La social-démocratie dans tous ses états

Pas d’inversion de la courbe électorale pour le centre-gauche européen

lundi 1er juin 2015   |   Fabien Escalona
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Deux scrutins législatifs ont récemment eu lieu en Finlande et en Grande-Bretagne. Leurs résultats sont autant de mauvaises nouvelles pour la social-démocratie européenne. La défaite du Labour en Grande-Bretagne et des sociaux-démocrates finlandais – alliés des conservateurs au sein du gouvernement sortant – s’inscrit dans une tendance structurelle au déclin électoral désormais bien établie. Pourtant, la plupart des formations de centre-gauche restent des partis de gouvernement incontournables en Europe, quitte à ce que cette situation doive à la modification des règles de la vie électorale dans plusieurs pays. Invitée de cette chronique, Camille Bedock aborde le cas italien.

L’irrésistible recul de la social-démocratie finlandaise

Cela n’a pas suscité beaucoup d’émotion en Europe, mais avec 16,5% des suffrages, le parti social-démocrate finlandais (SDP) a recueilli le pire score de son histoire aux élections législatives tenue le 19 avril 2015. Il s’agit d’une perte de 2,6 points par rapport au score de 2011, et du troisième recul consécutif de cette formation, qui se retrouve en quatrième position derrière trois partis de droite (dont les Vrais Finlandais, un parti de droite radicale). Les sociaux-démocrates étaient la seule force de gauche dans le pays à être restée dans une coalition très large, ayant subi trois ans de récession économique. La gauche radicale et les Verts l’avaient en effet abandonnée en 2014, les premiers en raison de l’engagement d’une politique plus dure d’austérité budgétaire, les seconds en raison du lancement de la construction d’un nouveau réacteur nucléaire.

Si certaines trajectoires électorales sont heurtées en fonction de la conjoncture et du type de scrutin, celle du SDP témoigne d’un déclin constant et homogène depuis la seconde moitié des années 2000. Le parti n’a obtenu que 12,3% aux élections européennes de 2014, en recul de plus de cinq points par rapport au score de 2009, déjà plus bas que celui de 2004. Aux élections municipales, les scrutins de 2008 et 2012 ont aussi été l’occasion d’un déclin assez net, aboutissant à un minimum historique du nombre d’élus sociaux-démocrates. Enfin, alors que les candidats du SDP avaient remporté tous les scrutins présidentiels organisés au suffrage direct depuis 1994, Paavo Lipponen a subi un échec retentissant en 2012, en n’atteignant que la cinquième place de la compétition et 6,7% des suffrages.

Malgré une réduction de sa taille électorale, le SDP a régulièrement été un acteur-clé des nombreuses coalitions « arc-en-ciel » souvent nouées en Finlande, grâce à un positionnement très pragmatique. Le parti est aussi l’un des plus pro-européens de l’échiquier politique national. Or, il sera cette fois-ci écarté du pouvoir, occupé par une coalition dont les formateurs (le Parti du centre) et certains protagonistes (les Vrais Finlandais) se sont distingués par une forte hostilité à la solidarité européenne au moment de la crise des dettes souveraines. L’influence du SDP, que ce soit dans l’électorat ou dans la fabrique de la politique intérieure et extérieure, est donc en recul manifeste.

L’échec travailliste

Au Royaume-Uni, les travaillistes du Labour étaient censés prendre leur revanche, fut-ce en ayant besoin d’alliés pour obtenir une majorité à la Chambre des communes. En réalité, les faits marquants de ce scrutin ont été la stabilité des conservateurs mais l’effondrement de leurs alliés libéraux-démocrates, le raz-de-marée nationaliste en Ecosse, et l’essor du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) – droite radicale –. Médiatisées par un mode de scrutin accordant chaque circonscription au candidat arrivé en tête, ces trois tendances ont abouti à la conquête d’une majorité absolue par les conservateurs et à la perte nette de 26 sièges par les travaillistes, alors même que les deux forces ont connu des progressions en voix assez proches, toutes deux modestes.

Les pertes les plus massives du Labour se sont situées en Ecosse. Il serait exagéré de parler de « pasokification » pour un parti qui conserve une moyenne de 24% des suffrages dans les circonscriptions d’Ecosse, mais il s’agit tout de même d’un recul de dix-huit points et de 300 000 voix, (sur quatre millions d’électeurs inscrits) qui atteste d’un net désalignement électoral. Depuis 1974, jamais le Labour n’avait été sous-représenté (et surtout à ce point) dans cette nation. Par contraste, le Parti national écossais (SNP) a progressé d’un million de voix. Il est passé de 19,9% à 50% des suffrages exprimés. Ici encore, il serait exagéré d’envisager le SNP comme la nouvelle force sociale-démocrate en Ecosse, mais la formation a bien évolué à gauche sur la question sociale, et a pu dénoncer la collusion de tous les partis unionistes à l’occasion du référendum sur l’indépendance, en traitant notamment les travaillistes de « rouges conservateurs ». Ce dépassement du Labour par le SNP est lourd de conséquences pour l’avenir des travaillistes : leurs sièges écossais ne leur auraient pas évité la défaite cette année, mais ils restent indispensables pour une éventuelle revanche. Le politiste britannique John Curtice, spécialiste des enquêtes d’opinion, a calculé qu’à configuration électorale constante en Ecosse, le Labour devrait obtenir une avance de douze points sur les conservateurs pour leur ravir la majorité absolue dans l’ensemble du Royaume-Uni !

