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En Amérique latine, un nouveau cycle de luttes pour les mouvements sociaux

Entretien avec Raúl Zibechi

jeudi 6 septembre 2018   |   Raúl Zibechi
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Mémoire des luttes publie ci-dessous l’entretien (en français et en espagnol) donné au site Rebelión par le journaliste uruguayen spécialiste des mouvements sociaux latino-américains Raúl Zibechi. Intitulé « Mouvements sociaux, un nouveau cycle de luttes », ce texte s’appuie sur la publication, par l’auteur, de son nouvel ouvrage Movimientos sociales en América Latina. El ‘mundo otro’ en movimiento.

Il expose les principales thèses sur ce thème, dont celle selon laquelle – contrairement aux idées reçues et propagées ces dernières années –, l’Amérique latine ne connaît pas un reflux des mouvements populaires, mais au contraire, une recrudescence de leurs combats. Ils formeraient même une nouvelle génération d’acteurs et ouvriraient « un nouveau cycle de luttes ». Nés sous le régime « extractiviste » qui caractérise le modèle de développement latino-américain, ces mouvements ont des caractéristiques inédites que l’auteur étudie dans son ouvrage : ils mobilisent la jeunesse urbaine et les femmes ; leurs modes d’action sont pacifiques, et ils organisent leurs mobilisations de manière autonome par rapport aux institutions et au champ politique et électoral.

Dans cette perspective, l’auteur souligne que ces mouvements inscrivent leurs luttes et développent leurs alternatives dans une territorialité qu’ils opposent à la dé-territorialisation des rapports de production et des relations sociales imposée par le capitalisme financier et mondialisé. Ainsi, Raúl Zibechi remarque : « On se dirige vers une autonomie plus intégrale (des mouvements) qui implique qu’ils disposent d’un territoire, d’une production (économique et sociale) propre, qui puisse le plus possible s’éloigner de l’utilisation de l’agrochimie. Une autonomie qui, en définitive, englobe tous les aspects de la vie ».

Une contre-société ? D’autres sociétés dans la société ? Dans son ouvrage, Raúl Zibechi en ouvre les portes et, à la manière du géographe, il en étudie l’organisation du territoire et des populations. Ce faisant, il en propose une cartographie exhaustive.

Source : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=245916

 


 

Ton dernier livre révise un texte publié en 2003 « Les mouvements sociaux latino-américains : tendances et défis » (Observatoire social d’Amérique latine, CLACSO). Tu affirmes qu’après la victoire électorale d’Hugo Chavez (1998), suivie par d’autres comme celle de Evo Morales (2005), « La stabilisation progressiste a permis que les Etats mettent en oeuvre des politiques sociales qui ont désintégré, fragilisé et démobilisé un nombre important de collectifs ». Nous trouvons-nous face à une nouvelle étape dans la bataille des mouvements sociaux ?

J’aimerais qu’il s’agisse d’un nouveau cycle de luttes. Je crois que ça l’est, même si j’affirmerais peut-être dans dix ans que je me suis trompé. La première caractéristique du cycle, c’est qu’il naît sous le modèle « extractiviste », avec une énorme spéculation immobilière, une terrible accumulation due au pillage, la présence des monocultures de soja et l’industrie minière à ciel ouvert. Après, le modèle s’est bloqué avec la chute des prix des matières premières. Ce moment est aussi celui des gouvernements qu’on a appelé « progressistes », parce qu’ils ont amélioré la situation des pauvres, mais sans réaliser de changements structurels. 

Une autre caractéristique de ce cycle, c’est la grande participation des jeunes des secteurs populaires et des femmes ; par exemple, au Brésil, le Mouvement Pase Libre pour le transport public gratuit qui a déclenché des luttes en juin 2013. Puis une troisième caractéristique, c’est le surgissement de sujets collectifs qui étaient plutôt calmes jusque-là, comme les noirs et les secteurs les plus vulnérables du monde du travail, les favelas, les palenques et les quilombos, surtout au Brésil, en Colombie et dans les Caraïbes. Au Brésil, il y a eu en mars 2014 une grève des ramasseurs de poubelles – noirs, pauvres et jeunes – pendant le carnaval de Rio. Une quatrième caractéristique est l’approfondissement de l’idée d’autonomie.

Pourrait-on fixer une date de début pour cette nouvelle phase des luttes sociales, avec par exemple, au Pérou, la résistance populaire contre le projet minier Conga, dans le département de Cajamarca, à partir de 2012 ?

Au Brésil, à partir de juin 2013, en pleine coupe des Confédérations de football, 20 millions de personnes ont manifesté dans 353 villes. Avec la répression, la gauche se paralyse, la droite en profite pour monter dans le « train » des mobilisations et s’empare de la rue. Mais en Bolivie, le point de départ se situerait en 2011, avec la Marche en défense du Territoire indigène et du parc national Isiboro-Secure (TIPNIS) où le gouvernement national projetait de construire une route qui traversait cet espace protégé. En Argentine, le point de départ est l’occupation du Parc Ibéroaméricain de Buenos Aires en 2010, pendant la présidence de Cristina Kirchner où des secteurs populaires urbains se sont mobilisés dans ce parc énorme pour le droit au logement et contre l’insuffisance des politiques sociales.

Pour le cas spécifique de l’Amérique Latine, tu préfères l’idée de « mouvement social » ou celle de « sociétés "autres" en mouvement » ? Tu parles dans ton livre, entre autres, de la population de Cherán (Michoacán de Ocampo, au Mexique) qui est revenue à des systèmes d’organisation p’urhépechas quand elle s’est mobilisée en 2011 contre les mafias qui taillaient les bois communaux.

