Initiatives

Altermondialisme : l’avion plutôt que le train

dimanche 6 avril 2008   |   Riccardo Petrella
Lecture .

Je crois que François Houtart a bien fait l’analyse de la situation du mouvement quand il a rappelé « l’autre Davos » de 1999. Nous avions dit à l’époque que nous ne voulions plus courir derrière les « lapins », les dominants. Nous voulons nous donner un lieu à nous, un agenda politique à nous. On ne va pas courir derrière l’agenda politique des dominants. Nous ne sommes pas aujourd’hui à Davos, ce qui est bon, mais nous ne sommes plus non plus à Porto Alegre. Nous sommes au contraire au milieu. Je me demande si c’est bien d’être au milieu, où il y a dix mille actions. Par logique, on arrive lors d’un comité à avoir un million de projets. Avec un million de projets, avec dix mille actions et en étant au milieu, nous devons faire aujourd’hui un constat de faiblesse structurelle de l’altermondialisme.

À Davos, c’était extraordinaire, tous ces gens qui sont responsables des trente ans de la débâcle du monde, du fait qu’il y a encore des milliards de gens qui sont pauvres, des milliards de gens qui n’ont pas à manger ou qui ont soif. Ils sont là, et ils triomphent. Ils sont en train de donner des leçons avec joie, ils disent qu’il faut changer l’organisation du monde du travail, qu’il faut avoir une nouvelle action politique pour contrecarrer les changements climatiques dévastateurs. Et ils ont la presse avec eux. Qui parlera de ces dix mille actions et de ces millions de projets que nous sommes en train d’élaborer ?

Il est évident que 2008 nous contraint à poser le problème, d’autant plus que cette année, les dominants de Davos diront : « C’est nous la voie pour garantir le respect de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 », et ils vont fêter tout cela soixante ans après.

Pourquoi sommes-nous au stade où Lula, le président du Brésil, n’est plus avec nous ? Nous sommes en train de lutter contre Lula parce qu’il veut utiliser des millions d’arbres de pays amazoniens pour faire du bio-fuel. Le fait que Lula ne soit pas avec nous est une défaite énorme de l’altermondialisme. Pourquoi nous sommes-nous émiettés ?

Il me semble que c’est parce que nous avons utilisé surtout le « train ». Par « train » j’entends, avec le T, ces logiques de témoignages moléculaires, certes importants. C’est ensuite une logique de l’existence, que François Houtart a bien expliquée. Mais ce n’est pas suffisant. « Train », avec « R » pour existence, « A » pour « activisme », pour diriger, dans la recherche de la possibilité. « I », c’est une initiation militante sectaire. Parfois, nous sommes là à travailler à travers une sorte d’Église où l’on va affirmer une initiation, qui va finalement devenir une nébulosité. Nous sommes une nébuleuse qui ajoute émiettement et inefficacité à un bilan où nous avons eu des victoires.

Nous avons eu des victoires en Italie sur l’eau. Maintenant, ces années de lutte et de succès sont finies avec la chute du gouvernement Prodi. Nous étions parvenus à arracher aux dominants italiens l’idée qu’au moins l’eau ne devait pas être privatisée. Et encore, nous n’avions pas obtenu cela de manière claire. Nous avons obtenu un moratoire de la privatisation. Maintenant, avec la chute du gouvernement Prodi, tout est balayé. À la fin mars, tout ce que nous avions conquis disparaîtra. Nous pouvons nous demander comment dépasser l’émiettement. Je pense, même si ce n’est pas un moyen soutenable à l’heure du développement durable, qu’il faut créer et multiplier les avions à la place du train.

« Avion », « A » signifie « action commune ». Nous sommes tous au sein de l’acte altermondialiste à dire et à donner des priorités, à condition qu’elles soient les nôtres. La priorité des autres et des actions communes autour des priorités qui ne sont pas éventuellement les nôtres ne nous permettent pas d’avoir d’une visibilité, et ne sont pas importantes. Il faut donc respecter la diversité et la multiplicité. Nous n’avons pas acquis une véritable culture de l’action commune. Notre domaine est notre priorité et le seul altermondialisme possible et imaginable. Je reviendrai sur l’avion quand je traiterai des raisons de l’histoire, et j’ai des propositions.

Le « V » signifie « vision stratégique ». Il faut avoir le courage de dire que nous devons nous donner des visions stratégiques qui doivent alimenter ces actions communes. La vision stratégique, ce sont les alliances, la conquête du pouvoir, un accord possible avec des partis politiques, des États amis, même s’il ne faut pas sacraliser la notion des alliances avec les partis politiques, les syndicats ou les États amis.

« I » pour « innovation théorique », avec la notion de faiblesse. Je voudrais donner un exemple. Tout le mouvement altermondialiste a été faible sur la théorie de la finance. Même si Attac s ‘est contenté de dire de mettre des taxes, il n’avait pas ignoré le plan de la théorie et de la finance. Toute conception aujourd’hui de la finance est doit concerner la finance capitaliste et de marché. Nous n’avons pas de théorie. Nous n’avons pas été capables d’innover sur le plan de la théorie du rôle de la monnaie et du rôle de la finance. Nous avons là un manque, ainsi que sur les biens communs. Nous n’avons pas été capables d’avancer une nouvelle théorie des biens communs. Même sur la théorie de l’eau et de l’énergie, nous suivons l’agenda théorique des dominants. Nous devons proposer une autre finance, une autre eau, une autre agriculture, mais nous n’avons pas été capables d’avancer ensemble. C’est pour cela que nous n’avons pas de visions stratégiques communes : parce que nous n’avons pas d’innovations théoriques et politiques communes.

Le « O » est pour « organisation efficace » : l’agencement bien entendu, mais nous sommes aussi dans une sorte d’altermondialisme sentimental primitif, qui considère que l’organisation autour de visions stratégiques d’actions communes consisterait à nier la démocratie. C’est un infantilisme politique.

« N », c’est la « navigation mondiale ». Au lieu de faire une navigation de cabotage, il faut aller un peu dans la planète et être présent aux différents lieux de la planète. « Navigation mondiale » signifie ne pas laisser surtout agir Nestlé, par exemple, aujourd’hui, ni les multinationales qui ont proposé un plan mondial de l’eau ou une autorité mondiale sur le changement climatique. Nous, nous agissons au local, mais l’avion est mondial.

Il me semble que passer du train à l’avion est un peu le chemin à suivre pour dépasser l’émiettement actuel de l’action mondialiste.





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