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OLIGARCHIES

Ces milliardaires qui spéculent sur l’avenir de la planète

lundi 2 janvier 2012   |   Ivan du Roy, Sophie Chapelle
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Ils possèdent des compagnies pétrolières, des gazoducs, des mines, des aciéries et même des médias. Ils influencent gouvernements et institutions pour empêcher toute réglementation trop contraignante. Et figurent parmi les plus grandes fortunes mondiales. Un rapport d’un centre de recherche aux États-Unis les considèrent, du fait de leur puissance et des pollutions que leurs activités génèrent, comme la plus grande menace qui pèse sur l’environnement et le climat. Qui sont ces multimilliardaires qui bâtissent leur fortune en hypothéquant l’avenir de la planète ?

Article publié sur le site Basta !

Ils sont 50. Cinquante milliardaires à être pointés du doigt pour leur responsabilité individuelle dans la dégradation du climat. Ils tirent leurs richesses d’activités très polluantes, et n’hésitent pas à dépenser des millions pour influencer gouvernements et opinions. Leurs fortunes cumulées représentent 613 milliards d’euros. À 50, ils pèsent financièrement davantage que le Fonds européen de stabilité, censé défendre la zone euro – 17 pays – contre la spéculation. C’est dire la puissance qu’ils possèdent. C’est cette aberrante concentration de pouvoir que dénonce un rapport du Forum international de la globalisation (IFG), un institut indépendant installé à San Francisco, qui regroupe économistes et chercheurs, dont l’Indienne Vandana Shiva ou le Canadien Tony Clarke, connus pour leurs combats face aux abus des multinationales.

Leur volumineux rapport, Outing The Oligarchy  [1], a pour objectif « d’attirer l’attention du public sur les individus ultrariches qui profitent le plus – et sont les plus responsables – de l’aggravation de la crise climatique ». Du fait des pollutions qu’ils génèrent et de leur lobbying pour défendre les combustibles fossiles, ce groupe de milliardaires constitue, selon l’IFG, « la plus importante menace qui pèse sur notre climat ». L’institut a donc décidé de mettre des visages et des noms sur cette menace. Pour que les « 99 % » qui subissent les conséquences de leur enrichissement démesuré – pour reprendre la formule du mouvement Occupy Wall Street – sachent de qui on parle. Une sorte « d’outing » forcé.

L’homme qui valait 63,3 milliards

Ces 50 milliardaires sont états-uniens, russes, indiens ou mexicains. Mais aussi brésiliens, chinois (de Hong-Kong) ou israéliens. Certains sont bien connus en Europe : Lakshmi Mittal, PDG du géant de la métallurgie ArcelorMittal, Rupert Murdoch, le magnat des médias anglo-saxons, Silvio Berlusconi, l’ancien Premier ministre italien aux 6 milliards de dollars, Roman Abramovich, propriétaire du club de foot de Chelsea… D’autres sont anonymes pour qui n’est pas un lecteur assidu du classement des grandes fortunes édité par le magazine Forbes. Des anonymes pas comme les autres. Ils possèdent des compagnies pétrolières, des mines, des médias, une armée de gardes du corps.

Prenez le Mexicain Carlos Slim, l’homme le plus riche du monde (63,3 milliards de dollars), qui a pleinement profité de la privatisation de la compagnie publique des télécoms, Telmex. Il détient 222 entreprises à travers le monde, aussi bien dans les télécommunications, la banque, l’industrie minière, l’énergie, la restauration ou la santé, employant 250 000 personnes et générant un chiffre d’affaires annuel de 386 milliards de dollars. Si bien qu’il est « presque impossible de passer une journée au Mexique sans contribuer à enrichir Carlos Slim, que ce soit en téléphonant, en mangeant dans un de ses restaurants ou en déposant de l’argent à la banque ». Comme si chaque Mexicain lui versait 1,5 dollar par jour.

« Une large part de la richesse de Carlos Slim vient de ses holdings industrielles très destructrices en matière d’environnement », dénonce le rapport. Déplacement forcé de population pour ériger des barrages, contamination de sols à l’arsenic, destruction de villages, conditions de travail exécrables… Il semble que les industries de Carlos Slim ne reculent devant rien. « Ses partenariats, comme son initiative en faveur de la santé avec le gouvernement espagnol et l’influent Bill Gates, lui permettent de construire et de soigner une image positive, derrière laquelle il peut dissimuler l’étendue des dégâts environnementaux et humains de ses projets miniers ou pétroliers », regrettent les chercheurs de l’IFG.