Le concept de « mouvement social », très utile, a surgi en Europe et en Amérique du Nord pour expliquer l’émergence, dans les années 1960, de mouvements comme celui des femmes, des droits civiques aux Etats-Unis, de lutte contre l’OTAN, pour la paix et l’écologie. Tous ces mouvements exigeaient certains droits aux Etats.

Mais, en Amérique Latine, les mouvements sont enracinés dans des territoires et cette « territorialisation » est une marque d’identité qui fait la différence. Dans tous ces espaces, que ce soit le Mouvement des travailleurs ruraux sans terres (MST) du Brésil, le zapatisme au Mexique ou les mapuches au Chili, ils créent de nouvelles sociétés, qui incluent de la production, des soins de santé et dans certains cas, certains organes de pouvoir non étatiques, comme les « Juntes de bon gouvernement » du zapatisme, qui est le cas le plus connu et le plus développé. L’exemple zapatiste est remarquable avec les centaines de communautés regroupées sur plus de 30 municipalités dans 5 régions, avec des écoles, des cliniques et des cultures sans produits agrochimiques. Il y a également le cas des conseils indigènes de la population Nasa dans les réserves du Sud de la Colombie. A une autre échelle, le MST a récupéré près de 25 millions d’hectares appartenant aux grands propriétaires, il a organisé 5000 occupations où vivent deux millions de personnes, avec 1500 écoles, des coopératives de production et de distribution dans les foires.

Pourquoi expliques-tu que ces sociétés « autres » ont besoin de se mobiliser et même de se renouveler ? C’est ce qui est arrivé avec les peuples des basses terres de Bolivie, où il y a eu un processus d’unification dans des assemblées et de reconstitution de leurs territoires depuis le début des années 1980, et qui ont fini par participer de manière décisive à la Marche en défense du TIPNIS en 2011.

Parce que s’ils ne le font pas, ces territoires qui sont comme des îles, se retrouvent encerclés et finissent étouffés et réprimés par le Capital. Ils ont besoin de lutter et de créer des liens avec d’autres, de s’étendre pour survivre. Il y a par exemple, le soulèvement en juin 2009 des indigènes wampis et awajún à Bagua, dans la Selva de l’Amazonie péruvienne. Huit ans après les affrontements avec la police armée qui se sont soldés par des centaines de morts, plus de 80 communautés wampis ont proclamé leur auto-gouvernement pour défendre 1,3 millions d’hectares de forêt contre les multinationales. Il y a aussi le cas des Nasa, qui avaient depuis longtemps un espace consolidé dans le département colombien du Cauca. En octobre 2008, environ 10 000 indigènes ont commencé la Minga sociale et communautaire, qui est passée par des villes comme Calí pour arriver jusqu’à Bogotá. Pendant le parcours, ils ont été rejoints par les coupeurs de canne à sucre, les noirs, les étudiants et d’autres collectifs urbains. Et c’est après cette grande marche, en 2010, qu’a été fondé le Congrès des peuples qui rassemble de nombreux mouvements populaires.

Tu te réfères également à l’éducation populaire « en mouvement », avec deux grands modèles : le développement de l’ELN zapatiste et le MST brésilien...

Le MST part de l’éducation populaire de Paulo Freire. Dans les occupations des « sans terre », ils l’approfondissent et la développent jusqu’à arriver à la « pédagogie de la terre » qui pourrait fondamentalement se définir par « se transformer en transformant ». Ainsi, le mouvement comme les sujets du mouvement se transforment « en faisant », et les 1 500 écoles appliquent une pédagogie qui cherche à enraciner le sujet paysan dans la terre. Ils travaillent aussi la relation entre l’enseignant et les élèves, pour qu’elle soit moins verticale et plus participative. C’est surtout un champ d’éducation des adultes, où on cherche une méthode pédagogique dans laquelle le rôle du maître est plus circulaire et tous deviennent des évaluateurs. Ils ont développé également un concept qui est très important pour moi : transformer le mouvement – sur tous les temps et dans tous les espaces – en temps et espaces pédagogiques. Tout ce qui se fait doit avoir un contenu et un résultat pédagogique : si on participe à une campagne de lutte ou à des actions, cela doit servir aussi à discuter de la réalité et à autonomiser les gens.

Dans « Mouvements sociaux en Amérique Latine », tu cites d’autres expériences comme le Réseau Cecosesola, fondé il y a 50 ans dans l’état de Lara au Venezuela. Ils affirment « Notre processus éducatif est présent dans tout ce que nous faisons ». Les coopératives agricoles, de santé, d’épargne, de prêt et de production industrielle à petite échelle de Cecosesola comptent 20.000 sociétaires et plus de 50 organisations populaires.

Je voudrais également signaler les Baccalauréats Populaires d’Argentine. Ils ont surgi au début des années 2000, sur les territoires et les espaces du mouvement piquetero et fonctionnent dans les fabriques récupérées par les travailleurs, les syndicats et les organisations territoriales des quartiers populaires. Les gens, adultes qui n’avaient pas terminé l’enseignement secondaire, viennent dans les « Baccalauréats » et étudient la période qui leur manque. Ils fonctionnent comme des espaces « en mouvement » et il y en a plus d’une centaine en Argentine, surtout dans les villes. Les « Baccalauréats » organisent une grande assemblée initiale où, collectivement on commence à travailler le programme, qui n’est pas celui de l’Etat mais celui qui est défini par les collectifs, les enseignants et les étudiants. A partir de ce programme, commencent trois ans de formation, qui aboutissent à des avancées sur le terrain pédagogique, l’acquisition de connaissances, l’habilité à parler en public, avec des étudiants qui sont des militants et même des leaders dans les mouvements. Cette pédagogie est en lien avec celle de Paolo Freire, elle prend racine dans la réalité concrète et elle est destinée à des hommes et des femmes de quartiers très pauvres.

