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Chronique - novembre 2010

Changer les règles du jeu

lundi 1er novembre 2010   |   Bernard Cassen
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En politique comme ailleurs, il y a des problèmes sans solution si l’on ne change pas les règles du jeu. En Europe, c’est le cas du financement des services publics, de la protection sociale et des systèmes des retraites.

A un degré ou à un autre, la plupart des gouvernements sont englués dans d’énormes déficits publics largement imputables aux opérations de sauvetage des banques et aux plans de relance visant à juguler la crise économique et financière provoquée… par ces mêmes banques. Sauvées du désastre par l’argent public, elles en veulent maintenant encore davantage. Comment ? En imposant, avec la complicité des agences de notation, des taux d’intérêt exorbitants pour leurs prêts aux pays les plus vulnérables. Ce qui creuse encore plus leurs déficits publics…

Les gouvernements européens se sont pliés à ces diktats en mettant en œuvre ce qu’ils appellent des « réformes » : réduction brutale des effectifs, voire des salaires des fonctionnaires ; coupes claires dans les budgets sociaux ; report de la date de départ à la retraite des salariés. Autant d’objectifs que poursuivaient depuis longtemps les organisations patronales, les néolibéraux de toute obédience et les institutions internationales qu’ils contrôlent. Pour eux, la crise a constitué un formidable prétexte pour obtenir pratiquement du jour au lendemain ce qu’il leur aurait été impossible d’arracher en temps normal.

Ils ont d’autant plus de raisons de se féliciter que ce sont les gouvernements eux-mêmes qui se sont chargés de « vendre » aux opinions publiques la nécessité de ces « réformes ». En première analyse, on a du mal à comprendre comment, entre autres, des dirigeants se réclamant de la social-démocratie, comme George Papandréou ou José Luis Zapatero, ont pu ainsi trahir leurs engagements passés et prendre le parti des marchés contre leur propre population, et plus spécifiquement contre leur base électorale.

Loin des explications psychologiques, la question qui se pose est de savoir s’ils avaient le choix. Il est plus que probable qu’ils étaient et restent persuadés que non, et que, au prix du délabrement de leur image personnelle, ils ont « sauvé » leur pays de la faillite. En restant dans les paramètres du système - traités européens, Pacte de stabilité, rôle de garde-chiourme de la Banque centrale européenne (BCE), règles de l’OMC, conditionnalités du FMI – ils ont certainement raison.

Mais il ne leur est pas venu une seconde à l’idée que d’autres règles du jeu étaient possibles. Par exemple, la combinaison de mesures telles que la restructuration ( pour ne pas parler de répudiation…) de la dette publique ; l’obligation pour chaque banque d’en détenir un volume donné ; le contrôle des changes ; la taxation des revenus financiers au moins à la même hauteur que ceux du travail ; l’imposition du capital et du patrimoine ; la subordination des flux commerciaux à des normes sociales et écologiques ; des taxes globales, etc. En bref, une radicale redistribution des richesses et une réduction des inégalités qui, comme le rappelle régulièrement le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, sont la cause profonde de la crise qui s’est déclenchée en 2008.

On objectera que pratiquement toutes ces mesures de justice sont incompatibles avec les règles de l’Union européenne et des institutions financières internationales. C’est parfaitement exact. C’est aussi ce qui peut expliquer la panique des dirigeants à la perspective d’un saut dans cette terra incognita. Sauf à accepter que l’Europe s’enfonce dans la régression sociale, il faudra bien qu’un gouvernement fasse un jour ce premier pas. Nul doute que son exemple serait contagieux.





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