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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES 75 %

Une sanction de la politique des faux-semblants de François Hollande

mercredi 2 janvier 2013   |   Jacques Sapir
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La mesure considérée comme l’une des plus emblématiques des promesses de François Hollande dans le domaine fiscal, la fameuse « super-tranche » de 75 % pour les revenus de plus de 1 million d’euros, a été rejetée le samedi 29 décembre par le Conseil constitutionnel [1]. Ce faisant, les « Sages » ont simplement sanctionné sur la forme un texte mal écrit [2]. Le Conseil rappelle en effet, dans ses attendus, que le droit fiscal français ne connaît pas des « personnes », mais des « ménages », et qu’introduire une distinction entre ces deux catégories porterait atteinte à l’égalité de tous devant l’impôt.

Ce n’est donc pas une censure politique, comme ont voulu le faire croire des responsables politiques, tant de droite que de gauche. Mais l’affaire est cependant très significative de la manière dont les décisions sont prises – ou ne sont pas prises – par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Chaîne d’incompétences

Rappelons les faits. Dans la campagne du premier tour de l’élection présidentielle, François Hollande, sentant monter la cote de popularité du candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, cherche une mesure emblématique pour ancrer sa candidature à gauche. D’où l’idée de cette super-tranche, qu’il impose sans discussion à son entourage lors d’un passage sur TF-1 le 27 février 2012. Il s’agit d’une mesure essentiellement symbolique, dont les recettes fiscales attendues sont par ailleurs limitées. Mais, en raison justement de sa dimension symbolique, elle devient emblématique du programme d’un candidat qui prétend revenir à plus de justice fiscale et affronter la « finance ». De plus, cette mesure n’est en rien confiscatoire, quoi qu’en disent les Raminagrobis de l’argent facile.

François Hollande élu président, il faut bien appliquer la mesure. Et c’est là que tout se complique… Normalement, c’est le ministre de l’économie et des finances (ou, à défaut, celui du budget) qui est chargé d’un tel dossier. Il repasse alors le bébé à son directeur de cabinet, qui lui-même désigne un des énarques du dit cabinet pour rédiger le texte. Or il se trouve que ce dernier ignore les principes mêmes du droit fiscal français et commet un texte irrecevable sur la forme, mais qui franchit néanmoins sans modification l’obstacle des vérifications juridiques d’usage et se retrouve tel quel dans le projet de loi de finances. Le scandaleux, en l’occurrence, n’est pas la censure du Conseil constitutionnel, mais la chaîne d’incompétences qui a permis à ce texte d’arriver en l’état sur sa table.

Les apparences et la substance

Cette lamentable histoire illustre aussi le refus de François Hollande de se livrer à une grande réforme fiscale rétablissant un peu de logique dans un système qui s’est construit par empilements successifs de mesures parfois contradictoires. Il y a maintenant deux ans, en janvier 2011, Thomas Piketty et ses collègues Camille Landais et Emmanuel Saez publiaient Pour une Révolution fiscale [3]. On peut discuter des thèses de cet ouvrage, et je ne suis pas convaincu par tout ce qu’avance mon collègue de l’EHESS. Mais on ne peut nier que cette étude constitue un effort pour repenser la fiscalité française dans sa globalité. François Hollande eût-il voulu faire cette réforme – qui s’avère aujourd’hui de plus en plus indispensable – qu’il avait à sa disposition une base de travail bien élaborée. Mais il s’est bien gardé d’ouvrir ce chantier.

Il y a une raison mineure à cela : Piketty, quoique de gauche, n’est pas en odeur de sainteté chez les « hollandais ». On lui reproche, entre autres, le soutien déterminé qu’il avait affiché pour Ségolène Royal en 2007. Mais il y a une autre raison, bien plus importante : procéder à une réforme fiscale de fond impliquerait de remettre en cause bien des privilèges et de toucher à bien des rentes de situation. À l’évidence, le courage n’est pas pour maintenant.

Quand on sait l’importance accordée, tant par le candidat que par le président, au retour à l’équilibre budgétaire, l’urgence d’une telle réforme devrait s’imposer. Elle impliquerait de faire le ménage dans les différentes niches fiscales qui se sont développées depuis quinze ans. Or, ceci pose directement la question du coût de l’euro pour l’économie française. Ces niches, il faut le rappeler, coûtent à la nation environ 70 milliards d’euros par an, soit 3,5 % du PIB. Sur cette somme, environ 50 milliards d’euros sont directement liés à des mesures de soutien aux entreprises pour compenser la perte de compétitivité que subit l’économie française, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone euro, du fait de la monnaie unique. Tant que la France restera dans la zone euro, ces niches fiscales seront malheureusement nécessaires. Il en irait tout autrement en cas de sortie de la zone.

