Le lent pourrissement de notre non-république se prolonge. « Amener notre pays vers demain ». C’est pourtant par ces mots que le premier ministre Manuel Valls a justifié son recours au 49.3 pour imposer la loi travail, sans majorité politique et contre l’opinion populaire.
Une question s’impose à toutes celles et tous ceux qui s’engagent jour après jour contre la loi El Khomri et son monde, dans des conditions toujours plus radicalisées par les pressions policières.
Pourquoi, malgré Nuit Debout, la multiplication des mobilisations unitaires impulsées par les syndicats et les mouvements de jeunesse, le risque de faire voler en éclat sa propre majorité parlementaire, le reniement consommé de l’histoire même de son courant politique – le socialisme – et les possibilités d’un embrasement des conflits sociaux, ce gouvernement s’entête ?
Pour une raison simple. François Hollande, Manuel Valls et le gouvernement sont convaincus du bien fondé de leur choix et de leur action en régime de capitalisme financier mondialisé et de libre-échange débridé. Pensant l’avenir de notre société dans le cadre de ce système dont ils ne questionnent ni la nature ni l’évolution, ils sont convaincus qu’ils font ce qu’il faut pour la France.
De fait, dans ce contexte, leur orientation est rationnelle et cohérente. Il s’agit d’ajuster notre société aux exigences de la production mondiale qui organise, dans le cadre de la globalisation, la dégradation continuelle de la valeur du travail, de sa capacité de négociation face au capital, de sa participation aux orientations de l’entreprise et de l’investissement.
La loi El Khomri n’est que la déclinaison contextualisée en France de ce qui se déroule, depuis quelques années, quelques mois ou simultanément selon les cas, dans nombre de pays : Allemagne, Argentine, Brésil, Espagne, Grèce, Italie, Royaume-Uni, etc.
« Amener notre pays vers demain »... Notre gouvernement ne fait que préparer ses meilleurs offrandes – notre compétitivité pays, notre baisse du « coût » travail, notre dégradation du droit du travail, etc. – aux « deus-globo ».
Que faire face à ce rouleau compresseur global ? La séquence actuelle nous rappelle que nos sociétés sont soumises à des rapports de pouvoir qui s’exercent et s’incarnent dans nos institutions. Un groupe social – la classe politique dans l’Etat – a le pouvoir de renforcer – ou de contraindre – celui des agents économiques et des forces du marché.
Tandis que les mouvements de la société actuellement à l’œuvre vont agir en se développant dans un cycle long, nous devons réfléchir à la question politique. Toutes les expériences historiques qui ont apporté des victoires pour les peuples ont combiné actions dans la société et dans les institutions. Pour gagner, il faut occuper la rue, l’espace public, les places, le lieu de la production mais aussi les institutions et l’Etat pour en désarticuler les équilibres et en transformer progressivement l’action au service d’un autre projet de société.
Combat titanesque, rude, incertain tant les chances de se perdre dans les méandres de la bureaucratisation et du pouvoir corrupteur sont grandes. C’est alors ici plus qu’ailleurs que nous devons inventer des pratiques et des mécanismes qui projettent et préservent l’élan de la transformation surgi de la société.
Transformer la politique, sa culture, son organisation, renforcer son contrôle par la population, réorienter la direction de son pouvoir et renouveler sa représentation constituent une tâche indissociable du combat social. Elle échoit à toutes et celles et tous ceux qui pensent que seule la démocratie est opposable à la tyrannie de l’économie.
Sortir de la non-république exige de réinstaller le conflit politique au cœur de la vie démocratique, dans la société et dans l’institution.