Actualités

Tribune

Guatemala, militaires et multinationales

vendredi 13 janvier 2012   |   Jean Ziegler, L’association Collectif Guatemala
Lecture .

Pays le plus peuplé d’Amérique centrale, le Guatemala a élu le 6 novembre à la présidence de la République, Otto Pérez Molina, général à la retraite et dirigeant du Parti patriote. Il prendra ses fonctions le 14 janvier dans un pays en proie à la violence des gangs et des narcotrafiquants, aux assassinats de leaders paysans et de syndicalistes et où le taux de résolution de ces crimes ne dépasse pas les 3%. L’impunité y règne en maître, tout comme la discrimination à l’encontre des descendants des populations autochtones mayas, qui représentent pourtant 60% de la population guatémaltèque.

Otto Pérez Molina est tenu pour responsable de massacres de communautés mayas au début des années 1980, au plus fort de la répression militaire d’un conflit armé qui a provoqué la mort de plus de 200 000 personnes, et de disparitions forcées lorsqu’il était à la tête des services de renseignements dans les années 1990. Il a promis de diriger le pays d’une main de fer, mano dura.

La question sur les cibles d’un tel slogan électoral se pose légitimement. Les militants des organisations luttant pour la justice et la reconnaissance du génocide de la population maya mené il y a trente ans, s’inquiètent notamment des suites qui seront données aux procès qui viennent tout juste de s’ouvrir à l’encontre de certains responsables militaires. Au sein des populations témoins des exactions d’une sauvagerie sans nom, qui ont été commises par les forces armées - pillages, viols, exécutions en masse de vieillards, de femmes, d’enfants, de nourrissons, villages entiers rayés de la carte -, le retour au pouvoir des militaires est fortement redouté.

Anciennement surnommée « République bananière » par les Etats-Unis, notamment lorsque la compagnie américaine United Fruit contrôlait les terres et le marché de la banane, les pratiques qui permettaient l’usage de ce sobriquet péjoratif court toujours. Le crime organisé, comme les multinationales, profite largement des failles d’un système politique, économique et juridique au service des grands propriétaires, des hommes politiques corrompus et des cartels de la drogue. Pour cette oligarchie de facto, la présence militaire rassure voire, assure la poursuite de leurs activités.

La discrète multinationale franco-britannique Perenco n’a d’ailleurs pas attendu les résultats de cette élection pour prendre appui sur les forces armées. La compagnie exploite le pétrole du Guatemala depuis 2001 et a obtenu la reconduction de son contrat pétrolier à l’été 2010. Mais dans le pays de l’éternelle injustice, il est des communautés qui résistent encore. C’est le cas des habitants de la Laguna del Tigre qui vivent au milieu des puits de Perenco.

La région est l’une des dernières frontières agricoles pour les populations sans terre de l’Altiplano, contraintes à l’exode par les monocultures de café, de sucre et d’agrocombustibles. La Laguna del Tigre, située dans le département du Péten, abrite la zone humide la plus importante de Mésoamérique. Région frontalière avec le Mexique, sa richesse est telle qu’elle a été déclarée zone naturelle protégée par le Guatemala en 1989 et par la convention Ramsar sur les zones humides d’importance internationale depuis 1990.

Mais les implications de ce statut s’appliquent en deux poids, deux mesures : les communautés paysannes se font expulser manu militari alors même que les narcotrafiquants se sont vu légaliser la propriété sur leurs terres et que Perenco a pu reconduire son contrat d’exploitation pour quinze années supplémentaires. De plus, les installations pétrolières de cette dernière bénéficient de la protection du « Bataillon vert », créé spécifiquement par le gouvernement guatémaltèque en septembre 2010 et composé de militaires chargés de la « protection de l’environnement » et des frontières de la région. Le dernier rapport du Collectif Guatemala, - « Perenco, exploiter coûte que coûte » - révèle que la multinationale a financé l’Etat guatémaltèque à hauteur de 3 millions de dollars l’an dernier pour la création de ce Bataillon vert et reverse 0,30 dollar par baril produit pour son fonctionnement. La dénomination de ce contingent pourrait faire sourire si le passif des forces armées au Guatemala n’avait pas été aussi brutal dans l’application des théories militaires dites de « contre-insurrection » et d’« endiguement » des idées, mouvements et populations jugées révolutionnaires ou subversives.

La France, qui sait solliciter et recevoir les bonnes œuvres de Perenco, notamment lorsque celle-ci parraine une exposition à Paris au musée du Quai-Branly (« Maya : de l’aube au crépuscule, collections nationales du Guatemala », juin-octobre 2011) devrait aussi jouer un rôle dans le contrôle et la responsabilisation de ses entreprises à l’étranger, lorsque celles-ci n’appliquent pas les règles de conduite éthique et environnementale sous les tropiques qu’elles seraient obligées d’appliquer au Nord. Il est de notre devoir de ne pas nous ranger du côté de l’oligarchie guatémaltèque qui domine depuis des siècles une population à majorité autochtone et paysanne qui n’a que trop souffert du vol et du pillage de ses terres, de ses ressources naturelles et culturelles, de la répression militaire, de l’impunité, des discriminations et de l’accaparement des richesses du pays par quelques-uns.




Article publié sur le site de Libération : http://www.liberation.fr/monde/01012380038-guatemala-militaires-et-multinationales



A lire également