Tu es allé plusieurs fois au Chiapas et tu as découvert « l’Escuelita » (la petite école) Zapatista. « Face au monde occidental et académique, abstrait et général, les zapatistes des bases de soutien ont la vertu du concret et la simplicité de l’exposé », c’est la conclusion de ton livre. Ainsi, la pensée critique de l’EZLN qui surgit de la praxis quotidienne dans les bases de soutien, se reproduit dans des centaines d’écoles.

Les zapatistes ont une particularité. C’est la communauté en assemblée qui élit les enseignants, non pas parce qu’ils en sont plus ou moins capables, mais parce que c’est leur tour. De plus, les enseignants ne perçoivent pas de salaire, ils doivent s’occuper à temps complet de leurs élèves et c’est la communauté qui pourvoit à leurs besoins et qui, par exemple, leur cultive la milpa. Il y a une différence claire entre les écoles de l’Etat et les écoles zapatistes. De plus, dans certaines régions, quand le zapatisme a commencé à installer des écoles « secondaires » ou « primaires », l’Etat en a également implanté – alors qu’auparavant il n’y en avait pas – pour s’opposer aux écoles zapatistes. Dans ces dernières, les parents collaborent, les élèves et les enseignants nettoient l’école ; de fait, ils la gèrent ensemble. Alors que dans les écoles de l’Etat, l’enseignant est un métis ou un blanc qui arrive de la ville en voiture. Dans les écoles zapatistes, ce sont les gens de la communauté elle-même qui enseignent.

Parmi les penseurs « récupérés », il y a entre autres le philosophe et psychiatre de la Martinique, Frantz Fanon, et le philosophe anthropologue Rodolfo Kusch. Pourquoi proposes-tu une rupture épistémologique face à l’eurocentrisme et défends-tu les pensées « propres » des peuples indiens, noirs et des secteurs populaires ? Y-a-t’il en Amérique Latine une dépendance aux modèles – de faire et de penser – européens et étatsuniens ?

Oui, surtout dans les milieux académiques et universitaires. Les auteurs, la forme de travail et d’étude, le rôle des étudiants et des universités sont très eurocentrés. Par exemple, pour l’étude sur les mouvements sociaux, on fait appel à des auteurs que j’aime beaucoup comme Marx, Foucault, Alain Touraine ou Sidney Tarrow. Mais il y a, pour les mouvements, la nécessité de chercher une autre pédagogie dans leurs traditions. C’est ici que je parle d’une rupture épistémologique.

Dans le livre, j’explique l’expérience de la Communauté d’Histoire Mapuche. Elle naît en 2004 à Temuco, au sud du Chili. La majorité des 23 membres de la Communauté proviennent de l’Université de la frontière, dans la ville de Temuco. Il s’agit de professeurs d’université et du « secondaire », de travailleurs sociaux, de journalistes, artistes et écrivains ; certains vivent en communauté et beaucoup se définissent comme des activistes des organisations mapuches. Ils accompagnent aussi des processus judiciaires contre les détenus politiques, les processus de défense territoriale contre l’extractivisme et ils participent à la lutte de revitalisation du mapudungun (langue mapuche). Ils ont fait la lumière sur des épisodes historiques qui étaient dans l’obscurité, comme l’exposition en 1883 d’un groupe de 14 mapuches dans un zoo humain au Jardin d’acclimatation de Paris, ou encore les défaites infligées aux « conquistadores » espagnols au XVIème siècle.

Une autre idée centrale est la « décolonisation » des méthodes d’investigation et l’opposition à l’hégémonie des spécialistes. A ce niveau-là, des initiatives comme l’Atelier d’histoire orale andine (THOA) sont à relever : Qu’est-ce que c’est ?

C’est une expérience dirigée par l’anthropologue bolivienne Silvia Rivera Cusicanqui. Elle souligne la nécessité d’un « exercice collectif de désaliénation » où le rôle de l’Histoire orale et des communautés est déterminant. L’atelier a été créé en 1983, quand Silvia Rivera était professeure de sociologie à l’Université Mayor de San Andrès, à La Paz. La condition pour faire partie du groupe était de savoir parler aymara ou quechua. Le premier travail des étudiants consistait à raconter leur histoire de vie. C’est là qu’ils se sont rendus compte qu’ils souffraient, en plus de la répression externe, une auto-répression très forte en ce qui concerne leur langue, leur culture et leurs traditions, bien que dans le processus d’introspection ils aient commencé à se libérer. Il s’agit d’étudiants des communautés aymaras ou urbains -qui proviennent des communautés- déjà alphabétisés et qui vont à l’université.

Invités par les ayllus (les communautés), les membres du THOA ont développé des ateliers et pour les recherches, des équipes mixtes ont été créées, conduites par des gens de base, avec qui les objectifs, les tâches et les formats de recherche ont été définis. L’Histoire orale est ce qui leur permet de se découvrir, et ce qui permet aux personnes subordonnées de devenir des sujets. De plus, ce sont les communautés en assemblées qui décident comment doit avoir lieu le « retour » des études. Dans ce cas, cela a donné lieu à du téléthéâtre et à des feuilletons radiophoniques qui ont été écoutés par des centaines de milliers de personnes dans les radios du Haut-plateau. Cette méthodologie a permis de diffuser l’histoire de Túpac Katari, qui avait mené la révolte aymara en 1781, en même temps que Túpac Amaru dans ce qui est aujourd’hui le Pérou. Et aussi, la reconstruction de la biographie de Santos Marka T’ula, chef de tribu qui a lutté pour la récupération des terres communales. Les ateliers ont eu une influence sur la formation du Conseil national des Ayllus et Markas du Qullasuyu (CONAMAQ), une des organisations indiennes les plus importantes de Bolivie.

