Initiatives

Afrique : Luttes et espérances

mardi 8 avril 2008   |   Nestor Bionadanure
Lecture .

« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », nous dit Frantz Fanon dans Les Damnés de la terre. Comment donc la nouvelle génération d’Africains poursuit-elle le combat inachevé pour l’émancipation politique, économique et sociale près d’un demi-siècle après les indépendances ? Où est l’espérance en Afrique au temps de la mondialisation néolibérale et des marchands de sommeil de l’afro-pessimisme ? 

Les souvenirs d’Avenir

Ceux qui nous ont précédé ont diversement rempli leur mission, certains furent du côté de la liberté et d’autres ont pactisé avec les oppresseurs. Les droits qui nous paraissent naturels aujourd’hui furent hier objet d’amples batailles. Ils furent arrachés par la lutte et parfois dans le sang. Chaque écrit politique pour la liberté, chaque bataille gagnée au nom de la dignité, de la justice sociale, a toujours eu des répercussions, à plus ou moins long terme, sur les consciences et la détermination des peuples en lutte dans le monde. Les soulèvements des esclaves ont renforcé le moral des anti-esclavagistes et vice versa. Les luttes anti-colonialistes dans les colonies portugaises d’Angola, du Mozambique, de Guinée Bissau et Cap Vert ont affaibli le régime dictatorial de Salazar, renforcé les antifascistes portugais et précipité la chute de la dictature en avril 1974. La révolution des œillets et la victoire des mouvements de libération nationale sont deux phénomènes interdépendants. Ils sont le produit des formes des luttes différentes, menées par les antifascistes portugais et les patriotes africains, contre un ennemi commun. Durant la lutte contre l’apartheid, certains militants sud-africains, en arrivant à Paris, demandaient avant même de joindre leurs lieux de séjour qu’on les amène visiter la Bastille. Même si, fort heureusement, la prison n’y était plus, la charge symbolique de la place de la Bastille restait entière pour celles et ceux qui, à un autre moment de l’histoire et en d’autres lieux, poursuivaient le rêve de liberté de ceux qui les avaient précédés dans la bataille, deux siècles avant. Au Burkina Faso, le capitaine Thomas Sankara profitait de son séjour dans la capitale Ouagadougou pour aller s’approvisionner au centre culturel français en livres qui traitaient de la Révolution française, de 1789, pour lui-même et ses camarades de l’armée. Devenu président, il dira dans un de ses discours « un militaire sans conscience politique est un criminel en puissance ». Pour lui, les forces de l’ordre ne devaient pas oublier qu’elles sont au service de l’ensemble du peuple et non de ses oppresseurs. Il ne cessait de critiquer la dette et de demander la solidarité de ses pairs africains pour la refuser. Car pour lui, payer la dette revenait à sacrifier les missions sociales de l’État envers les plus pauvres. La Révolution française de 1789, l’Indépendance de l’Amérique, la Révolution de 1917 en Russie, la Révolution cubaine, la Résistance vietnamienne, les mouvements pour la décolonisation ont eu des influences plus ou moins grandes sur la marche du monde. Ils ont prouvé que rien de ce qui est n’est éternel. Que les peuples peuvent se libérer des chaînes aux pieds comme des chaînes de l’esprit. Que la liberté et la justice sont des rêves possibles. Quand aujourd’hui nous disons qu’un autre monde est possible, nous avons pour pièce à conviction l’histoire de l’humanité. La déferlante marée humaine disant non à la marchandisation du monde, s’inscrit dans l’histoire des luttes pour une vie meilleure. Grâce au mouvement altermondialiste, ce qui était au départ de l’ordre de l’utopie, d’un but, d’un projet lointain est aujourd’hui la réalité. La globalisation des luttes dans un monde globalisé n’est plus un rêve. Le fait que la mondialisation déplace les centres de pouvoir au niveau mondial ne fait que rendre le combat beaucoup plus planétaire que durant la guerre froide. Il faut désormais penser et agir localement et globalement. Les luttes contre les délocalisations, la dette, la vie chère, le respect de l’environnement, la défense des services publics, ont pour théâtre d’action l’espace local et global. Et hier comme aujourd’hui, l’Afrique est en lutte pour le droit à la vie car la violence structurelle y est depuis des dizaines d’années intenable.  


Situation économique et sociale de l’Afrique subsaharienne.

L’économie de l’Afrique subsahélienne dépend des financements extérieurs. Pourtant, si on additionne le flux des capitaux venant du remboursement de la dette, la fuite des capitaux, l’évasion fiscale, le pillage des ressources naturelles ou la corruption, le constat est simple : les fonds allant du Sud vers le Nord sont de loin supérieurs à ceux transitant du Nord au Sud. Un simple exemple : en 2006, sur 80 milliards d’aide publique au développement déclarés par les pays riches, 500 milliards ont quitté le Sud vers le Nord.  

Selon la Cnuced, entre 1970 et 2002, environ 294 milliards de dollars ont été injectés en Afrique subsaharienne. En 2002, environ 268 milliards de dollars avait été remboursés et pourtant l’Afrique devait toujours, en 2003, 210 milliards. 

L’espérance de vie en Afrique subsaharienne oscille entre 45 et 47 ans alors que dans des pays comme le Canada, elle est de 80 ans. Il est aussi important de signaler que l’envoi d’épargne par les travailleurs migrants représente 167 milliards c’est-à-dire pratiquement le double de l’aide publique au développement. Le détournement des fonds plus l’évasion fiscale représenteraient 30 milliards de dollars par an. 

