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Nouvelles menaces du changement climatique en Amazonie

jeudi 29 janvier 2015   |   François Houtart
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A la fin du mois de décembre 2014, les Nations unies ont organisé à Lima (Pérou) la dernière réunion préparatoire à la Conférence internationale sur le changement climatique (COP 21) qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

Durant cette rencontre, il a été fait référence à plusieurs reprises à la forêt amazonienne. Pour sa part, un Tribunal international pour les droits de la nature s’est tenu en marge de la réunion onusienne et a également abordé le sujet.

Le problème climatique est assez simple. Alors que les activités humaines produisent de plus en plus de gaz à effet de serre, on assiste à la destruction progressive des puits de carbones, ces réserves naturelles qui absorbent ces gaz : les forêts et les océans [1]. Le résultat est que la planète ne parvient plus à se régénérer complètement. Il faudrait à cet effet une planète et demi et malheureusement, nous n’en disposons que d’une.

Trois grandes régions du monde abritent des réserves forestières jouant un rôle clé dans la régulation les écosystèmes régionaux : l’Asie du Sud-Est (Malaisie et Indonésie), l’Afrique centrale (Congo) et l’Amazonie. La première a quasiment déjà disparu : la Malaisie et l’Indonésie ont détruit plus de 80% de leurs forêts originelles pour planter des palmiers à huile et de l’eucalyptus. Au Congo, la guerre avait mis un terme à l’exploitation forestière et à l’extraction minière, mais ces activités ont repris au cours des dix dernières années. L’Amazonie, quant à elle, se trouve en plein processus de dégradation. Le Pape François, qui prépare une encyclique sur les questions climatiques, parle de la destruction des forêts tropicales comme un péché.

Les fonctions géologiques de la forêt amazonienne

Avec 4 000 000 de km2 déployés dans neuf pays, la forêt amazonienne stocke un total de 109 660 millions de tonnes de CO2 [2], ce qui représente 50% de la capacité des forêts tropicales du monde [3]. Un total de 33 millions de personnes vit dans cette région, parmi lesquelles on dénombre 400 peuples autochtones.

Une étude réalisée par un chercheur brésilien, Antonio Donato Nobre, « O futuro Climatico da Amazõnia - Relatorio Avaliação cientifica » [4], décrit de manière impressionnante les fonctions de la forêt amazonienne [5]. Le chercheur a rassemblé plusieurs études scientifiques menées au Brésil. Il rappelle tout d’abord que l’histoire géologique de l’Amazonie est très ancienne. Il a fallu des dizaines de millions d’années pour que se constituent les bases de la biodiversité de la forêt, ce qui lui a permis de devenir « un instrument de régulation environnemental » d’une grande complexité. Il s’agit, fait remarquer l’auteur, d’un « océan vert » complémentaire de l’océan gazeux de l’atmosphère (eau, gaz, énergie) et de l’océan bleu des mers.

Les fonctions principales sont au nombre de cinq. Tout d’abord, la forêt retient l’humidité dans l’air, ce qui permet aux précipitations d’atteindre des endroits éloignés des océans, grâce à la transpiration des arbres. Deuxièmement, les pluies abondantes contribuent à préserver la pureté de l’air. Troisièmement, la forêt permet de conserver un cycle hydrologique positif, même dans des circonstances défavorables parce qu’elle aspire l’air humide des océans vers l’intérieur des terres, assurant des précipitations en toutes circonstances. La quatrième fonction est l’exportation de l’eau par les rivières sur de longues distances, empêchant toute désertification, en particulier à l’est de la Cordillère des Andes. Enfin, elle permet d’éviter les phénomènes météorologiques extrêmes grâce à la densité de la forêt, qui empêche l’apparition de tempêtes alimentées par la vapeur d’eau. C’est pour cela que l’on doit défendre cette richesse naturelle exceptionnelle.

La dégradation de la forêt

Les effets de la dégradation actuelle de la forêt amazonienne sont déjà visibles : réduction de la transpiration, bouleversement des précipitations, prolongation des saisons sèches. Rien qu’au Brésil, en 2013, la déforestation a concerné 763 000 km2, soit trois fois l’Etat de São Paulo ou 21 fois la Belgique, ou encore 184 millions de terrains de football.

On estime qu’une réduction de 40% de la forêt signifierait le début d’une transition vers un état de savane. Actuellement, 20% de sa surface ont été détruits, et 20% sont gravement menacés. Selon un communiqué de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) publié lors de la Journée internationale de la forêt (mars 2014), si l’évolution se confirme, dans quarante ans, il n’y aura plus de forêt amazonienne, mais une savane parsemée de quelques bois. Pour cette raison, Antonio Donato Nobre appelle à un changement radical, considérant cependant que la partie n’est pas encore perdue. Il propose une restauration de la forêt détruite, la diffusion d’informations pour sensibiliser l’opinion publique et exige des décisions des dirigeants politiques.