Si le Labour a besoin de forger une ligne stratégique beaucoup plus nette que celle adoptée jusqu’à présent, il doit aussi éviter les combats entre factions qui ont tant entamé son image dans la décennie 1980. La tâche sera difficile à mener, alors que le débat public sera bientôt saturé par l’enjeu de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Pour l’instant, les critiques les plus articulées et les plus diffusées proviennent de la droite du parti. La tendance blairiste a en effet immédiatement pointé l’échec d’une stratégie fondée sur la mobilisation du noyau électoral travailliste et des déçus des libéraux-démocrates. Blair a lui-même déclaré que le parti devrait davantage s’adresser aux entrepreneurs.

A la gauche du parti, on rétorque que la campagne d’Ed Miliband était en réalité fort modérée et accordait déjà beaucoup aux logiques de l’austérité budgétaire. Les premières enquêtes signalent d’ailleurs que le Labour n’a pas progressé davantage auprès des catégories les plus modestes qu’auprès des plus favorisées. L’essentiel de son rattrapage s’est plutôt réalisé auprès des jeunes et des ouvriers qualifiés, tandis que sa surreprésentation a été confortée au sein des minorités ethniques, catégories cependant plus abstentionnistes que la moyenne.

Selon les opposants à un tournant davantage « pro-business », le parti paierait surtout son absence de contre-offensive face au discours lui ayant imputé la responsabilité la crise de 2008, ainsi que sa confiance excessive dans les techniques de ciblage électoral, au détriment d’un travail plus durable de mobilisation citoyenne. Pour le journaliste Seumas Milne, l’offensive blairiste traduit la pression des médias liés aux milieux d’affaires et de la City. Il s’agirait pour eux de domestiquer définitivement le Labour après la parenthèse Miliband, comme une garantie pour l’avenir, étant entendu qu’aucune autre force ne peut pour l’instant prétendre alterner avec les conservateurs au pouvoir.

Le déclin se prolongera

Les échecs finlandais et britannique s’inscrivent dans une tendance structurelle au déclin de la famille sociale-démocrate, certes compensée par celle qui frappe également les grands partis de gouvernement de droite. En prenant en compte dix-neuf partis d’Europe de l’Ouest et du Sud, la moyenne quinquennale de leurs résultats est passée sous la barre des 30% entre 2000-2005 et 2006-2010, avant de chuter plus brusquement de presque quatre points sur la période 2011-2015 (non achevée). La majorité des partis pris en compte ont subi des reculs par rapport à la période antérieure. Les scrutins attendus avant la fin de l’année (au Portugal, en Espagne, en Irlande, au Danemark et en Pologne) ne devraient pas altérer significativement cette tendance. 

 

Matteo Renzi, l’homme qui renforce méthodiquement son pouvoir

Par Camille Bedock, enseignante à Sciences Po Bordeaux 

Le « démolisseur » Matteo Renzi continue à assoir méthodiquement son pouvoir sur le Parti Démocrate (PD), la gauche italienne et l’ensemble du système politique. Pour ce faire, le président du conseil italien utilise au mieux le levier institutionnel. L’Italicum est ainsi la troisième loi électorale adoptée pour élire les députés à la Chambre des députés depuis 1993. Elle a été élaborée sous la contrainte du jugement de la Cour constitutionnelle italienne (janvier 2014) qui avait déclaré inconstitutionnelle la précédente loi de 2005. Celle-ci ne prévoyait pas de possibilité d’élire un candidat individuel (exprimer une préférence au sein d’une liste), ni de seuil minimum à atteindre par la coalition en tête pour bénéficier d’un bonus majoritaire (d’où un risque de distorsion massive entre voix et sièges).

La nouvelle loi reste pourtant l’héritière directe de la loi précédente, mise en place en toute fin de mandat par Silvio Berlusconi et ses alliés. Elle prévoit notamment un bonus de 55% des sièges à la Chambre des députés pour la liste – et non plus la coalition – arrivée en tête, à condition que celle-ci obtienne au moins 40% des votes. Dans le cas où ce seuil n’est pas atteint, un second tour est organisé pour départager les deux partis arrivés en tête et assigner un bonus de 53% des sièges. Le reste des sièges est ensuite réparti à la proportionnelle entre tous les partis ayant obtenu au moins 3% des voix au niveau national. L’Italie est divisée en 100 circonscriptions de 3 à 9 sièges, avec obligation de présenter 50% de femmes, et les électeurs peuvent exprimer deux préférences pour des candidats individuels, à l’exception des têtes de liste.

Matteo Renzi s’efforce avec cette loi de se garantir dans le futur une confortable majorité tout en évitant des blocages institutionnels comme en 2013. Mais pour atteindre son but, il doit aussi compter sur la réforme rapide du Sénat, supprimant le bicaméralisme égalitaire [1]. Au-delà de ses aspects techniques, la loi est avant tout révélatrice du style autoritaire de Renzi. Le juriste Stefano Rodotá, référence pour la gauche italienne, la qualifie de « pédagogie du chef  ». L’Italicum a ainsi été adoptée sous la menace d’un vote de confiance, en l’absence de l’opposition, avec près de 61 députés du PD opposés à la loi. Elle marque aussi la poursuite du bras de fer engagé au sein du PD entre un Matteo Renzi qui cherche à faire du parti un appareil électoral à son service et une opposition interne impuissante mais de plus en plus exaspérée. Pippo Civati, l’un des adversaires internes de Renzi, a d’ailleurs décidé ce mois-ci de quitter le parti. On ignore encore combien le suivront.

 




[1La Constitution italienne confère à la Chambre des députés et au Sénat des compétences identiques en termes d’adoption des lois et de contrôle du gouvernement.



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