La question de la fiscalité, en dehors de la nécessité d’une réforme de fond, se révèle en fait assez simple. Il convient alors de rapporter ces 50 milliards d’euros aux 30 milliards de gains fiscaux que le gouvernement entend réaliser dans la loi de finances de 2013 : 20 milliards d’impôts nouveaux et 10 milliards d’économies budgétaires. Cet effort, en lui-même assez considérable, va casser la croissance en 2013. Il n’y a plus, en effet, que les plus fanatiques des « hollandais » pour prétendre que la France aura une croissance de 0,8% cette année. Ces 30 milliards représentent seulement 60 % de ce qui aurait pu être gagné si la France était sortie de la zone euro, et si elle avait dévalué pour rétablir sa compétitivité.

Telle est la réalité. Et c’est bien pour éviter de l’affronter que le gouvernement s’est concentré sur une mesure : la « super-tranche » à 75%, dont le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, admet qu’elle rapporterait seulement de 400 à 500 millions d’euros au mieux. Soit 1 % de ce que l’on pourrait gagner en supprimant une grande partie des niches fiscales.

Un déni des réalités

Nous sommes donc en plein dans le monde des apparences. Mais, au moins, aurait on pu s’attendre à ce que ces apparences soient soignées. La censure du Conseil constitutionnel sanctionne ainsi moins une mesure particulière qu’une politique de faux-semblants et d’amateurisme. Ces faux-semblants, nous en trouvons d’autres exemples : entre autres avec le projet de loi bancaire, loi croupion qui traduit une capitulation honteuse devant le lobby de la finance, et avec le refus du premier ministre de répondre à Edouard Martin, le syndicaliste de Fleurange [4].

L’optimisme de commande affiché par François Hollande, notamment lors de ses vœux de Nouvel an, montre un saisissant contraste avec les avertissements que distille Angela Merkel qui, elle, reconnaît que la crise de l’euro est loin d’être terminée [5]. Il ne serait pas étonnant que la chancelière prépare sa population à des décisions radicales sur ce sujet. De toute façon, ce n’est pas en niant la réalité qu’on la change. C’est au contraire en l’acceptant telle qu’elle est que l’on peut mettre en œuvre un véritable changement.

Dans un monde où s’affirment avec toujours plus de force les intérêts nationaux, l’entêtement du gouvernement français, que l’on nous présentera – il ne faut pas en douter – comme du « courage », que ce soit sur la question de l’euro ou sur celle du protectionnisme, confine au suicide. Le gouvernement japonais l’a bien compris, lui qui dénie toute pertinence aux critiques des autres pays du G-20 sur sa politique monétaire, et se prépare à dévaluer massivement le yen dans les semaines à venir [6].

L’année 2013 sera cruciale. Plus que jamais, l’avenir économique, mais aussi social et politique de la France est surdéterminé par son appartenance à la zone euro. Aujourd’hui, 62% des Français regrettent le franc, proportion qui atteint 77% chez les ouvriers et employés, ce qui est parfaitement normal car les classes populaires sont les premières victimes de la monnaie unique [7].Tant que rien ne changera sur ce point, le pays ne pourra que s’enfoncer dans la récession, voire la dépression. La politique des faux-semblants et des apparences aura une fin, mais cette dernière risque d’être tragique. Un peu de courage aujourd’hui éviterait de devoir en faire preuve de beaucoup dans un futur proche.

 




[1Conseil constitutionnel, décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012. Voir l’article 12 et les considérants de 67 à 74. URL : http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision-n-2012-662-dc-du-29-decembre-2012.135500.html

[2Vincent Collen, « Taxe à 75 % : la censure du Conseil tourne au casse-tête pour l’exécutif », Les Echos, 29 décembre 2012. URL : http://www.lesechos.fr/le-conseil-constitutionnel-censure-la-taxe-a-75

[3Seuil, Paris, janvier 2011, coll. La République des idées.

[4Reuters via L’Expansion, « Ce que le syndicaliste Edouard Martin a écrit à François Hollande », L’Expansion, 28 décembre 2012. URL : http://lexpansion.lexpress.fr/outils/imprimer.asp?k=3&id=366658

[5Rainer Buergin, « Merkel Calls for German Patience as Euro Crisis ‘Far From Over’ », Bloomberg, 31 décembre 2012. URL : http://www.bloomberg.com/merkel-calls-for-german-patience-as-euro-crisis-far-from-over

[6Eunkyung Seo & Masaki Kondo, « Japan Rebuke to G-20 Nations May Signal Moves to Weaken Yen », Bloomberg, 31 décembre 2012. URL : http://www.bloomberg.com/japan-rebuke-to-g-20-nations-may-signal-more-moves-to-weaken-yen

[7AFP, via Le Figaro, « 60% des Français regrettent le franc », 31 décembre 2012. URL : http://www.lefigaro.fr/des-francais-regrettent-le-franc.php



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