Mais, en fait, que constatons-nous ? Tous les pays qui ont sur leur territoire une partie de la forêt amazonienne ont de « bonnes raisons » pour l’exploiter. Dans les pays néolibéraux, il s’agit d’utiliser les ressources naturelles pour contribuer à l’accumulation du capital. Dans les pays « progressistes », les arguments sont différents : ils ont besoin d’extraire des ressources naturelles et de promouvoir les exportations agricoles pour financer les politiques sociales et lutter contre la pauvreté et les inégalités. Dans les pays sociaux-démocrates, on observe un mélange de ces deux discours. Mais, quel que soit le discours, le résultat est le même.

A l’ouest de l’Amazonie, l’exploitation pétrolière progresse vers l’Amazonie. Il suffit de visiter une région comme le Putumayo colombien pour observer les dégâts qu’entraine la seule phase d’exploration. Le président de la société pétrolière canadienne Vetra, Humberto Calderón Berti, a déclaré en 2014 que, malgré les difficultés (baisse des prix du pétrole, opposition publique, activités de la guérilla des FARC) « nous ne quitterons pas l’Amazonie, car c’est une mer de pétrole qui va du haut de La Macarena (Colombie) et passe par l’Équateur et le Pérou ». Actuellement, cette société extrait 23 000 barils par jour dans le Putumayo colombien [6].

Au Venezuela, de nouveaux gisements seront exploités pour contribuer, entre autres, au financement des politiques solidaires de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA). En Equateur, le projet de ne pas exploiter le pétrole du parc national Yasuni a été abandonné à cause du faible soutien financier et politique international et de la pression des intérêts locaux. La frontière du pétrole continue de progresser. Au Pérou et en Bolivie, les puits de pétrole et de gaz se multiplient. Partout, des déchets continuent de polluer les eaux et les sols, à cause de négligences coupables, comme dans le cas de Chevron (anciennement Texaco) en Equateur [7], à cause d’accidents survenus lors de l’exploitation ou le transport ou tout simplement parce que les technologies propres sont trop chères.

Quelques exemples concrets. En Équateur, plus de 64 milliards de litres d’eau contaminée ont été déversés par Texaco dans les rivières de l’Amazonie. Quelques 1 000 fosses à déchets continuent à polluer les sols d’huile toxique, trente ans après le départ de l’entreprise. En 1993, 30 000 Equatoriens touchés par ces dégâts ont déposé une action en justice à New York. Il s’agit d’une catastrophe qui dépasse en ampleur tous les récents désastres maritimes.

A Loretto, au Pérou, les déversements atteignirent 2,637 millions de barils (353 000 tonnes). En 1979, il s’est agit de 287 000 tonnes (10 fois plus que la catastrophe de l’Exxon Valdez). Ce sont des dégâts presque irréversibles, qui prendront parfois des siècles pour être résorbés. La présence des métaux lourds dans les sols (cadmium, arsenic, plomb, etc.) a dépassé 322 fois les limites maximales autorisées. L’état d’urgence a été déclaré : 100 communautés ont été touchées, soit une population de plus de 20 000 personnes, sans mentionner les conséquences socioculturelles et sur la santé (cancers, mutations génétiques, avortements) [8]. Dans le même pays, en 2009, des milliers de personnes se sont mobilisées à Bagua contre les projets d’extraction détruisant forêts et rivières et à Curva del Diablo où il y eut 53 morts et 200 blessés. Deux autres entreprises [9] se sont vues accorder une extension de près de 660 000 hectares en concession.

À l’est se trouvent les mines qui rongent de grandes parties de la forêt. Dans l’Etat de Para, au nord du Brésil, la société Vale a obtenu une concession de plus de 600 000 hectares. Les mines de cuivre et d’or s’ajoutent à celle du fer, transformant de grandes surfaces en paysages lunaires. L’activité minière se retrouve également dans plusieurs régions de l’ouest et du centre. Ainsi, au Pérou, dans la Cordillère du Condor, la compagnie canadienne Afrodita s’est étendue sur une partie du parc Ichigkat Muja pour développer des activités minières. Du côté équatorien, la mine Condor Mirador (opérée par une entreprise chinoise) est entrée en conflit avec les communautés autochtones par manque de souci environnemental et d’études d’impact environnemental.

