Initiatives

Altermondialisme : ses acquis et ses limites

mercredi 2 avril 2008   |   Isabelle Sommier
Lecture .

L’objet de mon intervention est de tenter de voir quels sont les acquis et les limites, à mon sens, de l’altermondialisme. La force de cette nébuleuse réside dans sa fluidité et sa souplesse, c’est-à-dire dans la capacité que les groupes ont eu de s’agréger alors même qu’il s’agit d’un espace d’organisation de tradition militante, de modèle organisationnel, aux causes extrêmement diverses, et quelquefois en compétition. L’altermondialisme a également offert un cadre interprétatif, une grammaire cohérente qui a permis de décliner les griefs portés par ces groupes, de façon convergente et ordonnée, autour d’un même responsable : l’évolution du capitalisme dans son expression mondialisée et désormais sans limite, puisque l’on a maintenant un pays dit communiste, la Chine, qui est devenu le moteur du capitalisme. Cela a permis de relier entre elles des causes, de les désenclaver, et d’éviter ce pli caractéristique depuis une quinzaine d’années, la fragmentation et la juxtaposition des luttes et des combats, le tout en proposant des espaces de coopération.

Pour moi, l’altermondialisme est d’abord ces espaces coopératifs, qui permettent à chacun selon ses moyens de participer à la co-construction d’un évènement ou d’un moment, avec des moyens de délibération, de prises de décision plus démocratiques, et répondant aux aspirations actuelles des militants, c’est-à-dire l’ouverture, la forme en réseaux et réticulaire, l’emboîtement souple de groupes et de réseaux autour d’objectifs délimités, définis, précis, et la prise de décisions au consensus comme alternative au vote et à la logique majorité/minorité.

Les limites sont le revers des acquis de ce mouvement. D’une part, les choix organisationnels et les modes délibératifs que je viens d’évoquer comme étant une des forces de ce mouvement sont aussi le produit de contraintes. Un seul exemple : il ne faut pas se cacher que le modèle fédératif, par emboîtements successifs et réticulaires, est aussi un moyen de pallier la limite des forces militantes. Vous connaissez certes cette part de contraintes, mais je pense qu’il faudrait l’assumer plutôt que de construire une vision enchantée à laquelle vous participez quelquefois, où l’altermondialisme est présenté comme étant un mouvement radicalement nouveau, plus démocratique, alors que par exemple la prise de décision au consensus à notre regard n’est certainement pas l’égalité entre les partenaires. Je pense qu’il faut aussi assumer ses faiblesses, cette part de contrainte et de tâtonnement, plutôt que de renvoyer une vision enchanteresse qui ne trompe que les naïfs.

Ce qui a fait le succès de l’altermondialisme – les innovations, le forum social, la forme contre-experte – est aussi en passe de creuser sa tombe dans une société caractérisée par une perte de modernité, par une extrême vélocité où les médias sont aussi prompts à encenser qu’à enterrer un mouvement qui leur semble d’abord nouveau et qui vieillit de façon très rapide. J’ai souvent répondu aux journalistes qui enterraient déjà le forum social ou le mouvement altermondialiste, disant qu’il ne se passait plus rien, que la construction des internationales ouvrières ne s’est pas faite en cinq ou dix ans. Il y a là une tendance à la consommation et à passer d’un moment à un autre.

Nous assistons également à une routinisation extrêmement rapide des formes d’actions innovantes comme des forums sociaux, qui ont beaucoup épuisé les énergies militantes, qui restent limitées. C’est sans doute une bonne chose désormais de les décentraliser. Cette forme de routinisation produite par les médias a éclipsé l’élargissement géographique de l’altermondialisme, qui est un point qui continue à avancer. Il y a une autre dimension, l’élargissement social, qui n’avance pas et pose problème. Les innovations de l’altermondialisme sont aussi en parfaite adéquation avec le capitalisme que nous combattons. Sans reprendre ce qui a déjà été, ce qui caractérise l’altermondialisme est l’opposition d’un savoir contre-expert au savoir expert, de réseaux altermondialistes contre le capitalisme en réseaux.
Il existe donc une homologie classique entre le capitalisme et la critique du capitalisme. Mais il faut faire très attention au risque de renvoyer l’image d’une confrontation entre les élites, les élites établies et les élites dissidentes, étant donné que les études que l’on a pu faire lors du forum social montrent très clairement – et ce n’est pas pour moi de la petite bourgeoisie – que 80 % des participants sont des cadres, professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires. En France, il y a une caractéristiquesque l’on ne trouve pas dans d’autres pays : l’extrême puissance et présence des salariés du public dans ce mouvement. Oui, nous sommes intellectuels et nous sommes dans le public, parce que les capacités des résistances sont tout de même aujourd’hui assez limitées dans le secteur privé. Cela étant, il y a un véritable problème d’absence d’élargissement social, et cela n’avance pas. Comme le disait Frédéric Lebaron tout à l’heure, les ouvriers et les employés sont absents. Il est vrai que la forme du forum contribue à cet « enclavement », parce qu’elle s’appuie sur une forme spécifique de militantisme, qui demande à pouvoir rester des heures à écouter, à prendre des notes, etc. Cela favorise donc des dispositions que l’on ne retrouve pas dans toutes les classes sociales.

Ce problème de l’élargissement social me paraît très important à noter. Il y en a un autre avec lequel je prends le risque de vous heurter : il me semble qu’il y a aussi un problème de relève générationnelle. Les enquêtes que nous avons menées montrent très clairement que nous avons affaire d’une part à un mouvement très jeune, et d’autre part à un mouvement de personnes retraitées. Il y a un trou générationnel très net chez les personnes de 30-45 ans, en gros les personnes plus actives. Nous pouvons aussi remarquer autre chose : une certaine forme de division des tâches suivant les générations dans ce mouvement : aux jeunes l’animation, les troupes pour les manifestations et pour les villages alternatifs, etc., et aux catégories plus âgées, les jeunes retraités, la responsabilité de l’organisation des forums, etc. Là aussi, cela pose problème. C’est assez caractéristique de la France, nous avons un problème générationnel et de relève que nous retrouvons aussi dans les mouvements sociaux.

Je voulais aborder aussi la question politique. Là aussi, il faut arrêter de se battre la coulpe. Je ne vois pas pourquoi la gauche associative ferait mieux que la gauche institutionnelle étant donné le marasme actuel. Mais l’échec des tentatives unitaires au moment de l’élection présidentielle, d’autant qu’au même moment ATTAC connaissait une crise, a beaucoup pesé.
Je terminerai en disant qu’il me semble qu’il y a une question autour de la forme parti, mais cela dépasse le cercle de l’altermondialisme pour renvoyer à la question plus large de la gauche.





A lire également