La première fois que j’ai rencontré Samir Amin, c’était au début des années 1960. J’avais lu ses premiers ouvrages et ce qu’il écrivait trouvait un écho en moi.
Je passais par Dakar et je lui ai demandé si nous pouvions nous rencontrer.
Je ne crois pas qu’il savait qui j’étais ou qu’il avait lu un seul de mes écrits.
Néanmoins, il m’a très gentiment invité à dîner.
Ses admirateurs à travers le monde sont très peu nombreux à avoir mentionné sa gentillesse. Pour moi, c’est l’un des éléments essentiels de sa personnalité.
Dès le début de notre conversation, nous avons découvert combien nos points de vue étaient proches.
Nous avions tous les deux la conviction que nous vivions dans un monde capitaliste.
Et tous les deux nous avions le sentiment qu’il nous fallait nous organiser pour le détruire.
Nous avions tous les deux la conviction que la pensée marxiste restait essentielle.
Mais nous pensions tous les deux qu’il ne s’agissait pas d’un dogme et qu’elle nécessitait d’être réactualisée.
Peu de temps après, j’ai rencontré Gunder Frank [1]. Il avait lu une première version de ce qui allait devenir le tome I du Système-monde moderne [2]
Il était enthousiaste et offrit d’écrire une présentation du livre en vue de sa publication.
J’ai par la suite rencontré GiovanniArrighi [3] et j’ai constaté qu’il partageait lui aussi nos analyses.
Giovanni, Gunder, Samir et moi sommes ainsi devenus ce qu’on a appelé la Bande des quatre. Nous avons écrit deux livres [4] ensemble, selon un format spécial.
Chacun des livres comportait quatre chapitres écrits individuellement, dans lesquels nous développions nos analyses personnelles sur le sujet. Chaque volume comportait une introduction commune qui présentait les postulats que nous partagions, ainsi qu’une conclusion également commune qui exposait nos différences de point de vue.
Notre intention était de montrer que nous étions d’accord sur quelque chose d’important. Je dirais que c’était environ 80% du chemin. En traitant nos différences se sont dégagés divers points d’accord entre certains d’entre nous sur toutes les questions. Samir et moi étions le plus souvent d’accord.
Samir et moi sommes restés en contact très étroit dans les années qui ont suivi. Il vivait dans un avion, faisant en permanence le tour de monde. Je n’avais pas son énergie. Mais je suis toujours resté son camarade dans le combat.
Et il y a un seul combat : nous devons transformer le monde.
En toute solidarité
Traduction et notes : Mireille Azzoug
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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.