Depuis 1986, tu as parcouru l’Amérique Latine, surtout la région andine, en tant que journaliste et enquêteur « militant ». Quels sont selon toi les préjugés et les perspectives erronées que porte l’enquêteur du Nord quand il s’approche des communautés indigènes ?

Je crois qu’il y a une erreur de base : penser que c’est le chercheur qui sait, et pas la communauté. La deuxième erreur est ce que nous appelons « l’extractivisme » académique qui consiste à aller dans les communautés, à « aspirer » des connaissances et à les utiliser pour sa propre carrière institutionnelle ou académique, sans rien retourner à la communauté. La troisième, et cela me semble fondamental, c’est qu’il faut être dans la communauté, avoir des liens et établir de la confiance. Ca ne va pas d’aller faire une visite d’une demi-heure avec un magnétophone pour soutirer de l’information. S’il n’y a pas de relations de confiance, personne ne va te parler de questions de fond, et donc l’information sera toujours partielle et incomplète. Il y a là, me semble-t-il, une reproduction du modèle colonial, qui implante une relation entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas, et très souvent entre des hommes blancs, et des femmes ou des enfants indiens, noirs ou métis. De plus, je te dirais que les milieux académiques traditionnels tendent à reproduire le modèle colonial sujet-objet et à chosifier les indigènes, les noirs et les secteurs populaires.

Mais les écoles et les facultés de journalisme mettent l’accent sur la neutralité, la séparation entre l’information et l’opinion, ainsi que l’importance de la rigueur. Est-ce que c’est compatible avec la militance ?

Je crois qu’il faut être rigoureux, vérifier et être critique avec les sources. Nous avons des exemples merveilleux de journalistes très engagés qui sont du côté des opprimés, comme Eliane Blum, une journaliste et écrivaine brésilienne qui écrit de longs articles dans l’édition brésilienne de El País ; ou Marcela Turati, reporter du Proceso, au Mexique, qui est elle aussi totalement engagée avec les secteurs populaires sans pour cela, perdre la rigueur nécessaire.

D’un autre côté, dans l’article de 2003, tu affirmais que les habitants, les cultivateurs de coca, les paysans sans terre, et de plus en plus, les chômeurs urbains et les « piqueteros » argentins, travaillent à la construction de l’autonomie. Comment l’idée d’autonomie a-t-elle évolué dans les organisations populaires depuis 15 ans ?

Je crois que dans une première phase des mouvements, ce que nous comprenions du zapatisme et d’autres dont les « piqueteros » argentins, même s’ils ne le posaient pas comme ça, c’est que l’autonomie se formulait comme un discours défensif face à l’Etat, les partis politiques, les églises et les syndicats. Actuellement, on va vers une autonomie plus intégrale, qui implique de disposer d’un territoire, avec sa propre production, si possible sans agrochimie et, en fait, une autonomie qui touche tous les aspects de la vie. Alors que les paysans et les indigènes ont une grande expérience de l’autonomie alimentaire et des pratiques de santé, les secteurs populaires urbains ont été dépossédés de ces savoirs. Il faut alors souligner l’importance d’expériences comme, parmi beaucoup d’autres, celle de certaines communes de Medellin qui ont atteint une certaine autonomie dans la gestion de l’eau, celle de la Coopérative de logement Acapatzingo dans le district fédéral de México, ou l’expérience de la culture de quinoa des habitants de Potosí, à Ciudad Bolívar (Bogotá). Une autonomie qui dispose aussi d’espaces pour la résolution de conflits -ce que nous appelons le pouvoir ou la justice- propres, afin de ne pas avoir recours à la justice de l’Etat.

Quels exemples soulignerais-tu ?

C’est ce à quoi tend l’exemple mapuche, avec les groupes d’autodéfense informels. Et en Colombie, le mouvement des peuples nasa et misak organisés autour de l’Association des conseils indigènes du Nord du Cauca (ACIN) et le Conseil régional indigène du Cauca (CRIC) : en plus de leurs instances de justice communautaire et leurs écoles de formation, les nasa-misak ont une garde indigène élue par les communautés. Chaque communauté nasa élit dix gardes indigènes pendant un an, ils sont ainsi plus de 3 000 gardes coordonnés par chaque réserve, avec leurs propres chefs à tour de rôle, et armés de bâtons. Il s’agit de gens auto-organisés, sous le contrôle des conseils. Ils font peser la masse – c’est à dire la quantité de personnes – pour l’efficacité de leurs actions. Ils ont réussi à détenir les paramilitaires, l’armée, les compagnies minières et les FARC quand ils séquestraient des indigènes. Et tout cela, parce qu’ils considéraient que, dans leur territoire, ils ne voulaient pas de la guerre.

De quels médias indépendants recommanderais-tu la lecture à des citoyens européens pour s’informer, de manière critique, sur la réalité latino-américaine ?

