Actualités

Contre l’instrumentalisation de l’affaire Petrobras

Lula, un Brésilien indigné

lundi 9 mars 2015   |   Elizabeth Carvalho
Lecture .

Dans la vidéo ci-jointe [1], l’homme qui parle est un Brésilien indigné. C’est Luiz Inacio « Lula » da Silva qui, au grand dam d’une fraction des élites brésiliennes, est entré dans l’histoire comme un des plus importants dirigeants de notre République inachevée.

C’est une vidéo réalisée avec peu de moyens, enregistrée tard dans la soirée dans l’obscurité de l’auditorium de l’Association brésilienne de presse – au cœur de la ville de Rio de Janeiro – et où se tient un meeting de protestation contre la campagne sauvage qui se développe actuellement au Brésil. Une campagne orchestrée par les protagonistes de toujours, qui vise à briser l’économie brésilienne et à miner le pouvoir d’un gouvernement légitimement élu par les citoyens.

Souvent en tournant le dos à la caméra, Lula parle. Il s’adresse principalement aux camarades qui, il y a quinze ans, livrèrent à ses côtés la bataille qui amena au pouvoir le Parti des travailleurs. A José Maria Rangel, président de la Confédération unique des travailleurs du pétrole ; à Wagner de Freitas, président de la Centrale unique des travailleurs (CUT) ; à Joao Pedro Stedile, dirigeant du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) ; à Virginia de Barros, de l’Union nationale des étudiants. C’est un discours franc, direct, cartes sur table : l’heure est venue de la mobilisation générale contre l’idée funeste de la « fin du Brésil » matraquée jour et nuit dans les têtes des Brésiliens.

Le combat contre la corruption au sein de Petrobras, la plus importante et la plus efficace des entreprises du Brésil, se livre sur deux fronts. D’un côté un gouvernement déterminé à faire la lumière sur chacun des responsables des crimes en col blanc commis pendant de nombreuses années, et qui ont été poursuivis sans la moindre indulgence par sa propre Police fédérale. D’un autre côté, une campagne souterraine menée par un secteur des élites, lui-même lié à de grands groupes internationaux, et qui entend faire de la lutte contre la corruption une arme pour briser l’énorme chaine productive de l’entreprise.

La pression destinée à conduire l’économie brésilienne à l’effondrement a fini par créer un sentiment de peur qui semble paralyser la présidente Dilma Rousseff. Lula a raison de l’adjurer de garder la tête haute et de défendre ce qui est notre bien commun. En n’oubliant pas que la Quatrième flotte de la marine des Etats-Unis s’est déployée au moment où Petrobras venait de découvrir ses énormes réserves d’hydrocarbures dans les champs pré-salifères (pré-sal) en eaux très profondes. Ce qui est en jeu n’est rien moins que l’avenir des rapports de forces en Amérique du Sud. C’est aussi la capacité de bien prendre la mesure des attaques spéculatives actuellement en cours, et de manière synchronisée, contre tous les gouvernements progressistes de la région.

Le Brésil se dirige vers un affrontement de classes extrêmement grave. A cet égard est significative une anecdote : rendant visite à un de ses amis soigné à l’hôpital Albert Einstein – établissement où la haute classe moyenne de Sao-Paulo se sent chez elle –, l’ancien ministre des finances du premier gouvernement de Dilma Rousseff, Guido Mantega, a fait l’objet de violentes attaques verbales. Les vannes s’ouvrent et libèrent d’effrayants flots de haine chez une élite qui n’accepte pas l’« invasion » d’une nouvelle classe moyenne dans des fiefs qui lui étaient traditionnellement interdits. Un signal alarmant montrant que les temps ont changé et que l’air peut devenir irrespirable au Brésil.

Le Lula de cette vidéo est le Lula de la grande époque, celui qui a gagné de nombreuses batailles, non pas grâce au pouvoir des médias – qui lui ont toujours été hostiles –, mais grâce à la force de la rue. C’est celui qui invite ses camarades à ouvrir la porte et à sortir avec lui. « Je veux la paix et la démocratie », dit-il en conclusion, « mais s’ils ne les veulent pas, nous savons aussi nous battre  ».

Le Manifeste que Mémoire des luttes publie (ci-dessous) en même temps que le renvoi au discours de Lula a été signé par quelques-uns des plus brillants universitaires et chercheurs brésiliens. Un souffle d’intelligence et de lucidité sur une vague de bêtise et d’ignorance qui voudrait faire faire au Brésil un grand bond en arrière. Comme s’il était possible de revenir sur les années de progrès dans un pays qui, pour la première fois dans son histoire, garantit la complète autonomie d’une enquête judiciaire approfondie pour traduire devant les tribunaux une chaîne de corrompus dont les tentacules se déploient – oui, il faut le dire – jusqu’au gouvernement lui-même.

Le Brésil de Dilma Rousseff est confronté à des problèmes. Mais, contrairement à de que voudraient faire croire les porte-parole du retour en arrière, c’est un Brésil qui est en train de faire un nouveau pas en avant. Et rien ne lui fera rebrousser chemin.

