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La droite aussi se bat pour la rue et les urnes

lundi 24 juin 2013   |   Valter Pomar
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« En vérité, ou bien le Parti des travailleurs se recycle, met la barre à gauche, approfondi les changements dans le pays, ou bien toute la gauche coulera par le fond »

Qui a milité durant les événements qui ont précédé le coup d’Etat de 1964, ou qui les a étudiés, sait très bien que la droite est capable d’intégrer toutes les formes de luttes. Cette personne fait aussi la différence entre les « organisations sociales » et les « mouvements sociaux », ces derniers pouvant régulièrement être explosifs et spontanés.

La génération qui a grandi avec le Parti des travailleurs (PT) s’est déjà habituée à une situation toute autre. Dans les années 1980 et 1990, la gauche gagnait dans les rues, tandis que la droite était victorieuse aux élections. Et, depuis 2002, la gauche a commencé à gagner dans les urnes, allant souvent jusqu’à délaisser la rue pour entrer dans l’opposition de gauche.

La droite, pour reprendre les termes de certains, serait « sans programme », « sans but » et contrôlerait « seulement » le PIG [Partido da Imprensa Golpista : Parti de la presse pro-coup d’Etat], qui ne serait plus en mesure de contrôler l’ « opinion publique », simplement l’« opinion publiée ».

Ce serait comme si nous avions tout le temps du monde pour résoudre les problèmes qui s’accumulent : changements générationnels et sociologiques ; progression du conservatisme idéologique ; relâchement des liens entre la gauche et les masses ; mécontentement croissant à l’égard des actions (et manque d’actions) de nos gouvernements ; déclassement du PT au niveau des partis traditionnels, etc.

En dépit de ces problèmes, le discours dominant de la gauche brésilienne était, jusqu’à hier, de deux types. D’une part, au sein du « Ptisme » et de ses alliés, la satisfaction de nos réalisations passées et présentes, accompagnée des pondérations plus ou moins rituelles qu’il « nous faut faire plus » et qu’« il nous faut changer les pratiques ». D’autre part, issue de la gauche d’opposition (Parti socialisme et liberté, Parti socialiste des travailleurs unifié et autres), la critique des limites du « Ptisme » motivée par la conviction qu’à travers la lutte politique et sociale, il serait possible de vaincre le PT et d’y mettre à la place une « gauche plus de gauche ».

Les manifestations populaires qui ont eu lieu ces derniers jours ont bousculé ces interprétations, ainsi que d’autres.

Tout d’abord, elles ont rappelé que les mouvements sociaux existent, mais qu’ils peuvent être spontanés. Et que les « mouvements sociaux » auto-proclamés, ainsi que les partis « populaires », ne parviennent pas à réunir, et encore moins à mener, une infime fraction des centaines de milliers de personnes disposées à sortir dans les rues pour se manifester.

Deuxièmement, elles ont montré que la droite sait occuper la rue dans le cadre d’une stratégie qui vise aujourd’hui encore à nous battre dans les urnes. Mais que cela peut toujours évoluer vers d’autres directions.

Face à cette nouvelle situation, quelle devrait être l’attitude de l’ensemble de la gauche brésilienne, en particulier la nôtre, nous qui sommes le Parti des travailleurs ?

Tout d’abord, ne prenons pas des vessies pour des lanternes. Les manifestations de ces dernières semaines ne sont pas de « droite » ou « fascistes ». Si cela était le cas, nous serions vraiment dans de beaux draps.

Ces manifestations sont (encore) l’expression d’un mécontentement social généralisé et profond, en premier lieu des jeunes des milieux urbains. Ce ne sont pas des manifestations de la soi-disante classe moyenne conservatrice, encore moins de la classe ouvrière classique.

