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Le tournant de Trinité-et-Tobago

Entretien avec Maximilien Arvelaiz

jeudi 23 avril 2009
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Maximilien Arvelaiz est conseiller diplomatique du président vénézuélien Hugo Chávez. Il a participé aux travaux du Sommet des Amériques de Trinité-et-Tobago (18-19 avril 2009). Il revient ici, pour Mémoire des luttes (MdL), sur la signification de cette rencontre qui a marqué une évolution dans les rapports qu’entretiennent, après huit années difficiles, les pays de l’Amérique latine et les Etats-Unis.

Mémoire des luttes  : Cette cinquième édition du Sommet des Amériques a été l’occasion d’une première rencontre entre les chefs d’Etat et de gouvernement d’Amérique latine et la nouvelle administration étatsunienne. Les grands médias se sont en général contentés de décrire un réchauffement apparent des relations entre Washington et le reste de l’hémisphère. Un réchauffement qui, selon eux, s’expliquerait principalement par le talent et le charisme du nouveau président des Etats-Unis, Barack Obama. Faites-vous la même analyse ?

Maximilien Arvelaiz (MA)  : Pour comprendre ce qui s’est réellement passé lors de cette rencontre positive, il faut revenir au contexte politique général de la région et à l’histoire de ce Sommet des Amériques en particulier.

On doit se souvenir que ce dernier a été créé en 1994 (sa première édition s’est tenue à Miami en Floride) avec un but précis : promouvoir un projet toxique, la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA, ou ALCA en espagnol). Ce projet, en phase avec la logique politique et économique de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) visant à accroître libéralisations et privatisations des secteurs économiques et des ressources naturelles, avait clairement pour objectif de développer l’hégémonie des Etats-Unis sur tout le continent.

Avec l’Alca, Washington entendait imposer une version hémisphérique de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) regroupant le Canada, les Etats-Unis et le Mexique dont tout le monde sait aujourd’hui les conséquences désastreuses, notamment sur l’agriculture mexicaine.

Nous étions alors à un moment historique très différent d’aujourd’hui. Les dirigeants internationaux, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, célébraient le triomphe de la démocratie libérale et du capitalisme dont l’avènement mondial, après la chute du Mur de Berlin, était censé, grâce au libre-échange et à la liberté des mouvements de capitaux, garantir à l’humanité un avenir radieux. Nous avons vu, aujourd’hui, où tout cela a mené nos sociétés et les peuples…

Au cours des années 2000, beaucoup de choses ont changé en Amérique latine, et le rapport de forces a commencé à se modifier avec l’arrivée au pouvoir de nouveaux gouvernements progressistes démocratiquement élus. L’élection de Hugo Chávez en 1998 marque le début du processus. 

Ces gouvernements ont pu s’appuyer sur de forts mouvements populaires contestant partout, sur le continent et ailleurs, l’ordre néolibéral et ses centres de commandement aux Etats-Unis, au FMI ou à l’OMC, pour mettre des coups d’arrêt au rouleau compresseur néolibéral.

En réalité, la première rupture déterminante dans les rapports entre notre région et les Etats-Unis s’est produite en 2005 lors du IVème Sommet des Amériques à Mar del Plata (Argentine) lorsque les gouvernements latino-américains ont mis en échec l’Alca. On se souviendra des mots d’Hugo Chávez : « Mar del Plata est la tombe de l’Alca. Disons le : l’Alca, aux chiottes ! ( al carajo !) ». C’est ici qu’il faut, en réalité, chercher le départ d’une dynamique dont le Sommet de Trinité-et-Tobago est un aboutissement. Pour la première fois, un projet incarnant le modèle économique dominant et l’hégémonie des Etats-Unis a été défait par le volonté politique de gouvernements populaires.

 

 

MdL  : On peut donc dire que les Etats-Unis arrivaient à Trinité-et-Tobago dans des conditions politiques ne leur permettant plus d’adopter une attitude dominatrice ?

MA  : Bien, on peut dire qu’ils arrivaient quatre ans après cet acte fondateur avec une Amérique latine différente, renforcée sur la voie de sa souveraineté politique et de plus en plus solidaire.

Rendez-vous compte ! Entre les deux derniers Sommets des Amériques, nous avons réalisé l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba), qui rassemble aujourd’hui sept pays dont l’objectif est de construire un agenda commun où la politique passe avant les intérêts économiques et le néolibéralisme, contrairement à d’autres espaces de coopération antérieurs dans la région. Le dernier Sommet de l’Alba s’est tenu à Cumana au Venezuela [1] deux jours avant celui des Amériques. Nous avons également créé en 2008, avec nos amis brésiliens, l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) et le Conseil de défense sud-américain, première structure de sécurité continentale dont les Etats-Unis ne font pas partie. Mais aussi la Banque du Sud, PetroSur, etc.

