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Réponse d’Ignacio Ramonet

Massacrer à bon droit ?

vendredi 23 septembre 2011   |   Ignacio Ramonet
Lecture .

Cinq mois après avoir écrit "Libye, le juste et l’injuste", je ne vois pas une virgule à y changer. Et ce ne sont certainement pas les arguments avancés par Pierre Lévy qui m’inciteraient à le faire.

Car quand j’affirme que "les Etats progressistes d’Amérique latine" – contrairement à ce que semble croire obstinément Pierre Lévy, je ne vise pas tel ou tel pays en particulier mais tous, aussi bien ceux membres de l’ALBA que l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay - auraient dû exprimer sans attendre leur solidarité avec les peuples arabes révoltés contre les dictatures, je ne suis nullement en train de dire que j’approuve l’intervention militaire des forces de l’OTAN en Libye.

Et ce n’est pas parce que celle-ci est condamnable et criminelle, ou que la naissance du mouvement populaire en Libye a rapidement laissé place à une insurrection militarisée dans le cadre d’une guerre civile, que le silence et la non solidarité des progressistes latino-américains sont justifiés. Chacun voit bien qu’il s’agit de réalités différentes.

La vérité, je le répète, est que la diplomatie latino-américaine a commis une erreur stratégique majeure, dont elle supportera les conséquences longtemps. Et que la jonction historique - possible, virtuelle - entre les principales forces progressistes du monde, celles d’Amérique latine, et les forces populaires émergentes dans le Monde arabe a été ratée.

Il va de soi que nul ne réclamait des Etats progressistes latino-américains une quelconque (et absurde) intervention militaire en faveur des révolutions populaires arabes. Mais tout simplement une déclaration de solidarité avec ceux qui, en Tunisie et en Egypte, ainsi qu’en Lybie ou en Syrie, se sont levés contre des régimes tyranniques. Elle ne vint jamais.

Recourir à des schémas figés pour justifier cette erreur est ridicule. L’histoire concrète suit toujours des chemins sinueux qui défient le confort des raisonnements idéologiques. Ici encore, raisonner en termes manichéens produit des monstres.

J’insiste sur ceci : en matière de droit international, il faut avancer vers un monde plus juste, plus humain, plus civilisé. On ne peut plus accepter, au nom de la raison d’Etat (définie en 1648 par le Traité de Westphalie qui mit fin, en Europe, à la guerre de Trente ans), qu’un pouvoir non légitime (c’est-à-dire non élu) exerce un droit de vie, de mort et de terreur sur ses propres citoyens.

Enfin, je réprouve radicalement cet étrange raisonnement de Pierre Lévy selon lequel, en certaines circonstances, des Etats seraient autorisés à "massacrer à bon droit". L’expérience historique a définitivement démontré que nulle construction politique de progrès ne peut être édifiée sur la base d’une si exécrable pensée.





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