Les nouvelles oligarchies émergentes

Pourquoi ces cinquante-là et pas Bill Gates (2e fortune mondiale) ou Bernard Arnault (1re fortune française, 4e mondiale) ? Les milliardaires correspondant à trois critères ont retenu l’attention des analystes : la richesse totale (mesurée par le magazine Forbes) ; les dommages écologiques et les émissions de carbone générées par leurs activités économiques  [2] ; et leur soutien, affiché ou discret, aux politiques favorisant les activités fortement émettrices de CO2, comme l’industrie pétrolière. Résultat : les milliardaires des pays émergents sont les plus représentés. On ne compte que 2 Européens (hors Russie) – Silvio Berlusconi et le Chypriote (ex-Norvégien) John Fredriksen, un armateur qui a bâti sa fortune grâce à sa flotte de pétroliers – parmi, entre autres, 13 Russes, 9 Indiens, 3 Mexicains et 2 Brésiliens.

Les grandes fortunes européennes seraient-elles plus vertueuses que leurs homologues des pays émergents ? Pas forcément. La désindustrialisation et la financiarisation des économies du Nord les ont rendues moins polluantes. Et les nouveaux mégariches des anciennes puissances industrielles bâtissent aujourd’hui leur fortune sur la spéculation financière ou les nouvelles technologies de l’information (Internet). Cela ne rend pas leur accumulation de richesses moins obscène, juste un peu moins dévastatrice. Les auteurs du rapport n’exonèrent pas pour autant les anciennes dynasties industrielles européennes de leur responsabilité en matière d’environnement. Mais, en dehors de quelques magnats du pétrole états-uniens, celles-ci ne font plus partie de cette nouvelle « oligarchie des combustibles fossiles » qui tente de dicter sa loi en matière de production énergétique, d’extraction minière et de pollutions. Certains milliardaires de la vieille école, comme Warren Buffet, adoptent même des positions plutôt progressistes comparées au cynisme ambiant qui règne au sein de leur caste.

De Goldman Sachs à ArcelorMittal

Profil type de ces nouveaux milliardaires sans scrupules : Lakshmi Mittal. Malgré une fortune estimée à 19,2 milliards de dollars, le patron d’Arcelor continue de vider les hauts-fourneaux français et européens de leurs ouvriers métallos. Non par souci de polluer moins, mais pour « rationaliser » les coûts et profiter des pays où la réglementation publique est faible, ou inexistante. Son réseau d’influence est tentaculaire, y compris en dehors de la sidérurgie : de Wall Street – où il siège au conseil d’administration de Goldman Sachs, l’une des banques les plus puissantes du monde – à l’Europe (conseil d’administration d’EADS) en passant par l’Afrique du Sud, le Kazakhstan ou l’Ukraine.

Comment s’exercent concrètement les influences et le lobbying de ces 50 mégapollueurs ? Des États-Unis à la conférence sur le climat de Durban, les frères Koch sont devenus des maîtres en la matière. Avec une fortune estimée à 50 milliards de dollars, David et Charles Koch sont à la tête d’un vaste conglomérat d’entreprises opérant principalement dans le secteur de la pétrochimie. Leurs dollars s’accumulent par millions grâce à leurs participations dans des pipelines transportant du pétrole brut, des gazoducs, des produits pétroliers raffinés ou encore des engrais chimiques. La plupart des activités de Koch Industries, dont le siège est au Kansas, sont méconnues du grand public, à l’exception de quelques produits tels que les cotons DemakUP® ou encore le papier-toilette Lotus®. Charles et David Koch ont derrière eux une longue histoire d’engagement politique conservateur et libertarien. Leur père, Fred Koch, fut l’un des membres fondateurs de la John Birch Society, qui soupçonnait le président Eisenhower d’être un agent communiste. En 1980, les deux frères ont financé la campagne du candidat Ed Clark, qui se présentait à la droite de Reagan. Son programme préconisait l’abolition du FBI, de la Sécurité sociale ou du contrôle des armes…

Des millions pour les climatosceptiques

Considéré comme l’un des « dix premiers pollueurs atmosphériques aux États-Unis » par l’université du Massachusetts, Koch Industries a été poursuivi sous l’administration Clinton pour plus de 300 marées noires dans six États fédérés, avant de régler une amende de 30 millions de dollars en janvier 2000. Les frères Koch demeurent des soutiens inconditionnels du cercle des climatosceptiques, qui nient le changement climatique. Entre 2005 et 2008, ils ont dépensé plus d’argent que la compagnie pétrolière américaine Exxon Mobil (18,4 millions d’euros) pour financer des organisations qui, selon Greenpeace,« répandent des informations erronées et mensongères à propos de la science du climat et des politiques d’énergies propres ».