En fait, aujourd’hui, on a découvert en Afrique plus de richesses minières que dans les années 60. Pourtant, la pauvreté n’a cessé d’augmenter. Les politiques d’ajustement structurel qui commencent dans les années 1980 ont fragilisé l’économie des pays africains et aggravé la pauvreté. Elles ont volé en quelque sorte une part des indépendances nationales conquis par les peuples du fait même que les mécanismes d’endettement ont fini par enlever aux États la possibilité d’investir dans la protection sociale de la population. Car l’essentiel des fonds vont au remboursement des services de la dette. Il n’est donc pas étonnant de voir que 300 millions d’Africains vivent avec moins d’1 dollar par jour et que 40% des enfants n’ont pas accès à l’éducation. Le drame de la paupérisation de masse en Afrique renforce le stress des populations, radicalise les luttes pour le pouvoir, manipulées parfois par les mouvements identitaires. L’affaiblissement de l’État, l’impossibilité de vivre de son salaire à cause d’une baisse vertigineuse du pouvoir d’achat des travailleurs, depuis des décennies, est une tragédie humaine qui n’a cessé de disloquer les cultures et d’envoyer à la mort les victimes de la pauvreté. Le président Wade a eu raison d’appeler au rejet des accords de partenariat économique que voulait imposer l’Union européenne sous le dictat de l’OMC. Car cela aurait signifié plus de précarisation des agriculteurs africains. Selon le rapporteur général de l’ONU, Jean Ziegler, « l’Union européenne a fait un dumping agricole au Sénégal, au Mali, et partout en Afrique. En 2007, les pays industrialisés du Nord ont payé 349 milliards de dollars de subventions à l’exportation et à la production de leurs paysans. Ce qui fait qu’aujourd’hui, au marché de Sandaga, à Dakar, vous pouvez acheter des légumes et des fruits portugais, français, espagnols, italiens, grecs à la moitié ou au tiers du prix des produits sénégalais équivalents. » Les phénomènes tels que l’immigration clandestine et la fuite des cerveaux sont les expressions de la ruine provoquée par les dictatures des États post-coloniaux et ceux qui les soutiennent. Pourtant, l’Afrique a une importance de plus en plus stratégique : 20% du pétrole français et 60 % de son uranium proviennent de l’Afrique. 30% du pétrole chinois vient de l’Afrique et les États-Unis poursuivent l’objectif de 25% d’ici 2015. 

Le mouvement social contre la fatalité.

« Tant que les lions n’auront pas conté leurs légendes, les légendes valoriseront les chasseurs », nous dit un proverbe africain. Depuis des années, face à l’affaiblissement des États, le secteur informel essaie de prendre le relais. Il fait vivre des millions d’âmes dont les bras et la volonté de contribuer au développement de la cité ont été rendus inutiles par l’injustice sociale planétaire. C’est donc, depuis des années, la créativité populaire qui résiste à la pauvreté imposée. La multiplication actuelle des grèves et des manifestations un peu partout en Afrique n’était que trop prévisible. En moins de deux ans, la contestation sociale a touché la moitié du continent africain. Aujourd’hui, après la grève générale en Guinée, au Burundi, en Centre Afrique, c’est au tour des syndicats du Burkina Faso d’appeler à la grève générale contre la vie chère. Les manifestations contre la pauvreté se multiplient un peu partout en Afrique. Elles touchent aujourd’hui le Sénégal après le Cameroun. Les coalitions contre la vie chère se forment un peu partout pour défendre ce qui ressemble de plus en plus à tout simplement un droit à la vie. Ni l’autoritarisme des États, ni les répressions, ni les manipulations identitaires, visant à opposer les pauvres aux pauvres, ne semblent plus en état de faire fléchir la détermination citoyenne. En Afrique du Sud, l’alliance tripartite qui regroupe le Congrès National Africain, ANC, le Parti communiste sud-africain, SCP et le Congrès Sud-Africain des syndicats, COSATU, vient d’imposer le virage à gauche, avec une direction désormais dominée par des militants progressistes. La prise de conscience qu’il n’y aura pas de solution individuelle au drame collectif de la misère est de plus en plus forte en Afrique. Le combat pour les droits économiques et sociaux rassemble de plus en plus des organisations qui, jadis, ne se côtoyaient que pour réaffirmer leurs divergences. L’unité dans l’action s’impose de plus en plus comme l’unique moyen efficace de lutter et gagner sans avoir besoin de se renier. La multiplication des forums sociaux un peu partout en Afrique semble avoir joué un rôle important dans l’accélération des prises de conscience. De plus en plus de citoyens ordinaires savent que la dette est impayable, que le développement humain et durable est possible. Si le suffrage universel est un élément nécessaire à la démocratie, beaucoup d’Africains savent désormais que seule la participation citoyenne à la prise et au contrôle des décisions politiques les concernant peut leur garantir l’accès aux droits économiques et sociaux.

Il y a en Afrique comme partout ailleurs des milliers de héros anonymes : celles et ceux que la pauvreté n’a jamais réussi à pousser au renoncement et qui préparent l’aube de la liberté qu’ils ne verront peut être pas. Mais ils savent au fond d’eux-mêmes qu’au bout du tunnel il y a le soleil. « L’Afrique vivante, je la sens dans les mains sculpturales des forts qui font le peuple et les roses et le pain et le futur », disait Augustino Neto. Et tant qu’existera cette Afrique-là, « la liberté triomphera demain si aujourd’hui n’est pas suffisant » comme nous dit le proverbe Kenya. 





A lire également