La forme prise par ces manifestations correspond à cette base sociale et générationnelle : elles sont comme un mur Facebook, où chacun y met ce qu’il veut. Et elles souffrent de toutes les limites organisationnelles et politiques d’une génération qui a grandi à une époque « étrange » de l’histoire du Brésil, où la classe dominante continue d’étendre son hégémonie sur la société, tandis que la gauche a, en apparence, établi son hégémonie politique.

L’insatisfaction exprimée par les manifestations a deux foyers : les politiques publiques et le système politique.

Les politiques publiques qui sont réclamées coïncident avec le programme historique du PT et de la gauche. Et la critique du système politique n’est pas étrangère aux raisons pour lesquelles nous préconisons la réforme politique.

Pour cette raison, beaucoup de gens du PT et de la gauche pensaient qu’il serait facile de se rapprocher et de participer à ces manifestations. Certains ont même rêvé de les canaliser.

Il s’avère que, étant le principal parti du pays, et à cause de l’action de l’alliance droite/médias et des erreurs politiques accumulées au cours des dix dernières années, le PT est devenu le symbole principal du système politique condamné par les manifestations.

Cette situation a été renforcée ces derniers jours par l’attitude désastreuse de deux dirigeants du PT : le ministre de la justice, José Eduardo Cardozo, qui a offert l’aide des troupes fédérales au gouverneur [de São Paulo] Geraldo Alckmin pour « faire face » aux manifestations, et le maire [de São Paulo] Fernando Haddad, qui n’a pas eu le bon sens de prendre ses distances avec le gouverneur.

La focalisation sur le PT, couplée au caractère progressiste des revendications pour des politiques publiques, à amener une partie de l’opposition de gauche à croire qu’il serait possible de « surfer » sur ces manifestations. Lourde erreur.

Comme nous l’avons vu, le rejet du PT s’est étendu à l’ensemble des partis et organisations de la gauche politico-sociale. Cela a montré l’illusion de ceux qui pensaient que par la lutte sociale (ou la participation aux élections), la défaite du PT était possible pour installer quelque chose de plus à gauche à la place.

En vérité, ou bien le PT se recycle, met la barre à gauche, approfondi les changements dans le pays, ou bien toute la gauche coulera par le fond. Y compris ceux qui ont quitté le PT, et ceux qui ces dernières années ont flirté ouvertement avec le discours anti-parti et nationaliste. Cela vaut la peine de se rappeler que les tentatives pour empêcher la présence de drapeaux de partis dans les mobilisations sociales ne datent pas d’aujourd’hui.

Le rejet du système politique, de la corruption, des partis en général et du PT en particulier ne signifie pas, cependant, que les manifestations sont à droite. Cela signifie quelque chose d’à la fois meilleur et de pire : une expression commune est descendue dans les rues. Il s’agit notamment de l’usage des symboles nationaux dans les cortèges.

Cette expression commune s’est construite au cours des dernières années, en partie suscitée par notre action, en partie par nos carences. Elle ouvre un espace immense à la droite. Mais en même temps, à mesure que cette expression commune participe ouvertement au combat politique, il se créé des conditions meilleures pour que nous puissions la disputer.

Aujourd’hui, l’alliance droite/médias est en train de gagner la lutte pour l’agenda des manifestations. En outre, il existe une opération coordonnée par la droite, que se voit aux travers de la présence de certains manifestants ; la popularisation de certains slogans ; ou l’action des groupes paramilitaires.

Mais la droite éprouve des difficultés pour exploiter efficacement ces manifestations. Le système politique brésilien est contrôlé par la droite, pas par la gauche. Et les drapeaux apparaissant dans ces manifestations exigent a minima une réforme fiscale majeure, et, au-delà, moins d’argent public pour les banquiers et les grands hommes d’affaires.

C’est pourquoi la droite s’empresse de changer l’ordre du jour des manifestants pour cibler Dilma Rousseff et le PT. Le fait est que cette politisation par la droite peut vider le mouvement de son caractère spontané et de sa légitimité, et, dans le même temps, créer un effet mobilisateur sur les bases sociales du lulisme, du « ptisme » et de la gauche brésilienne.