Au delà des grands médias comme Brecha ou La Jornada, je soulignerais le site Web Desinformémonos du Mexique, qui est très lié aux mouvements et qui est dirigé par la journaliste Gloria Muñoz Ramirez ; il s’agit d’un journalisme militant et qui a très peu de ressources. Il y a aussi l’exemple de Mapuexpress, en lien avec le peuple Mapuche. Mais le cas le plus incroyable est celui de l’Argentine. L’Association des revues culturelles et indépendantes d’Argentine (AReCIA) enregistre près de 200 revues culturelles, indépendantes et autogérées, sous format papier ou digital ; ces publications liées aux réseaux populaires, par exemple Lavaca.org, Barcelona (Un journalisme par d’autres moyens), La Tinta (L’encre... Un journalisme qui va jusqu’à se tâcher) ou Campo Grupal, comptent entre cinq et sept millions de visites mensuelles. Dans ces revues, qui sont majoritairement coopératives, plus de 1500 personnes travaillent ou collaborent à temps complet. La communication en Amérique Latine s’est multipliée de manière notable. Un autre exemple est celui du Réseau d’éducation radiophonique de Bolivie (ERBOL) fondé en 1967, la tradition des radios communautaires en Equateur ou la quinzaine de publications du monde mapuche. Le processus est très riche, il y a une infinité d’expérience dont on n’a pas forcément connaissance.

Ce texte a été publié sur le site de Catherine Marchais (12 septembre 2018). Nous le reprenons avec son aimable autorisation : https://catherinemarchais.blogspot.com/2018/09/mouvements-sociaux-en-amerique-latine.html?spref=fb&m=1

 

Traduction : Catherine Marchais
Edition : Mémoire des luttes

 


 

Movimientos sociales en América Latina, un nuevo ciclo de luchas

El Movimiento de Trabajadores Sin Techo (MTST) de Brasil impulsó en Septiembre de 2017 la ocupación de Povo Sem Medo, en Sao Bernardo do Campo (Sao Paulo), que reivindicaba el derecho a la vivienda para familias con escasos recursos. El campamento se organizó con tiendas y barracas de plástico en los terrenos -60.000 metros cuadrados, abandonados desde hace cuatro décadas- de una constructora. Diversas fuentes calcularon la presencia de más de 30.000 personas en el asentamiento.

El periodista e investigador Raúl Zibechi (Montevideo, 1952) resalta esta ocupación como ejemplo del empuje popular en América Latina. Autor de una veintena de libros –“Descolonizar la rebeldía”, “Latiendo resistencia” o “Cambiar el mundo desde arriba”, entre otros- acaba de publicar en la editorial Zambra-Baladre “Movimientos sociales en América Latina. El ‘mundo otro” en movimiento”. “He optado por editoriales pequeñas, con el fin de tejer una red de amigos y compañeros ; escribo además para la gente común, no para las grandes editoriales”, afirma. Zibechi colabora actualmente en los periódicos La Jornada de México, Brecha de Uruguay, Gara y la agencia de noticias Sputnik. En el prólogo de su último libro recuerda las 400 fábricas recuperadas en Argentina, los 12.000 acueductos comunitarios que funcionan en Colombia o los más de 2.000 “emprendimientos” sostenibles promovidos por colectivos populares en México, el doble que hace una década.

Tu último libro revisa un texto publicado en 2003, “Los movimientos sociales latinoamericanos : tendencias y desafíos” (Observatorio Social de América Latina, CLACSO). Sostienes que, tras la victoria electoral de Hugo Chávez (1998) seguida por otras como la de Evo Morales (2005), “la estabilización progresista permitió que los estados pusieran en pie políticas sociales que desintegraron, debilitaron o cooptaron a no pocos colectivos”. ¿Nos hallamos ante una etapa nueva en la batalla de los movimientos sociales ?

Me gustaría que se tratara de un nuevo ciclo de luchas ; creo que lo es, aunque tal vez dentro de una década afirme que me equivoqué ; la primera característica del ciclo es que nace bajo el modelo “extractivista”, con una enorme especulación inmobiliaria, una terrible acumulación por despojo, la presencia de los monocultivos de soja y la minería a cielo abierto. Después el modelo se estancó con la caída de los precios de las materias primas. Es además la etapa de los gobiernos “progresistas”, en gran medida porque estos mejoraron la situación de los pobres, pero no realizaron cambios estructurales. Un segundo rasgo es la gran participación de jóvenes de los sectores populares y de las mujeres. Por ejemplo, en Brasil es el Movimiento Pase Libre, por el transporte público gratuito, el que en junio de 2013 desencadena las luchas. En tercer lugar, comienzan a terciar sujetos colectivos que habían estado en una actitud más tranquila, como los negros y los sectores más sumergidos en el mundo del trabajo, las favelas, palenques y quilombos ; sobre todo en Brasil, Colombia y el Caribe. En Brasil hubo, en marzo de 2014, una huelga de los recogedores de basura –negros, pobres y jóvenes- durante el carnaval de Río de Janeiro. Una cuarta característica es la profundización en la idea de autonomía.

¿Podría fijarse una fecha para esta nueva fase de las luchas sociales, por ejemplo en Perú, la resistencia popular contra el proyecto minero Conga en el departamento de Cajamarca, a partir de 2012 ? 

En Brasil, a partir de las jornadas de junio de 2013 en plena Copa de Confederaciones de fútbol, se manifestaron 20 millones de personas en 353 ciudades ; tras la represión, la izquierda se paraliza, la derecha aprovecha para subirse al “carro” de las movilizaciones y tomar la calle. Pero en Bolivia el punto de inicio se situaría en 2011, con la Marcha en defensa del Territorio Indígena y Parque Nacional Isiboro-Secure (TIPNIS), donde el Gobierno Nacional proyectaba construir una carretera que atravesara este espacio protegido. En Argentina el punto de partida es la ocupación del Parque Iberoamericano de Buenos Aires, en 2010, durante la presidencia de Cristina Kirchner ; sectores populares urbanos se movilizaron en este enorme parque por el derecho a la vivienda y contra la insuficiencia de las políticas sociales.

