligations, mais a confirmé vouloir que le cadre de l` »après-Kyoto » soit souple et non contraignant.
C’est donc dans le prolongement de ces débats que se situait l’intervention de M. Yasuo Fukuda à Davos lorsqu’il a exposé les objectifs du plan Cool Earth Partnership. Ce plan a les caractéristiques suivantes : premièrement, le Japon crée un fonds de 10 milliards de dollars sur cinq ans destiné aux pays en développement dans le cadre de la lutte contre le réchauffement global. Deuxièmement, le Japon propose d’instituer un fonds multinational poursuivant des objectifs analogues. Selon M. Fukuda, les Etats-Unis et le Royaume Uni auraient déjà approuvé ce projet, et la porte est ouverte pour d’autres pays. Enfin, le Japon commence à investir 30 milliards de dollars dans un programme quinquennal d’accroissement de l’efficacité énergétique et de la sécurité écologique de son secteur industriel, et invite le monde à élever, d’ici 2020, l’efficacité énergétique de la production de 30%.
Par ailleurs M. Fukuda a confirmé que le problème des changements climatiques globaux reste, avec la flambée des prix du pétrole et la crise alimentaire, les sujet principaux du Sommet du G8 à Hokkaido.
Malgré l’importance de cet ordre du jour, de nombreux groupes écologistes et altermondialistes demeurent très critiques vis-à-vis des Sommets du G8 quel que soit l’endroit où ils ont lieu. Même si les autorités japonaises ont choisi le lac Toya en raison de son isolement qui garantit une meilleure sécurité pour les chefs d’Etat et de gouvernement, elles s’attendent à d’importantes protestations avec la présence de manifestants venus du monde entier.
Nul n’ignore que les pays du G8 sont les principaux destructeurs des ressources naturelles du monde, ceux qui dépensent le plus en armements, et qui émettent plus de 40 % du dioxyde de carbone à l’échelle mondiale. Ces pays portent la principale responsabilité des changements climatiques. Ils menacent la planète. Jusqu’à quand ?