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Rien de nouveau au Venezuela

dimanche 16 février 2014   |   Jean Ortiz
Lecture .

Ce titre peut surprendre, mais en réalité il confirme tout ce que nous avons déjà écrit. La révolution bolivarienne, qui avance dans un cadre électoral, pacifique, démocratique, de pluralisme politique, se heurte depuis des mois à une stratégie "à la chilienne", de déstabilisation politique et économique, par tous les moyens.

La "guerre économique" est le premier d’entre eux. Malgré les nationalisations, la massivité des investissements publics, l’élargissement des secteurs d’Etat, associatif, coopératif, d’économie mixte, le privé reste largement majoritaire. Le puissant Medef local, Fedecámara, ouvertement factieux, "donna" au pays son chef, Pedro Carmona, comme président éphémère lors du coup d’Etat contre Chavez en 2002.

Le capitalisme tient les leviers

Dans les faits, dans ce Venezuela qui se fixe comme cap le "socialisme du XXIème siècle", "l’agenda socialiste 2013-2019", le capitalisme reste toujours dominant. Il possède encore les principaux leviers de l’économie et peut ainsi provoquer hausse des prix, inflation, spéculation, pénuries de produits de base, etc. Comme au Chili de l’Unité populaire, il s’agit de fatiguer la population pour qu’elle se retourne contre le gouvernement. Pour défendre leurs intérêts de classe, pour ne pas être "déplacées", ces classes dominantes depuis toujours, depuis "l’Indépendance", sont prêtes au pire, au bain de sang.

Le gouvernement Maduro s’est donné comme ligne stratégique "la pacification" du pays, la riposte constitutionnelle, légale, populaire (énorme manifestation ce samedi dans les rues de Caracas). Il a multiplié envers l’opposition les gestes d’apaisement et de dialogue, notamment pour que les élus puissent faire face ensemble, concrètement, à la corruption endémique et à la violence enracinée. Chaque main tendue a apaisé les tensions quelques jours durant, au grand dam des secteurs fascisants, minoritaires, mais qui semblent avoir pris la direction de la MUD (opposition). Leopoldo Lopez, de "Voluntad popular", et la député Maria Corina Machado ont ouvertement appelé à "mettre le feu à la rue".

Les témoignages vidéos abondent. Dans n’importe quel pays démocratique, cela tombe sous le coup de la loi, même si David Pujadas, pitoyable perroquet de ses maîtres, comme jadis "Radio Paris ment...", fait mine de l’oublier et renverse les rôles. Tous ces valets de l’empire ne nous feront pas oublier, qu’en 1989, un président social démocrate, Carlos Andrés Perez, ami de Mitterrand, Gonzalez, Soares, fit tirer sur le peuple des miséreux descendus dans le centre de Caracas pour protester contre "l’austérité de gauche", les "thérapies de choc" du FMI (3000 morts).

"Pouilleux"

N’oublions pas non plus que, dans un pays où régnaient le bipartisme et l’alternance sociaux démocrates (AD)-démocrates chrétiens (Copei) (codifiée par un pacte en 1958), l’opposition pèse électoralement entre 45 et 50% ; si le Venezuela est devenu le pays le moins inégalitaire du continent, cela s’est fait au détriment des privilèges des couches bourgeoises, très consuméristes, américanisées, et qui n’acceptent pas que des "pouilleux" puissent profiter de la manne pétrolière, de la santé et de l’éducation, devenues gratuites (soit dit en passant : tout cela endette l’Etat).

Les autorités bolivariennes sont par conséquent contraintes de résister, avec sang-froid, de boucher les trous de la "guerre économique", de ralentir les avancées structurelles indispensables, de consolider les acquis au lieu d’accélérer.

La stratégie de "coup d’Etat permanent" de l’opposition, de putsch rampant, comme en 2002, oblige le gouvernement à les déjouer, avec retenue, quitte à ralentir "l’agenda socialiste". Mais n’est-ce pas l’un des objectifs des factieux ?