¿Prefieres la idea de “movimiento social” o el de “sociedades ‘otras’ en movimiento” para el caso específico de América Latina ? Mencionas en el libro, entre otras, la población de Cherán (Michoacán de Ocampo, México), que volvió a sistemas de organización p’urhépechas cuando se levantó en 2011 contra las mafias que arrasaban los montes comunales.

El concepto de “movimiento social”, que es muy útil, surge en Europa y Norteamérica para explicar la emergencia en los años 60 del siglo XX de movimientos como el de mujeres, la lucha en Estados Unidos por los derechos civiles, contra la OTAN, por el pacifismo y el ecologismo ; todos exigen a los estados ciertos derechos. Sin embargo, en América Latina los movimientos van arraigando en territorios, y esta “territorialización” es una seña de identidad muy diferenciadora. En todos estos espacios, el Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra (MST) de Brasil, el zapatismo o los mapuches van creando nuevas sociedades, que incluyen producción, salud y en algunos casos órganos de poder no estatales, como las Juntas de Buen Gobierno del zapatismo, que es el caso más conocido y desarrollado ; el ejemplo zapatista destaca por las centenares de comunidades agrupadas en más de 30 municipios en cinco regiones, con escuelas, clínicas y hasta cultivos sin agroquímicos ; otro caso es el de los cabildos indígenas de la población nasa, en los resguardos del sur de Colombia. A una escala distinta, el MST ha recuperado cerca de 25 millones de hectáreas de los hacendados ; ha impulsado 5.000 asentamientos, donde viven dos millones de personas, y donde hay 1.500 escuelas así como cooperativas de producción y distribución en ferias.

¿Por qué subrayas que estas sociedades “otras” necesitan movilizarse e incluso cambiarse a sí mismas ?, Así ocurrió con los pueblos de las tierras bajas de Bolivia, que tras un proceso de unificación en asambleas y reconstitución de sus territorios, iniciado en los años 80 del pasado siglo, acabaron participando decisivamente en la Marcha en Defensa del TIPNIS (2011).

Porque de lo contrario estos territorios, que son como islas, quedan cercados y terminan siendo ahogados y reprimidos por el Capital. Necesitan luchar y vincularse con otros, expandirse para sobrevivir. Un ejemplo es el levantamiento en junio de 2009 de los indígenas wampis y awajún en Baguá, en la selva amazónica peruana ; ocho años después de los enfrentamientos con la policía armada, que terminaron con centenares de muertos, más de 80 comunidades wampis proclamaron su autogobierno para defender 1,3 millones de hectáreas de bosque de las multinacionales. Otro caso es el de los nasa, que tenían durante mucho tiempo un espacio consolidado en el departamento colombiano del Cauca ; en octubre de 2008 unos 10.000 indígenas iniciaron la Minga Social y Comunitaria, que pasó por ciudades como Cali y terminó en Bogotá. Durante el recorrido se sumaron cortadores de caña, negros, estudiantes y otros colectivos urbanos ; tras esta gran marcha, en 2010, se fundó el Congreso de los Pueblos, que reúne a numerosos movimientos populares.

También te refieres a la Educación Popular “en movimiento”, con dos grandes modelos : el desarrollado por el EZLN zapatista y el del MST brasileño…

El MST parte de la educación popular de Paulo Freire. En los asentamientos de los “sin tierra” la profundizan y desarrollan hasta llegar a la “pedagogía de la tierra”, que básicamente podría definirse como “transformarse transformando” ; así, tanto el movimiento como los sujetos del movimiento se transforman haciendo, y en las 1.500 escuelas aplican una pedagogía que busca enraizar al sujeto campesino en la tierra. A su vez trabajan la relación entre el docente y los alumnos, de modo que no sea tan vertical y sí más participativa. Esto se da sobre todo en la educación de adultos, donde se busca un método pedagógico en el que el papel del maestro sea más circular y todos se conviertan en sujetos evaluadores. También han desarrollado un concepto que para mí es muy importante : transformar el movimiento -en todos sus tiempos y espacios- en tiempos y espacios pedagógicos. Todo lo que se haga ha de tener un contenido y un resultado pedagógico ; si participamos en una campaña de lucha o acciones, tiene que haber servido también para discutir la realidad y empoderar a la gente.

En “Movimientos sociales en América Latina” citas otras experiencias como la Red Cecosesola, fundada hace 50 años en el estado venezolano de Lara. “Nuestro proceso educativo está presente en todo lo que hacemos”, afirman. En las cooperativas agrícolas, de salud, ahorro y préstamo o producción industrial en pequeña escala de Cecosesola participan 20.000 socios y más de 50 organizaciones populares.

Quisiera destacar también los Bachilleratos Populares de Argentina. Surgieron en la primera década de los años 2000 sobre los territorios y espacios del movimiento piquetero, y funcionan en fábricas recuperadas por los trabajadores, sindicatos y organizaciones territoriales de barrios populares. La gente, ya adulta, que no ha terminado la enseñanza secundaria acude a los bachilleratos y estudia el periodo que les falta ; funcionan como espacios “en movimiento”, y hay ya más de un centenar en Argentina, sobre todo en las ciudades. Los bachilleratos organizan una gran asamblea inicial, donde colectivamente se empieza a trabajar la currícula, que no es la del Estado, sino la que definen los colectivos, docentes y estudiantes. A partir de esa currícula, comienzan los tres años de formación, que terminan con avances en el terreno pedagógico, la adquisición de conocimientos, logrando hablar en público y con estudiantes que son militantes e incluso líderes de los movimientos. Esta pedagogía tiene relación con la de Paulo Freire, echa raíces en la realidad concreta y está dirigida a hombres y mujeres de los barrios muy pobres.

