Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 484, 1er novembre 2018

Les élections américaines du 6 novembre : la catastrophe ou le salut ?

lundi 3 décembre 2018   |   Immanuel Wallerstein
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En un mot : ni l’un ni l’autre. À l’heure où j’écris ces lignes, une semaine avant le verdict des urnes, on s’accorde à prédire un résultat extrêmement serré. Pour la plupart des analystes, l’enjeu du vote est Trump lui-même, et ce pour deux raisons :

D’abord, parce que les électeurs vont dans leur grande majorité se prononcer pour tel ou tel candidat au Sénat, à la Chambre des représentants, à un siège de gouverneur ou à des fonctions plus secondaires en fonction de l’opinion qu’ils ont du président.

Ensuite, parce que le résultat aura un impact très fort sur son poids politique futur.

Si les républicains conservent le Sénat, ils pourront nommer à tout va dans la magistrature fédérale et s’en assurer le probable contrôle pour de longues années. Pour la coalition anti-Trump, c’est une catastrophe.

Si les républicains gardent la majorité à la Chambre des représentants, fût-ce d’une voix, ils pourront faire adopter le programme budgétaire de leur choix. De plus, une victoire de Trump favoriserait grandement une propension répressive considérée par les anti-trumpistes comme un très grave danger. Autre catastrophe.

Si les républicains remportent les élections des gouverneurs, ils pourront remodeler en leur faveur la carte électorale pour, au moins, les dix prochaines années. Troisième catastrophe.

À l’inverse, si les démocrates s’emparent de la majorité au Sénat, ils pourront imposer davantage de nominations de personnalités dites « modérées » – la fin d’un rêve pour la coalition trumpiste.

Si les démocrates prennent la Chambre des représentants, ils pourront poursuivre les enquêtes qui harcèlent Trump et les siens, et du même coup renforcer leurs atouts pour l’élection présidentielle de 2020 – une catastrophe pour le camp Trump.

Si les démocrates gagnent les élections des gouverneurs, ils pourront, avantageusement, revenir sur une bonne partie des charcutages électoraux du passé.

On pourrait bien sûr assister à des résultats qui soient un composé de ceux envisagés ci-dessus, avec des conséquences incertaines. Toute perte que subira Trump réduira un peu plus son influence au sein du Parti républicain.

Ce qui pèche, dans ces analyses, c’est qu’elles postulent la survivance durable des comportements électoraux gagnants. Or les élus meurent ; les sortants se font sortir ; les réalités économiques changent du tout au tout, et ces transformations préludent souvent à un changement d’humeur politique, quels qu’aient été les résultats des élections précédentes.

N’oublions pas que nous vivons les fluctuations chaotiques d’une crise structurelle du système-monde moderne. Les fluctuations brutales sont notre réalité fondamentale. Rien ne dure très longtemps. Aujourd’hui la catastrophe, demain le salut. Et puis encore la catastrophe.

Il n’en reste pas moins qu’il faut voter du mieux que l’on peut pour parer aux maux du court terme. Mais les victoires sont nécessairement transitoires : importantes, mais jamais décisives.

 

Traduction : Christophe Rendu

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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.





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