À l’occasion du sommet à Durban, Greenpeace a classé les frères Koch au top douze des dirigeants d’entreprises polluantes œuvrant en coulisse pour miner un accord international sur le climat. Ils accordent ainsi d’énormes subventions à des associations industrielles comme l’American Petroleum Institute – un organisme représentant les compagnies pétrolières américaines. Si leur rôle dans les négociations climat est important, les frères Koch veulent rester discrets. Charles Koch a déclaré qu’il faudrait « lui passer sur le corps » pour que sa société soit cotée en Bourse. Sans cotation, la société n’a pas l’obligation de publier les subventions accordées aux diverses organisations. Une situation idéale pour pratiquer dans l’ombre un lobbying intensif. La compagnie a ainsi versé plus d’un million de dollars à la Heritage Foundation, « pilier de la désinformation sur les problématiques climatiques et environnementales », selon Greenpeace.

Les frères Koch auraient également largement participé à l’amplification du « Climate Gate » en novembre 2009. Ce scandale avait été déclenché par le piratage et la diffusion d’une partie de la correspondance des climatologues de l’université britannique d’East Anglia. Les Koch ont financé des organismes, comme le think tank de la droite radicale Cato Institute, dont ils sont cofondateurs, pour monter en épingle cette affaire, mettant ainsi en doute l’existence du réchauffement. Autre fait marquant : en réponse au documentaire du vice-président Al Gore sur le changement climatique, les deux milliardaires ont versé 360 000 dollars au Pacific Research Institute for Public Policy pour le film An Inconvenient Truth… or Convenient Fiction (Une vérité qui dérange… Ou une fiction qui accommode). Un pamphlet totalement climatosceptique.

Du pétrole dans le Tea Party

Koch Industries a également initié, il y a un an, une campagne référendaire visant à empêcher l’entrée en application de la loi californienne de lutte contre le changement climatique (dite « AB32 »). Leur argument : le développement des énergies propres en Californie coûterait beaucoup d’emplois à l’État… Aux côtés d’autres groupes pétroliers, les frères Koch y ont investi un million de dollars. Leur proposition a finalement été rejetée, et la loi impose aujourd’hui à la Californie une réduction de 25 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 (afin de revenir au niveau de 1990). Malgré ce revers, le comité d’action politique de Koch Industries, KochPac, continue de pratiquer un lobbying intensif à Washington, en vue d’empêcher toute législation contraignante en matière d’émissions de gaz à effet de serre. D’après le rapport de Greenpeace, le comité a dépensé plus de 2,6 millions de dollars en 2009-2010 pour suivre le vote de la loi Dodd-Frank, qui vise une plus grande régulation financière.

Les frères Koch financent aussi le très conservateur Tea Party et participent au groupe Americans for Prosperity (AFP). Créé en 2004, l’AFP est à l’origine de nombreuses manifestations contre l’administration Obama, notamment contre son projet de taxe sur le carbone. La Cour suprême ayant levé depuis janvier 2010 les limites au financement des campagnes électorales nationales par les entreprises, il semblerait que les Koch soient prêts à investir encore plus d’argent dans le Tea Party en vue des élections de 2012. Leur lobbying est si tentaculaire qu’ils sont surnommés « Kochtopus », un jeu de mots mêlant leur nom de famille à celui de la pieuvre (octopus en anglais).

Les 99 % sacrifiés par les 1 % ?

Pour restreindre le pouvoir de ces nouvelles ploutocraties et de ces fortunes démesurées, le rapport de l’IFG préconise une série de mesures fiscales pour assurer une véritable distribution des richesse : indexer les hauts salaires sur les plus bas, par exemple, imposer davantage et plus lourdement les très hauts revenus, ou taxer les transactions financières. De nouvelles réglementations pour empêcher ces énormes concentrations de sociétés et sanctionner les dégradations environnementales qu’elles provoquent sont également nécessaires.

Il y a urgence : « Une augmentation de 4 °C de la température mondiale (...) est une condamnation à mort pour l’Afrique, les petits États insulaires, les pauvres et les personnes vulnérables de l’ensemble de la planète, alerte Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International, à Durban. Ce sommet a amplifié l’apartheid climatique, les 1 % les plus riches de la planète ayant décidé qu’il était acceptable d’en sacrifier les 99 %. » Cela signifie que les États, les gouvernements et les citoyens doivent reprendre la main. D’autant qu’ils sont sous la pression de plus en plus forte des « marchés financiers », dont ces 50 multimilliardaires sont des acteurs incontournables…

 

En photo : Action du « Sauvons les riches » anglo-saxon (Billionaires for Bush) /source




http://www.bastamag.net/article1988.html


[1Outing The Oligarchy, billionaires who benefit from today’s climate crisis,International Forum on Globalization

[2Grâce, notamment, à des indicateurs de développement durable comme le Dow Jones Sustainability Index, ou le CSR Hub Rating, mesurant la responsabilité sociétale des entreprises



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