La social-démocratie dans tous ses états

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Elections législatives du 7 mai au Royaume-Uni : « travaillistes cherchent alternance »

vendredi 17 avril 2015   |   Fabien Escalona
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Le 7 mai prochain auront lieu des élections législatives au Royaume-Uni. La coalition des conservateurs et des libéraux, qui soutient le gouvernement dirigé par David Cameron, remettra son mandat en jeu après avoir succédé aux travaillistes en 2010. Ces derniers, alors menés par Gordon Brown, sortaient épuisés d’une douzaine d’années au pouvoir depuis la victoire acquise sous la direction de Tony Blair, en 1997. Cette défaite sanctionnait un parti travailliste (Labour Party) qui avait déjà connu plusieurs épisodes de recul, et qui avait dû faire face depuis deux ans à une crise immobilière et bancaire largement due aux déséquilibres et à la démesure de la finance privée, quand les néo-travaillistes s’étaient surtout attachés à respecter une grande discipline concernant les finances publiques et les aides sociales.

Récemment, le dirigeant du Labour, Ed Miliband, a animé la campagne et provoqué ses adversaires conservateurs en proposant l’abrogation du statut fiscal de non-résident (« non-dom »). Ce privilège, issu du passé impérial britannique, permet à quelques grandes fortunes d’échapper à l’impôt. Les milieux d’affaires et la presse conservatrice ont alors pu ressortir le slogan d’ « Ed le Rouge », forgé lors de son élection à la tête du Labour en 2010, acquise grâce aux voix des syndicats. A bien des égards, cette initiative du dirigeant travailliste fait penser à la proposition de taxe à 75% de François Hollande pendant la campagne présidentielle française de 2012 (dont la mise en œuvre partielle n’aura duré que le temps d’une année fiscale).

Lancée pour répondre à la concurrence à gauche de Jean-Luc Mélenchon, la proposition avait force de symbole mais s’intégrait à un programme finalement assez orthodoxe sur le plan économique, c’est-à-dire conforme au « consensus de Bruxelles » (consolidation budgétaire, réformes structurelles, etc.). De la même façon, Ed Miliband subit la concurrence de deux partis critiques de l’austérité ayant le vent en poupe, et susceptibles de l’empêcher d’avoir une majorité à la Chambre des communes : les Verts de Natalie Bennett et le parti nationaliste écossais (Scottish National Party- SNP-) de Nicola Sturgeon. Et bien que suscitant l’ire des plus fortunés et de leurs relais, sa proposition, qui vise à corriger une évidente injustice sociale, ne reflète pas un programme très radical.

La concurrence du nationalisme écossais

Les travaillistes font face à plusieurs enjeux pendant cette campagne. Le premier d’entre eux est la concurrence du SNP sur les terres d’Ecosse. Certains sondages donnent jusqu’à une cinquantaine de sièges au parti indépendantiste (sur 59 en Ecosse et 650 au total), ce qui serait non seulement exceptionnel dans ce type d’élection, mais placerait sa dirigeante Nicola Sturgeon en position de « faiseuse » de roi. En dessous de 280 sièges, le Labour aurait impérativement besoin de cet allié pour obtenir la confiance du Parlement. La perte des bastions écossais du travaillisme serait en outre synonyme d’une rétractation de l’influence du parti dans le Royaume, laquelle se verrait concentrée au Nord de l’Angleterre, aux Pays de Galles et dans les grandes métropoles.

Un tel scénario reposerait la question de l’organisation du Labour dans un schéma territorial multi-niveaux, et exigerait une défense de l’union qui repose sur un horizon commun attractif plutôt que sur les risques qu’un éclatement supposerait. Jim Murphy, le nouveau dirigeant de la branche écossaise du Labour depuis décembre 2014, semble aller dans cette voie en affirmant vouloir réconcilier les électeurs du « oui » et du « non » au référendum sur l’indépendance de l’Ecosse : il soutient une plus grande autonomie de la nation au sein du Royaume et se donne pour objectif d’en faire « la plus juste sur la planète  ». Il doit cependant composer avec un parti écarté du pouvoir sur place, coupé d’une grande partie de ses bases populaires depuis le référendum.

Se préparer à une coalition

L’autre enjeu est la question de la formation d’un gouvernement majoritaire. Ici aussi, la situation sera largement influencée par le score final du SNP. Pour l’heure et toujours d’après les projections en sièges effectuées à partir des sondages pré-électoraux, ni les travaillistes ni leurs adversaires conservateurs ne sont en mesure de se passer d’une coalition. Le mode de scrutin uninominal à un tour, où le candidat arrivé en tête au premier tour remporte le siège, a pourtant été pour eux un mécanisme de protection efficace. Il est aujourd’hui insuffisant pour garantir le bipartisme dont le Royaume-Uni était pourtant considéré comme le modèle. Réunissant plus de 90% des suffrages à eux deux depuis l’après seconde guerre mondiale, le parti travailliste et le parti conservateur (Conservative Party) en ont réuni 65% lors de la dernière élection, un niveau que l’on pourrait retrouver en mai prochain. Cette année, la menace que fait peser le SNP est différente de celle du UKIP de Nigel Farage (droite radicale) ou des Verts, dans la mesure où toutes les voix recueillies par les nationalistes écossais seront tellement concentrées dans quelques circonscriptions qu’elles pourront faire basculer des dizaines de sièges. Ainsi, même avec les 13% que les enquêtes promettent au UKIP, le nombre de sièges que ce dernier peut espérer se comptent sur les doigts d’une main.