Depuis le sud brésilien remontent les monocultures de soja et de palme. Elles dessinent de grands rectangles qui, vus d’avion, apparaissent comme des plaies ouvertes dans le paysage. Le code forestier brésilien mentionne dans son introduction que le pays veut promouvoir « l’agriculture moderne », c’est-à-dire industrielle. Le « roi du soja » est le gouverneur de l’Etat du Mato Grosso.

Les barrages hydroélectriques occupent principalement le centre de la forêt amazonienne, inondant des dizaines de milliers d’hectares de terres forestières. Au Brésil, le projet de la rivière Madeira dans l’Etat de Rondonia a contraint 10 000 personnes à quitter leur habitat [10]. Le barrage hydroélectrique de Belo Monte sur le fleuve Xingu a inondé 500 km2, touchant 40 000 familles sans consultation préalable [11]. Le réservoir de Balbina, rien que pendant les trois premières années de son existence, a rejeté 23 750 tonnes de CO2 et 140 000 tonnes de méthane [12].

Malgré les mesures gouvernementales, l’exploitation légale ou illégale du bois demeure agressive dans toute l’Amazonie. Les incendies, volontaires ou accidentels, détruisent de vastes zones de la forêt. La construction de routes, de pipelines, de chemins de fer, d’infrastructures fluviales contribuent également à la destruction écologique.

Au centre de ces problèmes environnementaux se trouvent des millions de personnes touchées par la transformation de leurs moyens de subsistance, par l’expulsion de leurs terres ancestrales, par la colonisation de leurs territoires et par la criminalisation de leurs protestations. Or, les peuples autochtones qui n’acceptent pas la scission entre nature et cultur, sont les meilleurs défenseurs de la forêt amazonienne, mais en même temps, ils sont les premières victimes de son exploitation irrationelle. Beaucoup d’espèces vivantes, animales et végétales, paient également le prix de ce « progrès de la civilisation ».

Les oublis du discours officiel

Dans les discours officiels, on entend rarement parler des coûts de ces politiques de développement, c’est à dire des millions de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère, ni de l’usage qui est fait des minéraux extraits ou des produits de l’agriculture industrielle : l’or, qui pour sa majorité vient s’entasser dans les réserves bancaires pour garantir le fonctionnement du système financier, le fer, entre autres pour fabriquer des armes, le soja, pour nourrir le bétail, qui à son tour produit plus de gaz à effet de serre que le transport, etc. La plus grande responsabilité revient au Nord, mais en adoptant le même schéma de production et de consommation, le Sud reproduit les mêmes effets, ce qui n’est pas d’abord un problème moral ou politique, mais bien mathématique.

Quelles solutions ?

De toute évidence, il ne s’agit pas de transformer l’Amazonie en un jardin zoologique ou les peuples autochtones en objet de musée, mais d’adopter une vision d’ensemble, c’est à dire qui ne segmente pas le réel. C’est une telle attitude de fractionnement qui permet au critère de croissance économique d’être le seul référent, sans prendre en compte les « externalités » environnementales et sociales et de poursuivre ainsi des politiques de court terme qui obstruent l’avenir. Changer de cap peut se traduire par des mesures très concrètes.

Il ne s’agit pas non plus, pour les pays latino-américains, de perdre leur souveraineté et de permettre à d’autres puissances de leur imposer des réglementations basées sur leurs propres intérêts. Mais on est en droit d’attendre que les dirigeants politiques prennent des mesures en faveur de la préservation de forêt amazonienne, en collaboration avec les peuples concernés. L’Union des nations sud-américaines (Unasur) pourrait constituer l’espace idéal pour mettre en œuvre une collaboration institutionnelle afin d’atteindre cet objectif.

La crise qui affecte la région, la baisse du prix du pétrole et d’autres commodities peuvent être l’occasion de nouvelles initiatives. Les pays qui les prendront seront retenus dans l’histoire comme des visionnaires.

 

Edition, révision et annotations : Mémoire des luttes

Illustration : Leonardo F. Freitas




[1Lire Christophe Ventura, « Changement océanique, l’autre menace », Mémoire des luttes, octobre 2014.

[2Réseau de l’Amazone pour le développement socio-environnementales géoréférencées (RAISG), 2014.

[3Andrés Jaramillo, El Comercio, 05/12/14.

[5Publié par Amazon Regional Articulation, San Pablo, octobre 2014.

[6Nohora Caledon, www.portofolio.col

[8Données contenues dans le rapport de Sarah Kerremans au Tribunal international pour les droits de la nature, Lima, décembre 2014.

[9Maurel et Prom-Pacific Rubiales Energy.



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