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L’unification monétaire à Cuba doit résoudre le problème des inégalités

lundi 28 octobre 2013   |   Salim Lamrani
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Depuis près de vingt ans, deux monnaies co-existaient à Cuba. Le 22 octobre, le gouvernement à annoncé la fin de cette situation et le début d’un processus devant aboutir à l’unification monétaire, afin de réduire les inégalités et les distorsions économiques.

En 1993, face à la grave crise économique qui a frappé l’île suite à la désintégration de l’Union soviétique, les autorités de La Havane ont décidé de légaliser la circulation du dollar étasunien dans le pays. Il fallait trouver les devises indispensables au fonctionnement de l’économie et du commerce, et subvenir aux besoins de la population, notamment dans le secteur alimentaire. Deux monnaies circulaient ainsi dans le pays : le dollar et le peso cubain (CUP).

En 1994, en plus du peso cubain et du dollar, le peso convertible (CUC) a été introduit dans l’île par la Banque centrale avec une valeur égale au dollar, faisant de Cuba le seul pays au monde à imprimer une double monnaie. Le CUC est notamment utilisé dans le secteur du tourisme et pour acquérir des produits d’importation. De 1994 à 2004, il y eut ainsi trois monnaies en circulation à Cuba, jusqu’à la disparition du dollar en 2004, suite aux nouvelles sanctions économiques imposées par l’administration Bush. Désormais, le peso cubain côtoie le peso convertible avec une différence de valeur notable : il faut 25 CUP pour obtenir 1 CUC.

Cette double monnaie est donc source d’inégalité au sein de la nation dans la mesure où l’immense majorité de la population active reçoit son salaire en CUP. Une petite catégorie de Cubains, notamment les employés de l’industrie touristique et ceux qui reçoivent une aide familiale de l’étranger, ont accès au CUC. Cette dualité monétaire a eu pour conséquence d’amener un nombre substantiel de personnel qualifié – universitaires, médecins, architectes, ingénieurs – à abandonner leur profession initiale au profit d’une activité plus lucrative tel que chauffeur de taxi, serveur ou portier dans un hôtel.

Par ailleurs, la comptabilité nationale est bouleversée par ce système de double monnaie, qui cause de nombreuses distorsions rendant compliquée toute mesure économique. Cela a un impact direct sur la politique économique mise en place par l’Etat et nuit gravement au développement du pays.

Le président Raúl Castro, conscient de cette réalité, a décidé d’agir en conséquence. Selon lui, « le phénomène de la dualité monétaire constitue l’un des obstacles les plus importants au progrès de la nation ». Il a donc fixé comme objectif aux principaux économistes cubains de mettre en place une stratégie économique et financière afin d’arriver à une unification monétaire dans les plus brefs délais.

Le 22 octobre 2013, conformément au projet d’actualisation du modèle économique adopté en avril 2011 par le VI Congrès du Parti communiste cubain, le gouvernement de La Havane a annoncé le lancement du processus d’unification monétaire. Les autorités n’ont pas, pour autant, indiqué les modalités précises de ce changement, ni fourni de délai. Ces changements concerneront dans un premier temps les entreprises et les institutions, avant de s’étendre ensuite à tout le pays.

Le caractère parcimonieux des informations fournies par les autorités cubaines s’explique par la complexité du processus d’unification monétaire. Pour pouvoir harmoniser les salaires à la hausse, il est indispensable d’augmenter à la fois la productivité et la production. Il faut également élaborer une stratégie de substitution des importations, notamment dans le domaine alimentaire, dans un pays dépendant à 80% des matières premières agricoles produites à l’étranger.

Si l’unification monétaire se réalise dans de bonnes conditions, à savoir accompagnée d’une amélioration de la production, de la productivité et des salaires, il sera possible d’éliminer la source d’inégalité que représente la dualité CUP/CUC. Elle mettra également un terme aux nombreuses distorsions d’ordre économique engendrées par une double comptabilité. Mais à l’évidence, cette réforme monétaire ne sera pas facile à réaliser.

 

Article publié sur le site brésilien de Opera Mundi


Docteur ès études ibériques et latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est maître de conférences à l’Université de La Réunion. Il est également journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013 et comporte une préface d’Eduardo Galeano.
Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
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