Si les conservateurs ne sont pas en bonne posture, notamment en raison de l’effondrement de leur allié libéral-démocrate - les « lib-dem » Nick Clegg -, la revanche des travaillistes pourrait donc avoir un goût amer. Non seulement elle risque d’être acquise avec un score assez faible pour un parti d’opposition dans un contexte de crise économique durable, mais pour être effective, elle pourrait nécessiter une coalition avec un SNP qui demandera des contreparties heurtant le credo unitaire du Labour. L’appui d’un troisième groupe de députés pourrait même être nécessaire pour sécuriser une majorité parlementaire solide. Les compromis multiples qui en résulteraient constitueraient un défi pour l’unité fragile d’un parti dont de nombreux responsables ont déjà mis en cause la légitimité de Miliband peu avant l’élection (à l’automne 2014, une vingtaine de membres du shadow cabinet se sont même dits prêts à changer de chef !). Quoi qu’il en soit, cette configuration confirmerait la fin d’une période (1979-2010) divisée en deux phases longues de prédominance respective des conservateurs (dix-huit ans) puis des travaillistes (treize ans).

L’alternance est possible, l’alternative reste peu probable

C’est selon nous l’absence d’une « vague » en faveur des conservateurs, et donc la faible crédibilité d’une nouvelle phase de sa prédominance, qui explique le caractère faiblement novateur du Labour d’Ed Miliband. Au milieu des années 1990 comme à la fin des années 2000, chacun des deux grands partis avait au contraire dû fournir un gros travail de renouvellement idéologique, discursif et organisationnel. Certes, Miliband a souhaité rompre avec la rhétorique la plus « pro-business » de l’ère néo-travailliste, et a recentré le message du parti contre les inégalités créées par ce qu’il a appelé le « capitalisme prédateur  ». Il a opposé aux erreurs de la période Blair-Brown et aux coupes budgétaires aveugles de la droite un récit baptisé « One nation » dans lequel un « capitalisme responsable » créerait des richesses qui profiteraient à l’ensemble de la population.

Cet engagement souffre cependant de suivre l’orthodoxie budgétaire de la coalition de droite au pouvoir. C’est surtout le manque de clarté du message travailliste qui est frappant. Miliband a visiblement décidé de concentrer sa campagne sur la défense du citoyen ordinaire contre les grands intérêts, mais donne parfois l’impression de ne proposer qu’une austérité à visage humain. Une impression renforcée par le choix de ses proches collaborateurs, comme Ed Balls qui défendait en janvier dernier le statut « non-dom » que veut aujourd’hui abroger Miliband, avec les mêmes arguments que la City (le classique « départ des plus riches »). Pis, suite à des législatives partielles où le Labour avait assisté à la montée en puissance du UKIP à l’automne, Miliband avait déclaré que l’immigration était une des priorités de son parti. L’enjeu fait effectivement partie des plus importants de cette campagne (où le financement de la sécurité sociale est aussi en bonne place), mais la question ne jouera pas en faveur du centre-gauche, qui ne peut ni faire de la surenchère sur la droite (au risque de s’aliéner le vote favorable des minorités), ni adopter une posture libérale (impopulaire auprès d’une autre partie de son socle électoral).

Au-delà de l’aspect programmatique, une réforme interne lancée sous Miliband a poursuivi l’œuvre néo-travailliste de dilution du lien aux syndicats, encore importants dans la structure fédérale du Labour. A la faible innovation doctrinale, s’ajoute donc une normalisation organisationnelle du parti au sein de la famille sociale-démocrate européenne. Dans une note rédigée pour la Fondation Jean Jaurès, j’ai ainsi suggéré que malgré le changement de dirigeant du parti et sa vision critique de la « Troisième voie » version Blair, le néo-travaillisme a en quelque sorte été « enterré vivant ». Quel que soit le résultat de l’élection du 7 mai, il est en effet probable que le Labour se convertisse de plus en plus en une formation de centre-gauche parmi d’autres, certes à la recherche des meilleurs thèmes capables de lui permettre de maintenir son statut, mais ne défendant (sur le plan socio-économique en tout cas) que des alternatives secondaires à l’intérieur d’un cadre commun partagé avec la droite conservatrice et libérale-démocrate.

 

Illustration : Ed Miliband





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