Que de chemin parcouru sur la voie de l’intégration politique de notre continent !

Voici dans quelles conditions s’est ouvert le Vème Sommet des Amériques. Il convient d’ajouter autre chose : la crise globale et le chaos du modèle néolibéral. S’il fallait résumer l’état de santé des uns et des autres au moment où les discussions ont commencé, je dirais qu’il y avait, d’un côté, des Etats-Unis essayant de se remettre du cauchemar bushiste, et une Amérique latine qui, après avoir été la région la plus active dans la résistance au néolibéralisme, est devenue la plus créative dans ses politiques alternatives.

 

MdL  : Un véritable changement du rapport de forces ?

MA : Indéniablement. La première puissance mondiale n’est plus en mesure d’imposer son agenda, ni du point de vue économique du fait de la crise, ni du point de vue politique.
Son hégémonie est durablement atteinte et ouvre la possibilité de relations d’un nouveau type, que nous appelons tous de nos vœux.

MdL  : Quelles sont les perspectives de ce bouleversement ?

MA : Le renforcement de l’Alba est, sur ce plan, très important parce qu’il démontre qu’il existe désormais, dans notre région, un bloc politique solide qui va commencer à exister sur le plan économique avec la mise en place d’une monnaie commune, le Sucre. Et tout cela, sur des bases différentes de celles imposées par l’OMC, les accords d’association proposés par l’Union européenne ou les traités de libre échange promus par les Etats-Unis.

Barack Obama, qui semble plus ouvert que son triste prédécesseur et qui mesure mieux les réalités d’un monde chaque jour un peu plus multipolaire, savait qu’il ne pourrait rien imposer en venant à Trinité-et-Tobago.

L’Empire est en crise, et comme l’a rappelé le président Chávez, « c’est la fin de la doctrine Monroe et le début de la Nouvelle SudAmérique ». L’économiste français Jacques Sapir a parfaitement raison lorsqu’il montre, dans Le Nouveau XXIème Siècle, que celui-ci ne sera pas américain.

C’est désormais à nous qu’il appartient de construire une aire de coopération sur le continent, sans imposer de modèle politique et économique, et qui pourra même inclure les Etats-Unis dans certaines dimensions. Les nations sud-américaines peuvent aujourd’hui proposer aux Etats-Unis une politique de bon voisinage, une « Good Neighbor Policy  » comme aurait dit le président étatsunien Franklin D.Roosevelt dans les années 1930.

MdL  : Pensez-vous que le président Obama puisse devenir un partenaire contructif pour l’Amérique latine ?

MA : Il en est indiscutablement plus capable que George W. Bush. Mais on le verra à sa capacité à s’imposer - ou non - face à l’administration américaine, au Pentagone, à la CIA et aux médias. La politique n’est pas affaire d’engouement médiatique ou de qualités personnelles, même si ces dernières jouent toujours un rôle, comme dans le cas de Barack Obama.

Pour répondre à votre question, il faut que les ambassades des Etats-Unis cessent définitivement d’être des lieux de conspiration contre des gouvernements démocratiquement élus, au Venezuela, mais aussi en Bolivie ou en Equateur. Il faut aussi que les Etats-Unis cessent de protéger le terroriste Posada Carriles et qu’ils lèvent, immédiatement et unilatéralement, le blocus qu’ils imposent de manière injuste et anachronique à Cuba.

MdL  : Que restera-t-il du Sommet de Trinité-et-Tobago ?

MA :Tout d’abord, un mérite. Celui d’avoir été le Sommet qui a reconnu l’existence, sur le continent américain, de plusieurs espaces politiques et d’une diversité de processus d’intégration qui doivent jouer la complémentarité. Parmi ceux-ci, l’Alba sort renforcée et porteuse de perspectives positives pour qui s’intéresse à la mise en place de relations de coopération nouvelles entre les nations.

A Mar del Plata, nous avions mis fin à un certain modèle d’hégémonie économique. A Trinité-et-Tobago, il en a été de même sur le plan politique. De ce point de vue, le Vème Sommet des Amériques aura contribué au progrès d’un monde multipolaire.

(Propos recueillis par Christophe Ventura)




[1Lire Bernard Cassen, « Un pavé dans la marre du G 20 et du FMI » (http://www.medelu.org/spip.php?article211)



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