Par conséquent, il est essentiel que le PT et l’ensemble de la gauche investissent la rue, les cœurs et les esprits des manifestants et des secteurs sociaux qu’ils représentent. Nous ne pouvons pas abandonner les rues, nous ne pouvons pas cesser de nous intéresser à ces secteurs.

Pour gagner cette bataille, nous devrons combiner action du gouvernement, action militante dans les rues, communication de masse et reconstruire l’unité de la gauche.

La condition préalable, bien sûr, est que nos gouvernements fédéraux prennent des mesures immédiates pour répondre aux revendications réelles pour de meilleurs services publics. Sans cela, nous n’aurons pas la moindre chance de vaincre.

Il ne suffit pas de réciter ce que nous avons déjà accompli. Il faut aussi s’occuper de ce qu’il reste à faire. Et expliquer didactiquement, politiquement, les actions du gouvernement. Il nous faut démarquer l’action du gouvernement de celle des autres partis de manière programmatique, symbolique et politique.

L’annonce conjointe (Alckmin/Haddad) de la réduction des tarifs et l’offre sécuritaire proposée par Cardozo à Alckmin sont des exemples de ce qui ne doit plus se reproduire. Sans oublier les attitudes conservatrices à l’égard des peuples autochtones, la complaisance avec certains milieux conservateurs et de la droite ou l’utilisation d’arguments conservateurs adoptés par certains pour défendre les travaux de la Coupe du monde et les barrages hydroélectriques etc.

Afin de s’adresser au sentiment diffus d’insatisfaction révélé par les mobilisations, les mesures gouvernementales ne suffisent pas. Peut-être le moment est-il venu, comme certains l’ont suggéré, que nous adressions une nouvelle « Lettre aux Brésiliens et Brésiliennes ». Seulement, cette fois, une lettre en faveur de réformes de fond, de réformes structurelles.

Quand à notre action de rue, nous devons garantir une présence organisée et massive dans les manifestations qui se déroulent. Cela signifie des milliers de militants de gauche, avec un service d’ordre adéquat afin de protéger nos militants de la droite paramilitaire.

Il faut différencier les manifestations de masse des actions menées par la droite dans la masse. Et en fonction de l’évolution de la conjoncture, il nous incombera de convoquer de grands rassemblements propres à la gauche politico-sociale.

Peu importe la forme, l’essentiel, comme nous l’avons dit, est que la gauche ne perde pas la bataille pour les rues.

Quant à la bataille de la communication, c’est au gouvernement, encore une fois, de jouer un rôle crucial. Au stade actuel de la mobilisation et du conflit, il ne suffit pas de contrattaquer la droite sur les réseaux sociaux ; il nous faut affronter les discours des monopoles dans les radios et les télévisions. Le gouvernement doit comprendre qu’il doit changer de posture sans délai.

En bref : il s’agit de combiner la rue et les urnes, de changer de stratégie et la conduite générale du PT et de la gauche.

Il n’existe aucun moyen de modifier le rapport de force dans le pays sans lutte sociale. La droite le sait autant que nous. La droite veut occuper la rue. Nous ne pouvons pas le permettre. Et, en même temps, nous ne devons pas cesser de nous mobiliser.

Si nous faillons à cette tâche, nous perdrons la bataille de la rue aujourd’hui, et celle des urnes l’année prochaine. Mais si nous réussissons, nous récolterons ce que le responsable de droite Reinaldo Azevedo pointe comme risque (pour la droite) dans un texte publié récemment par lui, dans lequel il annonce dès le premier paragraphe : « le mouvement qui est dans les rues conduira à un recyclage du PT par la gauche et pourrait rendre l’issue des élections encore plus inhospitalières pour la droite  ».

En résumé : la sortie de cette crise existe. Par la gauche.

Traduction : HC

Edition : Mémoire des luttes





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