Les secteurs de la gauche brésilienne viennent de franchir une nouvelle étape dans leur organisation en lançant le Front Brésil populaire (FBP). La conférence nationale de fondation a eu lieu le 5 septembre à Belo Horizonte (Etat du Minas Gerais, sud-est) et a réuni 2 500 personnes.
Depuis la réélection de Dilma Rousseff début 2015 à la tête du pays et la mise en place par son gouvernement de politiques austéritaires d’ajustement fiscal contraires aux engagements de la campagne, la gauche brésilienne peine à imposer son agenda et à dialoguer avec la société. Les raisons qui expliquent cette situation sont multiples. Premièrement, l’isolement du Parti des travailleurs (PT) dans un gouvernement d’alliance avec des partis ayant contribué à l’élection de la présidente, mais qui ne partagent par le programme du parti, a créé une rupture entre le gouvernement et le programme que défendait Dilma Rousseff pendant sa campagne. Depuis son congrès national en juin, le parti lui-même se trouve divisé entre une courte majorité adoptant une position de soutien aux décisions de la présidente et le reste du parti appelant à renouer avec le programme historique du parti et revendiquant un tournant à gauche.
Le deuxième élément est le renforcement de la droite au Parlement et dans la rue, favorisé par le climat délétère des scandales de corruption que les grands groupes médiatiques privés utilisent également pour diaboliser le PT. N’acceptant pas la courte défaite de son candidat à l’élection présidentielle – Aécio Neves (Parti de la social-démocratie brésilienne, PSDB) – la droite impose son agenda conservateur au Parlement avec la complicité du président de la chambre des députés, le conservateur et évangélique Eduardo Cunha (Parti du mouvement démocratique brésilien, PMDB) qui a publiquement déclaré la guerre à Dilma Rousseff. En quelques mois, la chambre a ainsi voté plusieurs lois particulièrement rétrogrades comme la réduction de la majorité pénale de 18 à 16 ans, la généralisation de la sous-traitance ou encore le financement privé des campagnes électorales par les entreprises. Monopolisant l’opinion publique, c’est aussi la droite qui s’est accaparée du sujet de la lutte contre la corruption, se servant de ce thème pour mener une campagne visant à obtenir la destitution (infondée) de Dilma Rousseff et l’éloignement de l’ancien président Lula, potentiel candidat à la présidentielle de 2018.
Dans ce contexte, le discours de la gauche, soutenant à la fois la présidente et dénonçant les mesures austéritaires de son gouvernement est difficilement audible. Si les manifestations appelées par la gauche (parfois organisées à quelques jours de celles de la droite largement médiatisées par la presse internationale) ont vu leur effectif s’accroitre progressivement, il manquait encore la mise en place d’un outil qui puisse se positionner sur la scène politique pour porter un alternative de gauche aux problèmes du pays.
Cet outil semble voir le jour avec la création du FBP. L’objectif est de réunir largement la gauche brésilienne dans toutes ses composantes : mouvements sociaux, étudiants, syndicats, partis politiques, intellectuels, artistes, parlementaires, organisations confessionnelles progressistes autour d’une plateforme politique s’engageant en faveur de la démocratie et d’une nouvelle politique économique. Il s’agit de maintenir un soutien formel à la stabilité institutionnelle et démocratique contre les attaques de la droite qui se mobilise pour la destitution de Dilma Rousseff, tout en menant une offensive vigoureuse contre la politique économique et sociale du gouvernement.
Dans cette perspective, le Manifeste au peuple brésilien adopté lors de la conférence fondatrice du 5 septembre met en avant quatre objectifs principaux :
1. Défendre les droits des travailleurs : lutte contre la politique d’ajustement fiscal qui détruit les droits, réduit les salaires et élève le coût des services publics ; lutte contre la spéculation financière nationale et internationale ; lutte pour une redistribution équitable du revenu, pour une réforme fiscale organisant la taxation des grandes fortunes ; exigence d’un audit de la dette.
2. Renforcer la démocratie et la participation populaire : dénonciation du coup d’état parlementaire, judiciaire et médiatique ; exigence d’une réforme du système politique démocratique et populaire qui rétablisse la représentation de la société dans les institutions ; engagement contre la criminalisation des mouvements sociaux, la corruption et la politisation de la justice, le machisme et le racisme.
3. Promouvoir des réformes structurelles pour construire un projet national de développement démocratique et populaire : réforme politique ; démilitarisation des services de police ; démocratisation des médias ; réforme urbaine ; réforme agraire ; réforme fiscale ; réforme de la santé et de l’éducation ; renforcement des médias populaires.
4. Défendre la souveraineté nationale : refus que les richesses naturelles du peuple brésilien soient accaparées par les multinationales ; maintien du caractère public de l’entreprise pétrolière Petrobras pour garantir la souveraineté énergétique nationale ; maintien du système de redistribution publique des revenus issus de l’extraction du pétrole ; renforcement de l’intégration latino-américaine.
A la tribune, des représentants politiques issus de divers secteurs politiques et sociaux étaient présents : João Pedro Stédile pour le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), le président de la Centrale unique des travailleurs (CUT), Vagner Freitas, Rui Falcão de la direction du PT, mais aussi des représentants de partis centristes tels Roberto Requião du PMDB et l’ancien président du Parti socialiste brésilien (PSB), Roberto Amaral.
C’est autour d’un agenda de mobilisations unitaires que le Front va bâtir son organisation. Ouvert à toutes les organisations et recevant chaque jour de nouvelles demandes d’adhésions, il privilégie la négociation consensuelle autour de sa plateforme unique. L’enjeu pour les prochains mois est de construire la voix de la gauche et de garantir une plus grande visibilité à son agenda politique pour démonter le discours de la droite. Sans vocation électorale, le Front Brésil populaire vise principalement à mobiliser la société, comme le prévoit son prochain appel à manifester, le 3 octobre [1], à l’occasion de l’anniversaire de l’entreprise pétrolière publique Petrobras que la droite cherche à privatiser derrière son discours de dénonciation des scandales de corruption.
Illustration : Conférence nationale de fondation du Front Brésil populaire, 5 septembre 2015 (Photo : Lidyane Ponciano).