Has estado en diferentes ocasiones en Chiapas y conocido la “Escuelita” Zapatista. “Frente al modo occidental y académico, abstracto y general, los zapatistas de las bases de apoyo tienen la virtud de lo concreto y la sencillez de la exposición”, concluyes en el libro. Asimismo el pensamiento crítico del EZLN, que surge de la praxis cotidiana en las bases de apoyo, se reproduce en centenares de escuelas.

Los zapatistas tienen una particularidad. Es la comunidad en asamblea la que elige quiénes van a ser los docentes, y no porque alguien tenga mayor o menor capacidad, sino porque le toca. Además los docentes, que no perciben un salario, tienen que dedicarse por tiempo completo a sus alumnos y les sostiene la comunidad, que por ejemplo les cultiva la milpa. Hay una diferencia clara entre las escuelas del estado y las zapatistas. Es más, en algunas regiones, cuando el zapatismo empezó a instalar “secundarias” o “primarias”, el Estado también las implantó –cuando antes no las había- para contrarrestar las escuelas zapatistas. En éstas los padres colaboran, los alumnos y docentes limpian la escuela, de hecho la gestionan conjuntamente ; mientras que en las escuelas estatales el docente es un mestizo o blanco llegado de la ciudad en coche, en las zapatistas son gente de la misma comunidad.

Algunos de los pensadores recuperados son, entre otros muchos, el filósofo y psiquiatra de la isla de Martinica, Frantz Fanon, y el filósofo y antropólogo argentino Rodolfo Kusch. ¿Por qué propones una ruptura epistemológica frente al eurocentrismo y defiendes los pensamientos “propios” de los pueblos indios, negros y los sectores populares ? ¿Hay en América Latina una dependencia de los patrones –de hacer y pensar- europeos y estadounidenses ?

Sí, sobre todo en las academias y universidades. Los autores, la forma de trabajo y estudio, el papel de los estudiantes y universidades es muy eurocéntrico. Así, para el estudio de los movimientos sociales se apela a autores a los que aprecio mucho, como Marx, Foucault, Alain Touraine o Sidney Tarrow ; ahí está, por tanto, la necesidad que tienen los movimientos de buscar en sus tradiciones otra pedagogía ; ahí es donde hablo de una ruptura epistemológica. En el libro explico la experiencia de la Comunidad de Historia Mapuche. Nace en 2004 en Temuco, al sur de Chile. La mayoría de los 23 integrantes de la Comunidad provienen de La Universidad de La Frontera, en la ciudad de Temuco. Se trata de profesores universitarios y “secundarios”, trabajadores sociales, periodistas, artistas y escritores ; algunos viven en comunidades y muchos se definen como activistas de las organizaciones mapuches. También acompañan procesos judiciales contra detenidos políticos, procesos de defensa territorial contra el extractivismo y forman parte de la lucha por la revitalización del mapudungun (lengua mapuche). Han sacado a la luz episodios que estaban en la oscuridad, como la muestra en 1883 de un grupo de 14 mapuches en un zoológico humano –el jardín de Aclimatación de París-, donde eran estudiados por su “rareza” ; o las derrotas que las comunidades infligieron a los conquistadores españoles en el siglo XVI.

Otra idea central es la “descolonización” de los métodos de investigación y oponerse a la hegemonía de los especialistas. En este punto destacan iniciativas como el Taller de Historia Oral Andina (THOA). ¿En qué consiste ?

Es una experiencia dirigida por la antropóloga boliviana Silvia Rivera Cusicanqui, quien destaca la necesidad de “un ejercicio colectivo de desalienación” y, para ello, resulta determinante el papel de la Historia Oral y el de las comunidades. El taller fue creado en 1983, cuando Silvia Rivera era profesora de Sociología en la Universidad Mayor de San Andrés, en La Paz. La condición para formar parte del grupo era saber hablar aymara o quechua. El primer trabajo de los estudiantes consistía en contar la historia de su vida. Entonces se dieron cuenta de que sufrían, además de la represión externa, una autorrepresión muy fuerte respecto a su lengua, cultura y tradiciones, aunque en el proceso de introspección empezaron a liberarse. Se trata de estudiantes de las comunidades aymaras o urbanos –que provienen de las comunidades- ya alfabetizados y que van a la universidad.

Invitados por los ayllus (comunidades), los integrantes del THOA desarrollaron talleres y en las investigaciones se crearon equipos mixtos conducidos por los comuneros de base, con quienes se definieron las metas, tareas y formatos de investigación. La Historia Oral es lo que les permite descubrir, y que las personas subordinadas se conviertan en sujetos. Además son las comunidades en asambleas las que deciden cómo ha de ser la “devolución” de los estudios, en este caso en forma de teleteatros o radionovelas, que fueron escuchados por cientos de miles de personas en las radios del Altiplano. Esta metodología ha permitido difundir la historia de Túpac Katari, que lideró la rebelión aymara de 1781 simultánea a la de Túpac Amaru en lo que hoy es Perú ; o la reconstrucción de la biografía de Santos Marka T’ula, cacique que luchó por la recuperación de las tierras comunales. Los talleres han influido en la formación del Consejo Nacional de Ayllus y Markas del Qullasuyu (CONAMAQ), una de las organizaciones indias más relevantes de Bolivia.