Comme pendant les "mille jours" de Salvador Allende, des groupes d’extrême-droite, financés en sous-main par des agences, des "instituts", des ONG nord-américains, tentent d’instaurer le chaos, de faire régner la violence et l’insécurité. Les médias antichavistes (hégémoniques) et les "médias-mensonges" internationaux, au premier rang desquels l’AFP, dénoncée par le président Maduro, attribuent les exactions, les morts, à la "répression chaviste", alors que la Garde nationale, la police, ont reçu l’ordre de n’intervenir que défensivement, alors même que les "combattants de la liberté" s’en prennent masqués et armés aux centres sociaux, incendient des dispensaires médicaux dans les Etats les plus conservateurs : Táchira, Mérida, Nueva Esparta, Lara... Lors du coup d’Etat d’avril 2002 contre Chavez, les tirs et les morts du pont Llaguna à Caracas furent attribués aux chavistes, avant que l’intox ne soit démasquée. Mais calomnie, ment, manipule, même si ultérieurement le mensonge se dégonfle, il en reste toujours quelque chose...

4 millions d’emplois créés

Ce "quelque chose" a pour fonction d’occulter un bilan social reconnu par tous les grands organismes internationaux Le 1999 à 2013, les investissements sociaux, massifs, ont permis la création de près de 4.200.000 emplois. Ces investissements ont représenté, en 2013, 54% du budget de l’Etat. C’est vrai que l’inflation est très haute, mais le gouvernement a augmenté de 59% le salaire minimum entre mai 2013 et janvier 2014. Il se bat pour que "ceux d’en bas" soient le plus possible épargnés.

L’économie, encore trop basée sur la "rente pétrolière", contraint le pays à dépendre des importations, du dollar et de sa bulle spéculative ; cette déformation structurelle permet la fuite des capitaux, la spéculation sur la monnaie...Il est difficile à l’Etat de pouvoir déployer pleinement un rôle moteur, malgré les mesures anti-"guerre économique" prises récemment. La "loi des coûts et des prix justes" limite à 30% les marges bénéficiaires du commerce privé. Cela en a rendu certains fous furieux. Elles pouvaient atteindre 1000%. Ces pauvres victimes crient à l’autocratie, au "populisme", à la dictature...

Les Etats-Unis et le pétrole

La diversification de l’économie , un certain protectionnisme, sont rendus difficiles aussi par l’insertion du pays dans l’économe mondiale. Des solutions devraient être possibles avec l’Alba, le Mercosur... De plus, la coopération avec la Chine assure les exportations de pétrole, mais elle se traduit, en retour, par l’ouverture aux produits chinois. A la campagne, le nombre des paysans a fortement diminué, attirés vers la ville, avant le chavisme, par les retombées de la rente pétrolière. Le Venezuela possède les plus grandes réserves pétrolières au monde. S’il ne produisait que des bananes, il perdrait tout intérêt pour Washington.

Le Venezuela bolivarien, du "socialisme du XXIième siècle", a fait reculer l’hégémonie et la tutelle des Etats-Unis. Ceux-ci tentent par conséquent, désormais, de "reprendre la main". Le Venezuela est un pays clé pour les processus de libération et d’intégration latino-américains, mais aussi pour la gauche de transformation sociale, en Europe et ailleurs.

Solidarité internationaliste

Voilà pourquoi la lutte des classes y est si dure, pourquoi la transition sera longue ; acharnée ; les lignes de fracture se sont aiguisées, mais les pauvres des "ranchitos" sont enfin "visibles", acteurs d’un processus révolutionnaire inédit, endogène, contagieux, qui mérite la haine des sabreurs de peuples, des nantis, des petits soldats à la botte du Medef, de Pujadas, des "collabos" d’aujourd’hui, des néo-socio-ultra-libéraux, de ceux qui sont en train de faire de la France une "république bananière". Qui mérite surtout la solidarité internationaliste, en toute lucidité, une vraie compréhension, sans regard européo-centré, la mobilisation concrète, la bataille d’idées, la tendresse des militants, de tous les humanistes.

A Brunete, Belchite, Teruel, se jouait aussi le sort de Paris. Nombreux sont ceux qui en 1936, 37, 38, ne le comprirent pas. Nous sommes aujourd’hui, plus directement que jamais, concernés par ce qui se joue à Caracas.




Article publié sur le site de l’Humanité : www.humanite.fr/monde/rien-de-nouveau-au-venezuela-559196



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