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La Russie limite les ambitions hégémoniques de l’OTAN

samedi 27 novembre 2010   |   Pierre Charasse
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Depuis le fin de la guerre froide, et après la dissolution du Pacte de Varsovie, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), forte de sa victoire idéologique, s’est élargie en incorporant les pays d’Europe de l’Est anciens alliés de l’URSS, et en intervenant en dehors des zones définies par le traité : Afghanistan, Méditerrannée orientale, Iraq, Soudan, Somalie. Dans le nouveau contexte post-guerre froide et post-attentats du 11 septembre 2001, les chefs d’Etat et de gouvernement des vingt huit pays membres de l’Organisation, réunis au Sommet de Lisbonne (19-20 novembre), ont défini un « nouveau concept stratégique » pour la période 2010-2020 et abordé deux points délicats : le retrait des troupes d’Afghanistan et le bouclier anti-missiles que les Etats-Unis veulent déployer en Europe.

Le « nouveau concept stratégique » reflète l’ambition de renforcer la vocation mondiale de l’organisation politico-militaire de l’Occident au nom de « valeurs universelles », y compris dans des domaines qui ne relèvent pas directement de la sécurité, comme la « gouvernance » des Etats-faillis. Partant d’un catalogue élargi de menaces réelles ou supposées, l’OTAN a officialisé le principe selon lequel la sécurité de ses membres dépendait désormais de situations extérieures à la zone euro-atlantique, telle que définie par le traité de 1949. Il ressort clairement que, pour elle, la sécurité du monde passe avant tout par la sécurité de l’Occident et en premier lieu par celle des Etats-Unis.

L’OTAN s’arroge désormais le droit d’intervenir dans le monde « où et quand la sécurité de ses membres l’exige ». Elle affirme qu’il faut abolir les anciennes divisions entre sécurité intérieure et extérieure, entre menaces conventionnelles et menaces non-conventionnelles, et maintenir une capacité nucléaire « suffisante ». Considérant que les menaces conventionnelles sur l’espace euro-atlantique étaient aujourd’hui très faibles, elle a décidé de se réorganiser pour réagir rapidement - éventuellement par des actions préventives - à tout ce qui peut menacer le bloc occidental : le terrorisme, bien sûr, mais aussi l’insécurité des sources d’approvisionnement énergétiques et des routes maritimes, les « cyberattaques » contre les systèmes informatisés des pays occidentaux ou contre leurs « infrastructures vitales ».

Mais l’OTAN va plus loin en demandant à ses membres de renforcer leur capacité collective de lancer des « opérations expéditionnaires » n’importe où dans le monde, y compris des actions de « contre-insurgence » et de se doter d’un commandement unique qui pourrait agir sans avoir besoin du consensus de tous ses membres. Dans la liste des « nouvelles menaces », l’OTAN inclut les conséquences du changement climatique, la raréfaction de l’eau, les risques sanitaires. Elle compte sur des partenariats avec des pays non-membres pour agir comme « prestataires de sécurité » sur des théâtres éloignés.

En pleine crise financière et budgétaire, les Etats-Unis ont réussi à imposer à leurs alliés une participation accrue aux dépenses de l’OTAN, y compris le financement du bouclier anti-missiles américain (1 000 milliards de dollars), alors que, dans plusieurs pays, la fin de la guerre froide s’était traduite par une baisse des budgets militaires. Même la France, jadis si jalouse de son indépendance, s’est dite prête à participer à l’effort budgétaire pour financer in fine l’industrie américaine de l’armement. L’Union européenne a ainsi enterré définitivement toute possibilité d’avoir une défense autonome, s’en remettant pour sa sécurité aux décisions américaines.

La réunion de Lisbonne comportait aussi un Sommet Russie-OTAN. Celui-ci a permis au président Medvedev, fidèle à la grande tradition diplomatique du Kremlin, de faire un retour spectaculaire dans le débat mondial sur la sécurité et de modérer le triomphalisme occidental, tout en se positionnant comme un partenaire incontournable. Lors de la guerre déclenchée par la Géorgie en août 2008 (encouragée par Washington), la Russie avait réagi fortement et marqué la « ligne rouge » que l’Occident ne pouvait pas franchir, infligeant une cuisante défaite à l’armée géorgienne. L’OTAN a compris à ses dépens que l’on ne pouvait plus traiter la Russie en partenaire mineur. 

En réactivant son partenariat avec l’OTAN, la Russie se met en position de force pour exiger des Occidentaux qu’ils modèrent leurs ambitions mondialistes. Le président Medvedev a clairement posé ses conditions : l’OTAN n’est pas le gendarme du monde, et ses interventions doivent être validées par le Conseil de sécurité des Nations Unie (où la Russie et la Chine ont un droit de veto). La Russie accepte de coopérer sur le projet de bouclier anti-missiles à conditions qu’il ne permette que l’interception de missiles de courte et moyenne portée et qu’il ne soit tourné ni contre elle, naturellement, ni contre aucun pays en particulier. Or les experts occidentaux ont clairement défini l’Iran comme la principale cible du projet, et pensent qu’il faut rester vigilant à l’égard de la Russie. 

Moscou a suspendu l’application des accords START (limitation des arsenaux nucléaires) et FCE (Forces conventionnelles en Europe) bloqués par le Congrès des Etats-Unis, en attendant que Washington, qui pose toujours de nouvelles conditions, honore ses engagements. Et, pour donner des preuves de ses bonnes dispositions, la Russie s’est dite prête à renforcer sa coopération avec l’OTAN sur l’Afghanistan pour permettre le transit de certains types d’armes sur son territoire, notamment en vue du retrait des troupes occidentales. L’OTAN ne maîtrise plus totalement la route Kaboul-Karachi, seule voie possible pour le transit du matériel lourd. Quelle humiliation pour l’Occident de devoir compter sur le bon vouloir de la Russie pour mettre en œuvre un retrait sans gloire ni victoire, en évitant d’avoir à affronter des combattants afghans et pakistanais redoutablement efficaces !

L’OTAN, submergée dans la crise budgétaire et enfoncée dans le bourbier afghan, prétend encore vouloir étendre son champ d’intervention dans le monde entier malgré ses échecs. Vis à vis de ses partenaires européens, l’emprise de Washington se renforce : ils appuieront et financeront le déploiement sur le sol européen d’un bouclier anti-missiles qui restera néanmoins entièrement sous contrôle des Etats-Unis et profitera en premier lieu à l’industrie militaire d’outre-Atlantique. Mais, à Lisbonne, la Russie a joué les rabat-joie en rappelant avec force aux Occidentaux que d’autres puissances dans le monde ont leur mot à dire sur les défis du XXIème siècle. Ce ne sera sûrement pas l’Union européenne…





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