Desde 1986 has recorrido América Latina, sobre todo la región andina, como periodista e investigador “militante”. ¿En qué prejuicios y vicios de perspectiva consideras que incurre el investigador del Norte cuando se acerca a las comunidades indígenas ?

Creo que hay un error básico, que consiste en pensar que el investigador sabe y la comunidad no. El segundo es lo que denominamos el “extractivismo” académico, que consiste en ir a las comunidades, “chupar” conocimientos y utilizarlos para la propia carrera institucional o académica, sin devolver nada a la comunidad. La tercera, y me parece fundamental, es que hay que estar en la comunidad, tener vínculos y establecer afectos. No vale con ir de visita media hora con el grabador para sacar información : si no hay relaciones de confianza, nadie te va a contar las cuestiones de fondo, por lo que la información será siempre parcial e incompleta ; ahí me parece que existe una reproducción del modelo colonial, que implanta una relación entre los que tienen poder y los que no lo tienen, y muy a menudo entre varones blancos y mujeres, niños y niñas indias, negras y mestizas. Además, te diría que las academias tradicionales tienden a reproducir el modelo colonial sujeto-objeto y a cosificar a los indígenas, los negros y los sectores populares.

Sin embargo, las escuelas y facultades de periodismo hacen hincapié en la neutralidad, la separación entre información y opinión y la importancia del rigor. ¿Es esto compatible con la militancia ?

Creo que hay que ser riguroso, contrastar y ser crítico con las fuentes. Tenemos ejemplos maravillosos de periodistas muy comprometidos que están del lado de los oprimidos, como Eliane Brum, una periodista y escritora brasileña que escribe notas largas en la edición brasileña de El País ; o Marcela Turati, reportera de Proceso, en México, también absolutamente comprometida con los sectores populares sin por ello perder la rigurosidad.

Por otra parte, en el artículo de 2003 afirmabas que comuneros, cocaleros, campesinos Sin Tierra y, cada vez más, desocupados urbanos y piqueteros argentinos trabajan en la construcción de la autonomía. ¿Cómo ha evolucionado, después de 15 años, la idea de “autonomía” en las organizaciones populares ?

Creo que en una primera fase de los movimientos, que incluye a los piqueteros argentinos, lo que interpretábamos del zapatismo -aunque ellos no lo planteaban así- y otros, la autonomía se formulaba como un discurso defensivo frente al Estado, los partidos políticos, las iglesias y los sindicatos. Actualmente se camina hacia una autonomía más integral, que implica contar con un territorio, una producción propia en lo posible sin utilización de agroquímicos y, en definitiva, una autonomía que abarque todos los aspectos de la vida. Mientras campesinos e indígenas tienen una amplia experiencia en autonomía alimentaria y prácticas en salud, los sectores populares urbanos han sido despojados de estos saberes. De ahí la importancia de experiencias como, entre otras muchas, la de algunas comunas de Medellín, que consiguieron cierta autonomía en el suministro del agua, la Comunidad Habitacional Acapatzingo, en el Distrito Federal de México ; o la experiencia en cultivos de quinua de los vecinos de Potosí, en Ciudad Bolívar (Bogotá). Una autonomía que disponga también de espacios para la resolución de conflictos –eso que llamamos poder o justicia- propios, para no tener que recurrir a la justicia del Estado.

¿Qué ejemplos resaltarías ?

Se tiende a ello en el caso mapuche, con los grupos de autodefensa no formales ; y en Colombia, en el movimiento de los pueblos nasa y misak organizados en torno a la Asociación de Cabildos Indígenas del Norte del Cauca (ACIN) y el Consejo Regional Indígena del Cauca (CRIC) ; además de sus instancias de justicia y escuelas de formación, los nasa-misak cuentan con una guardia indígena elegida por las comunidades. Cada comunidad nasa elige a diez guardias indígenas durante un año, de modo que son más de 3.000 guardias coordinados por cada resguardo, con mandos propios rotativos y armadas de bastones. Se trata de gente autoorganizada y bajo la vigilancia de los cabildos. Hacen pesar la masa –cantidad de personas- en sus acciones. Han conseguido detener a los paramilitares, al ejército, a las compañías mineras y a las FARC cuando secuestraban indígenas. Y esto porque consideraron que en su territorio no querían la guerra.

¿Qué lecturas de medios independientes recomendarías a los ciudadanos europeos para informarse, de manera crítica, sobre la realidad latinoamericana ?

Por salirnos de los grandes medios como Brecha o La Jornada, destacaría la página web Desinformémonos de México, que está muy vinculada a los movimientos y que dirige la periodista Gloria Muñoz Ramírez ; se trata de un periodismo militante y que dispone de muy pocos recursos. Otro ejemplo es Mapuexpress, en relación con el pueblo mapuche. Pero el caso más increíble es el de Argentina. La Asociación de Revistas Culturales e Independientes de Argentina (AReCIA) tiene censadas cerca de 200 revistas culturales, independientes y autogestionadas, en formato papel o digital ; estas publicaciones vinculadas al campo popular -por ejemplo Lavaca.org, Barcelona (Periodismo por otros medios), La Tinta (Periodismo hasta mancharse) o Campo Grupal- suman entre cinco y siete millones de visitas mensuales. En estas revistas, en su mayoría cooperativas, trabajan o colaboran a tiempo completo más de 1.500 personas. La comunicación en América Latina se ha multiplicado de manera notable. Muestra de ello son la Red de Educación Radiofónica de Bolivia (ERBOL), fundada en 1967, la tradición de las radios comunitarias en Ecuador o las 10-15 publicaciones del mundo mapuche. El proceso es muy rico, hay infinidad de experiencias que uno no sabía ni que existieran.





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