 


 

Manifeste en défense de la légalité

CE QUI EST EN JEU AUJOURD’HUI AU BRÉSIL

L’opération connue sous le nom Lava Jato (nettoyeur haute pression) lancée pour mettre fin aux malversations au sein de Petrobras, a déclenché un processus politique qui met en péril les conquêtes de notre souveraineté et même de notre démocratie.

Il s’agit en effet d’une campagne visant à vider de sa substance Petrobras, la seule grande entreprise pétrolière dont la production et les réserves augmentent régulièrement. Elle va de pair avec la proposition de livrer les champs pré-salifères (pré-sal ) aux entreprises étrangères, en rétablissant le régime de concessions. Ce régime avait été remplacé par l’actuel système de partage qui donne à Petrobras le monopole de l’exploration et de la production de pétrole dans les eaux très profondes. Cette situation lui a valu d’obtenir les principales distinctions lors des congrès internationaux.

Aujourd’hui s’affiche au grand jour la voracité des intérêts géopolitiques dominants qui cherchent à contrôler le pétrole partout dans le monde, y compris au moyen d’interventions militaires. Et ces intérêts sont relayés par les médias qu’ils contrôlent et par des parlementaires alignés sur eux.

Petrobras est le pilier de notre développement scientifique, technologique et industriel. Si cette compagnie était affaiblie, ce sont d’autres entreprises, employant environ 500 000 salariés qualifiés, qui seraient alors mises en danger. Nous serions renvoyés à une condition subalterne et coloniale.

Par ailleurs, ces mêmes secteurs s’emploient activement à déstabiliser un gouvernement légitimement élu afin d’écourter son mandat. Ils n’hésitent pas à fouler aux pieds l’Etat de droit démocratique, par la manipulation d’informations partielles et préliminaires venant des magistrats, de la police fédérale, du ministère public et même des médias, afin de créer dans le pays une commotion leur permettant d’atteindre leurs objectifs anti-nationaux et anti-démocratiques.

Le Brésil a connu en 1964 une expérience semblable. Elle fut suivie d’une longue période de ténèbres et d’arbitraire. Il s’agit aujourd’hui d’éviter qu’elle se répète. Nous appelons les forces vives de la nation à serrer les rangs et à bâtir une large alliance nationale – au delà des intérêts partisans ou idéologiques – autour de la démocratie et de Petrobras, notre principal symbole de souveraineté.

20 février 2015

 

Liste des signataires du Manifeste :

  • Alberto Passos Guimarães Filho, physicien, Académie brésilienne des sciences
  • Aldo Arantes, homme politique
  • Ana Maria Costa
  • Ana Tereza Pereira
  • Cândido Mendes, sociologue et philosophe
  • Carlos Medeiros, économiste, UFRJ
  • Carlos Moura
  • Claudius Ceccon, humoriste
  • Celso Amorim, ancien ministre des relations extérieures et ancien ministre de la défense
  • Celso Pinto de Melo, physicien, Académie brésilienne des sciences
  • D. Demetrio Valentini, évêque de Jales, São Paulo
  • Emir Sader, sociologue
  • Ennio Candotti, physicien, président de la Société brésilienne pour le progrès de la science
  • Fabio Konder Comparato, juriste
  • Franklin Martins, journaliste, secrétaire de presse du gouvernement Lula
  • Jether Ramalho, anthropologue
  • José Noronha, médecin
  • Ivone Gebara, théologienne
  • João Pedro Stédile, économiste, dirigeant du MST
  • José Jofilly, cinéaste
  • José Luiz Fiori, politiste et économiste, UFRJ
  • José Paulo Sepúlveda Pertence, juriste, ancien président du Tribunal suprême fédéral
  • Ladislau Dowbor, économiste, PUC, São Paulo
  • Leonardo Boff, théologien
  • Ligia Bahia, sociologue spécialiste de la santé publique, UFRJ
  • Lucia Ribeiro
  • Luiz Alberto Gomez de Souza, sociologue, ONU
  • Luiz Pinguelli Rosa, physicienne, Académie brésilienne des sciences
  • Rosa Magali do Nascimento Cunha, sociologue
  • Marcelo Timotheo da Costa, écrivain
  • Marco Antonio Raupp, mathématicien
  • Maria Clara Bingemer, théologienne
  • Maria da Conceição Tavares, économiste, UFRJ
  • Maria Helena Arrochelas, théologienne
  • Maria José Sousa dos Santos
  • Marilena Chauí, philosophe, USP
  • Marilene Correa
  • Otavio Alves Velho, écrivain
  • Paulo José, acteur
  • Reinaldo Guimarães, médecin, chercheur
  • Ricardo Bielschowsky, économiste
  • Roberto Amaral, politiste
  • Samuel Pinheiro Guimarães, diplomate, ancien ambassadeur
  • Sergio Mascarenhas, physicien
  • Sergio Rezende, physicien, chimiste
  • Silvio Tendler, documentariste
  • Sonia Fleury
  • Waldir Pires, juriste, ancien ministre de la défense




A lire également